Un gouvernement pro-européen, des eurodéputés qui n’ont jamais été aussi investis, un pôle centriste à forte coloration française qui pèse sur toutes les décisions. Pour Stéphane Séjourné, président du groupe Renew Europe, c’est la recette gagnante qui permet à l’Hexagone de regagner de l’influence dans les institutions communautaires.

Décideurs. Vous estimez que le poids de la France dans l’UE a augmenté depuis 2017. Comment l’expliquer ?

Stéphane Séjourné. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, notre pays peut compter sur un président de la République qui n’a pas l’Europe honteuse. Son engagement était affirmé durant sa campagne par des mots forts et des actes symboliques tels que la présence du drapeau de l’Union européenne dans les meetings. Il s’est matérialisé dès son élection grâce à des discours comme celui de la Sorbonne et une volonté de peser dans les institutions. Pour les dirigeants communautaires, Emmanuel Macron est donc perçu comme un interlocuteur fiable qui n'a jamais mis d’éventuelles difficultés intérieures sur le dos de l’UE ; ce qui lui permet d’avancer ses idées et d’augmenter notre influence nationale.

Quelles sont les principales avancées concrètes à vos yeux ?

C’est la France qui a poussé à la création d’un "super commissariat" qui regroupe le marché intérieur, la concurrence et les nouvelles technologies. Ce poste permet à l’UE d’accéder à plus de souveraineté technologique et économique, ce qui est primordial pour peser face à la Chine, les États-Unis et ne plus faire preuve de naïveté. De plus, c’est la France qui a poussé le Parlement européen à mettre à l’agenda la neutralité carbone, le digital services act (DSA) ou le digital marketing act (DMA).

Sur quels points la France compte-t-elle avancer durant la présidence tournante ?

Soulignons un point important. Au sein de l’UE, les discussions sont mises à l’agenda du Parlement européen en amont de la présidence française. Cette dernière est donc préparée depuis 2019. La présidence tournante compte mettre en avant l’écologie, le digital et le social, domaine où la France pousse à la création d’un salaire minimum dans chaque pays, sept n’en ayant pas. C’est important pour mener à bien l’Europe sociale car le salaire minimum servira de socle aux politiques communes. La présidence française est attendue et nous devons faire preuve de leadership. Depuis le départ d’Angela Merkel, les Européens attendent beaucoup de la France.

"Depuis le départ d'Angela Merkel, les Européens attendent beaucoup de la France"

L’arrivée d’un nouveau contingent de députés français en 2019 semble avoir mis fin à un certain pantouflage, tous partis confondus. Sur le terrain, ressentez-vous cela ?

Tout à fait, je pense que c’est lié à un changement de mentalité. Pendant longtemps, en France, un mandat de parlementaire européen était vu comme un placard doré, un passe-temps n’empêchant pas d’intervenir sur la scène nationale. Les députés français étaient souvent peu investis, ce qui a porté atteinte à nos intérêts et notre prestige.  C’est fini, nombreux sont les parlementaires actuels, comme moi, à avoir choisi l’Europe comme premier mandat. C’est un signe. Le gain d’influence de la France est lié au président de la République, mais aussi à l’arrivée de nouveaux parlementaires de gauche comme de droite.

Les députés RN constituent une exception. Globalement, ils ne servent à rien, ne sont pas présents dans les majorités, font de l’obstruction, ne sont pas constructifs. Le problème, c’est qu’ils sont 23.

Le regard de nos partenaires sur la France a-t-il changé ?

Il y a eu un changement de perception notable au Parlement. Nous souffrions d’une image d’élus absentéistes, arrogants, obnubilés par le national, allergiques au compromis. Désormais, nous sommes plus investis, présents sur les rapports, les textes. Par ailleurs, cinq présidents de commission sont français, un niveau que nous n’avions jamais atteint.

"Le regain d'influence française est lié à l'arrivée de nouveaux eurodéputés, pleinement investis, de gauche comme de droite"

Pourtant, le 19 janvier, Emmanuel Macron s’est exprimé devant le Parlement européen. Certains eurodéputés français ont pris la parole pour évoquer la présidentielle et attaquer le Président sur son bilan national. La France retombe dans ses travers ?

Certaines voix ont souligné le ton véhément de l’insoumise Manon Aubry ou de l’écologiste Yannick Jadot. Je ne me joins pas à elles. Il suffit d’assister aux séances du Parlement européen pour réaliser que le débat peut y être âpre. En revanche, j’ai été choqué de voir ces députés évoquer des points qui ne relèvent pas des compétences de l’UE. Ils se sont crus à l’Assemblée nationale, ont séquestré le débat, ce qui est un manque de respect pour les autres parlementaires en plus de donner du grain à moudre à ceux qui trouvent la France arrogante et centrée sur elle-même. Du reste, Yannick Jadot a été recadré par son groupe et par l’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt. Toutefois, cela ne change rien au travail de fond effectué par les députés français depuis 2019.

"Notre groupe a mis fin au duopole PPE-PSE"

Avec Renew Europe, les centristes n’ont jamais bénéficié d’un poids aussi fort dans les institutions communautaires. Sur quels sujets apposez-vous votre patte ?

Nous sommes un groupe charnière de 101 députés issus de 23 pays, nous disposons de 6 commissaires européens et de 6 premiers ministres affiliés. Renew possède un rôle de pivot puisque, sur de nombreux votes, il permet de faire ou de ne pas faire la majorité. C’est une première dans l’histoire des instances puisque nous avons mis fin au "duopole" PPE-PSE qui ne dispose plus de la majorité absolue à deux. Nous sommes donc des faiseurs de roi mais également un pôle de modération permet de recentrer la politique puisque droite et gauche n’ont plus besoin de séduire leurs extrêmes pour faire passer des textes.

C’est grâce à nos voix que le plan de relance a été voté, sans notre concours, la PAC ne serait pas passée non plus. Notre poids nous permet de modifier des détails de textes qui nous semblent importants. Nous votons souvent avec la droite sur la politique économique. Mais, par ailleurs, nous contribuons au virage progressiste et libéral de l’UE en votant avec la gauche, notamment sur la question de l’avortement.

Avant 2019, votre groupe se nommait ADLE soit Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe. Désormais, le terme libéral a disparu. Pourquoi ?

Il est parfois un peu connoté et assimilé à ultra-libéral. Rebaptiser le nom du groupe n’a pas changé notre manière de concevoir le monde, mais il a permis d’attirer des personnalités venant de l’écologie politique comme Pascal Canfin. Il a également contribué à attirer vers nous les centristes roumains et polonais.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

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