À l’écart des médias mainstream, une nouvelle droite identitaire promeut haine de la République, vision raciale de la société et retour au Moyen-Âge. Un discours qui rencontre un certain succès grâce à une innovation : la volonté de mêler humour et extrémisme politique. Notamment la haine des "gauchistes" auxquels les auteurs ressemblent fâcheusement…

Julien Rochedy et Papacito ? Pour pratiquement tous les journalistes et faiseurs d’opinion, les deux compères ne sont que des bouffons bodybuildés, des "fachos", des masculinistes identitaires. En bref, des personnalités peu fréquentables qu’il convient d’ignorer, voire de dénigrer, traîner dans la boue ou faire taire. Mais cacher leurs idées sous le tapis ou les "cancel" est plutôt difficile car, n’en déplaise à leurs contempteurs, les deux trentenaires, fièrement ancrés à la droite de la droite, connaissent un réel succès d’audience. Les médias mainstream ne veulent pas d’eux ? Qu’importe, ils créent leurs propres canaux pour contourner ce boycott.

Le premier, ancien président du Front national de la jeunesse vit de sa plume avec succès. Ses ouvrages et conférences sur Nietzsche, le féminisme ou l’Histoire attirent un public nombreux et divers. Il est ainsi capable de rassembler plus de 300 000 internautes autour d’une conférence de près de quatre heures sur le Moyen-Âge. Son ami et acolyte, le truculent Papacito est également un véritable "piège à clics" et certaines de ses vidéos dépassent le million de vues.

Les deux amis se sont alliés pour donner naissance à un pamphlet, Veni Vedi Vici, menace sur les gauchistes. Au vu de leur force de frappe médiatique, Décideurs a fait le choix de lire et décrypter cet ouvrage qui permet d’en apprendre beaucoup sur le logiciel d’une idéologie qui a le vent en poupe. Sociologiquement intéressant, il permet de comprendre comment des individus que rien ne destinait à devenir ce qu’ils sont aujourd’hui ont opéré leur mue. Voyons ce que l’ouvrage cache sous le capot…

La bataille du rire

Commençons par lui reconnaître un mérite, celui de mettre en exergue un élément dont le grand public n’a pas forcément conscience mais qui est, en réalité, une rupture. Depuis les années 1970, la gauche post-soixante-huitarde est parvenue à obtenir une quasi-hégémonie culturelle grâce à une arme de destruction massive trop peu connue : le rire. Durant des années, les Hara Kiri, L’Echo des Savanes ou Charlie Hebdo se sont gaussés des valeurs de droite : église, nation, religion, ordre moral… Ridiculisés, moqués, les conservateurs et nationalistes ont fini par courber l’échine.

L'extrême gauche a traditionnellement utilisé l'humour pour conquérir les coeurs. Désormais, les identitaires d'extrême droite font de même.

Mais, depuis quelques années, les choses changent et les auteurs soulignent avec raison que les défenseurs des valeurs de gauche sont "devenus chiants, moralisants et vieux. Ils n’ont plus que des injonctions, du fade et de la morale" alors qu’initialement "c’est à travers l’humour, la moquerie, la dérision et le sarcasme" qu’ils ont attaqué "tous ceux qu’ils voulaient abattre". Comment leur donner tort ? Qu’il est loin le temps où la gauche se moquait des religions, ne dédaignait pas l’humour scabreux et potache !

Désormais, à ses yeux, tout est raciste, sexiste, systémique ou misogyne. La gauche de la fin du XXe siècle cassait du mollah, du curé et ne lésinait pas sur les allusions sexuelles ? Celle du début du XXIe se complaît dans la censure et le politiquement correct. Elle refuse de défendre Mila, "coupable" de blasphème, interdit les caricatures, multiplie les fatwas contre les déviants et considère toute critique de l’islam comme abjecte (il est toutefois autorisé de chanter Jésus est pédé sur une radio publique). Les écoféministes et autres intersectionnels donnent des munitions pour faire rire à leurs dépens : promouvoir la diversité dans un milieu 100 % blanc, essayer de faire cohabiter salafistes et féministes, monter sur ses grands chevaux pour des causes secondaires, parler dans un sabir mêlant concepts incompréhensibles et écriture inclusive… Que de choix pour les humoristes !

