Une nouvelle génération de députés français a fait irruption au Parlement européen. Elle permet à la France de rayonner aussi bien dans l’hémicycle que dans les commissions. Enfin !

Il y a peu de temps encore, le Parlement européen était stratégique pour les partis politiques de l’Hexagone, tous bords confondus. Pour peser sur les décisions à Bruxelles ou à Strasbourg ? Pas forcément…

Recaser et récompenser

Les élections européennes étaient surtout un bon moyen d’assurer un poste à des personnalités privées de mandat national ou local. Autre intérêt non négligeable, elles permettaient de récompenser certains pour services rendus. Un poste d’eurodéputé était également le "cadeau" parfait pour recaser diplomatiquement des profils devenus gênants ou has been en France. En somme, malgré certains bons élèves travailleurs et investis, le Parlement européen était avant tout un placard doré idéal pour quelques heureux élus pouvant ainsi garder un pied dans la politique parisienne et les grands médias. Le tout pour un salaire confortable et la possibilité de n’être pas pleinement concerné. Une situation qui arrangeait tout le monde, sauf les intérêts français. Un diagnostic partagé par Stéphane Séjourné, élu lors du dernier scrutin et président du groupe centriste Renew Europe : "Pendant trop longtemps, un mandat de parlementaire européen était perçu comme un passe-temps n’empêchant pas d’intervenir sur la scène nationale. Les députés français étaient souvent peu investis, ce qui a porté atteinte à nos intérêts et notre prestige." Mais il semble que, depuis les élections de mai 2019, les choses aient changé en profondeur.

La rupture de 2019

 Que s’est-il passé ? La plupart des grands partis politiques ont désigné des têtes de liste souvent issues de la société civile et très intéressées par les enjeux européens. Promis à une campagne calamiteuse, le PS et LR ont mis en haut de l’affiche les intellectuels Raphaël Glucksmann et François-Xavier Bellamy. La majorité a placé en numéro un Nathalie Loiseau, ancienne secrétaire d’État aux affaires européennes, tandis que la liste EELV était conduite par Yannick Jadot, un eurodéputé chevronné élu pour la première fois en 2009.

"Tous les partis ont donné leur chance à des personnes qui ont l'Europe chevillée au corps"

Dans leur sillage, des personnalités parfois présentes depuis plusieurs mandats qui rempilent pour un tour. Mais aussi "des nouveaux venus qui considèrent un siège comme un tremplin mais qui, avant tout, ne sont pas là par défaut", estime Marie-Pierre Vedrenne qui a intégré le Parlement en 2019 sous la bannière LREM. Selon elle, "tous les partis ont donné leur chance à des profils passionnés, qui ont l’Europe chevillée au corps et qui ne pensent pas à un destin national".

Élus investis et influents

 La nouvelle vague de députés s’est très vite mise à la tâche avec ardeur. "D’après les vieux routiers du Parlement, les eurodéputés français n’ont jamais été aussi investis sur des rapports et des textes", déclare Marie-Pierre Vedrenne qui observe que certains néo-élus de gauche comme de droite sont en pointe sur des sujets auxquels ils tiennent : "C’est par exemple le cas de Raphaël Glucksmann sur les Ouïghours, David Cormand sur la protection des consommateurs ou encore Manon Aubry sur la fiscalité…". De plus, certains députés commencent à "avoir de la bouteille" et à peser au Parlement où leurs compétences font l’unanimité. Songeons notamment au député PPE Arnaud Danjean qui fait figure de référence sur les questions de sécurité.

"Notre pays compte cinq présidents de commission, du jamais vu !"

Autre motif de satisfaction cité par Stéphane Séjourné, "notre pays compte cinq présidents de commission, du jamais-vu. Ce sont des postes particulièrement influents dans le mécanisme de l’UE". Il s’agit de l’écologiste Karima Delli à la tête de la stratégique commission du transport et du tourisme, de l’élu Renew Pascal Canfin, président de l’influente commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, de Pierre Karleskind, centriste lui aussi, à la tête de la commission pêche, de l’Insoumis Younous Omarjee, président de la commission du développement régional. Enfin, citons l’ancienne tête de liste de la majorité Nathalie Loiseau, présidente de la sous-commission sécurité et défense, en première ligne pour défendre les intérêts de l’Europe dans le cadre de la crise russo-ukrainienne. Précisons également que Stéphane Séjourné préside le groupe Renew Europe, troisième force politique de l’hémicycle derrière le Parti populaire européen (PPE) et le Parti socialiste européen (PSE).

Nouveau regard

Travail de fond, présence dans les travées et les commissions, compétences pointues et poids politique bousculent les clichés que véhiculaient les députés français. Depuis l’arrivée de la nouvelle législature, l’image des élus issus de l’Hexagone évolue dans le bon sens. Au quotidien, Stéphane Séjourné observe un "changement de perception notable. Nous ne souffrons plus d’une image d’absentéistes arrogants, obnubilés par le national et allergiques au compromis". De quoi permettre de gagner le respect des autres pays. Notamment ceux qui, à l’instar de l’Allemagne, sont habitués de longue date à envoyer la crème de la crème défendre les intérêts nationaux au sein de l’UE. "Concrètement, notre travail permet d’élargir notre influence et de casser ce procès en dilettantisme", complète Marie-Pierre Vedrenne qui recense des petits détails comme "la hausse de la langue française dans les instances communautaires".

Chassez le naturel…

Malgré toutes ces avancées, la France garde tout de même ses "spécificités". Premiers coupables, les élus du RN qui, selon Stéphane Séjourné, "constituent une exception. Globalement, ils ne servent à rien, ne sont pas présents dans les majorités, font de l’obstruction, ne sont pas constructifs. Le problème c’est qu’ils sont vingt-trois". Et beaucoup font davantage parler d’eux pour leur ralliement à Éric Zemmour que pour leur travail de fond. Autre fâcheuse habitude, certains eurodéputés peuvent avoir tendance à confondre enjeux européens et situation politique nationale. Ainsi, le 19 janvier, alors qu’il s’exprimait devant le Parlement européen, Emmanuel Macron a été interpellé par Manon Aubry et Yannick Jadot qui ont attaqué le président de la République sur son bilan national. Des sorties malvenues aux yeux de nombreux responsables européens comme l’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt qui a rappelé à l’ordre le candidat EELV. Celui-ci a, hélas, fait honneur à une tradition française qui tend de plus en plus à appartenir au passé.

Lucas Jakubowicz

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