Les comptes Twitter parodiques pastichant les personnalités de gauche se multiplient, les chansonniers s’inspirent de ces nouveaux Savonarole. Et l’extrême droite s’invite avec délectation dans la danse. Ce que font Papacito et Rochedy qui, avouons-le, parsèment leur ouvrage de punchlines bien senties.

Accordons une mention spéciale à Papacito qui décrit avec humour les réunions des communistes toulousains des années 1990. Ayant grandi dans une famille d’immigrés espagnols de gauche, il conte avec délectation "les grandes tirades dans des réunions de vingt personnes comme si l’on s’adressait au public du Colisée alors que l’auditoire, c’était Dédé de la SNCF, Michou l’éduc’spé et Chantal la prof de socio" qui "miment les grands tableaux de Lénine s’adressant à une foule d’ouvriers en liesse alors que nous étions dans je ne sais quelle MJC infâme de la troisième couronne (…) en bouffant des chipsters de Belin et du saucisson Leader Price". Les saillies sur les incompatibilités inhérentes à la gauche sociétale (des islamistes se retrouvent à tracter avec des militants LGBT) ou le racisme inconscient des nouveaux antiracistes font mouche. En bref, à pratiquement toutes les pages (surtout dans les parties du roi des Wisigoths autoproclamé), le lecteur ne peut s’empêcher de réprimer un rictus, et cela quel que soit son bord politique.

Attaques en règle contre la République

Problème, entre deux blagues, les auteurs dévoilent leur vision de la société. Et celle-ci est plus qu’inquiétante pour toute personne attachée à la démocratie. Car, sous prétexte de rire des militants de gauche, les deux auteurs s’attaquent méthodiquement à la République, "cette machine à remplacer, à nier et à renverser". On devine que, sous couvert de satire, ils ne portent pas dans leur cœur cette "Ve République et son bâtard favori, le gauchisme mental" coupables de bâtir une "future Afrance, nation en construction". Le livre se termine d’ailleurs par une diatribe contre "La France républicaine, cet oxymore" qui va "crever". Et "la France tout court va renaître".

Derrière l'humour, les auteurs proposent une vision de la société qui devrait inquiéter toute personne attachée à la démocratie

Certaines phrases, notamment la mention aux rastaqouères, ressemblent étrangement à la prose de Lucien Rebatet dans Les Décombres, aux écrits de Robert Brasillach ou Drieu La Rochelle. Comme eux, ils estiment la République abâtardie, sans virilité, semblable à une poutre vermoulue. Les fascistes des années 1930 détestaient leur temps ? Rochedy et Papacito pensent de même, eux qui définissent notre époque comme "un phoque eunuque gras et asexué". Que cela soit voulu ou non, les deux auteurs partagent un autre point commun avec leurs aînés : une certaine fascination pour les régimes autoritaires, dirigés par un homme fort, tuant dans l’œuf tout débat, embrigadant la société et promouvant un modèle ethniquement homogène. Si le duo n’a rien à voir avec les néonazis nostalgiques du Reich, le régime chinois, présenté comme l’opposé de la République, est une source d’inspiration et d’admiration.

L'extrême droite est fascinée par les régimes totalitaires. En 2021, le régime chinois remplace le Reich hitlérien

Des identitaires fana du régime chinois !

"Tout ce que le Chinois dit ou pense est l’antithèse absolue de tout ce qui fait les valeurs et de tout ce que promet l’Hexagone républicain", soutiennent les auteurs qui définissent le pays le plus peuplé du monde comme "une République française en argentique négative". Certes, la Chine censure à tout va et piétine les droits de l’Homme. Mais c’est "ce qui fait de la Chine le maître du monde". Le pays garde ses frontières, est impérialiste, "se veut homogène racialement", "prend ses musulmans, les recense, les dépouille puis les grand-remplace en les faisant bosser 28 heures sur 24 dans des camps". Si une partie de l’extrême droite française de l’avant-Seconde Guerre mondiale n’aurait pas dit non à un régime hitlérien qui remodèlerait des démocraties décadentes, Julien Rochedy pressent pour sa part que la Chine dominera par la force le Vieux Continent : "J’imagine bien l’Europe, devenue chaos ethnique et à moitié africaine demander, suppliante, aux Chinois de venir exploiter ses richesses et, gentiment, lui livrer l’ordre qu’elle ne sera plus capable de gérer." Si l’ouvrage ne cache pas sa fascination pour la Chine, il chante également les louanges du Moyen-Âge.

Moyen-Âge fantasmé

Les deux auteurs semblent baigner dans une vision fantasmée de cette époque où les choses étaient si simples… Sous couvert d’humour point une nostalgie pour cette période. Principal avantage de l’époque ? La justice était expéditive et la force prenait le pas sur le droit. C’était le bon temps : "La racaille ? Croisade ! Une rave party ? Bûcher ! Un viol ? Exécution publique ! Prisons saturées ? Oubliettes ! Des punks à chiens ? Appelez le chasseur de gueux." Rien à voir avec le faible monde d’aujourd’hui : "Au Moyen-Âge, pas besoin de parler à un avocat ou de savoir écrire pour régler les problèmes. Lâchez quatre pistoles et une brute de 120 kilos avec des bourrelets dans la nuque viendra expulser la chiure." Autre perle : "Avant 1789, si la fripouille avait trahi, collaboré ou menti trop de fois, si elle avait enjoint son peuple à la dhimmitude, à la soumission face à l’envahisseur, il était admis qu’on la fracasse à coups de maillet (…) la société encore saine et dirigée par des hommes à poigne permettait cela."

Il n’empêche que, de manière tout à fait sérieuse, l’ouvrage propose un monde hobbesien où la lutte de tous contre tous triomphe, un monde dans lequel le repli sur sa tribu doit tenir lieu de ligne de conduite. Comme l’expose Rochedy, "il faut recréer des liens de pouvoir et de fraternité entre les hommes. Il faut arrêter de ne compter que sur les puissances institutionnelles et s’en remettre enfin à son clan, à sa famille, à ses amis". Évidemment, les auteurs ne mentionnent pas les petits inconvénients du Moyen-Âge : épidémies telles que la peste noire, mortalité infantile élevée, mauvais rendements agricoles… Même si cette période n’a rien à voir avec le cliché des âges sombres, elle ne semble pas être une panacée.

Falsification de l’Histoire

Respectant les canons de l’extrême droite traditionnelle, les auteurs craignent l’immigration et célèbrent valeurs viriles et catholicisme. Quitte à parfois utiliser et travestir l’Histoire. C’est ainsi que Papacito attribue la chute de l’Empire romain à une submersion migratoire Barbare : "Tant qu’il y avait un Germain pour dix Romains, Rome était restée Rome. Quand il y eut dix Germains pour un Romain, on commença à changer les menus à la cantine. Quand il y eut dix Germains pour un Romain, l’Empire romain fut donc germanisé et fut détruit durablement." Ces assertions, fondées sur une version tronquée des textes de Sidoine Apollinaire, sont une insulte à la raison. La chute de l’Empire romain est multifactorielle et, si les invasions germaniques ont joué un rôle, elles ne se sont jamais illustrées par une submersion migratoire. Les Barbares, nombreux dans l’armée, étaient minoritaires dans leurs foedus. Même les grandes migrations de 406 ou le passage du Danube par les Goths peu avant la bataille d’Andrinople sont en réalité des mouvements de population de faible ampleur.

Monde médiéval, Empire romain, Reconquista : l'Histoire fait l'objet d'une libre interprétation

Papacito prend également quelques distances avec les faits lorsqu’il chante les louanges de "l’hispanité" dont le catholicisme aurait permis la constitution de sociétés "au-dessus de toutes considérations raciales", la race n’ayant selon lui : "jamais intéressé les latins". C’est ignorer (volontairement ou non ?) la limpieza de sangre qui distinguait les bons catholiques des "mauvais" au sang maure ou juif… Par ailleurs, les esclaves convertis de force au catholicisme et tombés comme des mouches dans les champs de tabac cubains ou dans les mines des Andes ne doivent pas partager la vision assénée par Papacito…

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Le duo pourrait "matcher" avec une sensitiviy reader d'une université américaine ou avec une ecoféministe intersectionnelle.

Rochedy et Papacito, les princes du wokistan

Mais ne reprochons pas aux auteurs de falsifier l’Histoire. Après tout, ce travers est le propre des idéologues. L’extrême gauche de naguère interprétait tout sous l’angle de la lutte des classes. Les wokes anglo-saxons voient l’Empire romain comme un lieu de racisme systémique ou considèrent l’Histoire uniquement sous le prisme de l’oppression patriarcale. Cela fait au moins un point commun entre les "gauchistes", leurs descendants "wokes" et Rochedy ou Papacito. Ils l’ignorent peut-être mais ils ressemblent de manière frappante à ceux qu’ils vilipendent continuellement. Voici une petite liste de points communs…

Falsification de l’Histoire, absence de nuance, certitude d’être dans le vrai, obsession pour l'apparence des autres. Les auteurs ressemblent tellement à ceux qu’ils exècrent !

Absence de nuance : l’ancienne extrême gauche (maoïstes, trotskistes…) tout comme leurs rejetons d’aujourd’hui (les fameux wokes) recourent à un procédé rhétorique assez simple. Leur doctrine les rend automatiquement supérieurs au commun des mortels. Quiconque s’oppose un tant soit peu à eux est "hérétique". Celui qui n’embrasse pas intégralement la doxa est "fasciste", "raciste", "réac", doit être combattu et méprisé. À l’autre bout de l’échiquier politique, Rochedy et Papacito font de même. Vous n’êtes pas comme nous ? Gauchistes ! Les centristes, les socialistes, les ultra-libéraux, les gaullistes : tous vont dans le même sac. C’est "nous" contre "eux". Cette attitude explique en partie pourquoi extrémistes de gauche ou de droite ont tendance à être dispersés dans une multitude de chapelle irréconciliables.

Certitude d’être dans le vrai : Cette vision manichéenne est le propre de toute idéologie extrémiste. Bien que minoritaires, leurs défenseurs ont la certitude d’avoir raison, d’être les seuls à pouvoir améliorer le monde. Et ils semblent peu enclins à débattre.

Idéologie qui pénètre dans la vie : Pour les extrémistes de gauche ou de droite, l’idéologie est un mode de vie qui s’infiltre dans le quotidien. Les "wokes" d’aujourd’hui célèbrent sur le papier la mixité (en réalité la racisation du monde), s’imposent dans nos chambres à coucher et nos salons en nous expliquant comment s’habiller, avec qui s’accoupler, dans quel logement vivre, quels livres brûler, quels biens consommer… En sont-ils conscients ? Rochedy et Papacito se comportent exactement pareil. Eux aussi se piquent (parfois avec ironie) de nous "montrer la voie" en adoptant le bon style de vie : mode, sport, lecture, vie familiale eux aussi se voient comme des Life coachs. Bannissez les chats (ce n’est pas viril), fuyez les villes métissées, mangez de la viande, musclez vous…

Remarques sur le physique : L’ouvrage est parsemé de réflexion sur l'apparence des opposants. Ces derniers sont décrits comme flasques, mous, dénués de muscles, de vitalité, de passion et de virilité. Les pamphlets et les journaux d’extrême gauche utilisaient la même ficelle : haro sur le bourgeois adipeux et souvent cocu, sur son épouse méprisante et sophistiquée… Les wokes actuels sont du même acabit. Tout ce qui est genré est vu comme sexiste : une femme ne peut plus montrer sa beauté, l’homme doit cacher sa virilité, tout ce qui est mixte ou fluide est célébré.

Il y’a fort à parier qu’un diner entre Julien Rochedy, Papacito, une féministe intersectionnelle et un élu syndiqué de l’IEP de Grenoble pourrait donner lieu à certaines convergences. Dommage, qu’ils se méprisent mutuellement, ils auraient pu se découvrir des atomes crochus. Sandrine Rousseau et Julien Rochedy, Papacito et une obscure sensitivity reader de l’université d’Evergreen pourraient former des couples harmonieux !

Lucas Jakubowicz

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