La santé économique de Google, Amazon, Facebook et Apple est plus forte que jamais. Une situation qui contraste tellement avec le reste de l’économie qu’elle interpelle les pouvoirs publics.

Quels souvenirs garder des longs mois de confinement qui ont vu, au plus fort de la crise sanitaire, 4,6 milliards de personnes assignées à résidence ? Sûrement une volonté d’éviter les commerces au maximum, de longues heures passées à discuter par messagerie ou à se gaver de vidéos en ligne. Une période qui a fait les malheurs de bien des entreprises ; mais qui a accru la mainmise des Gafa sur l’économie mondiale. Alors que tous les pays du monde présentent d’ambitieux plans de relance pour tâcher de contenir une récession à deux chiffres, les PDG de Google, Amazon, Facebook ou Apple peuvent légitimement sabler le champagne. Leurs résultats du second trimestre 2020, présentés le 31 juillet, font en effet des envieux.

Merci le confinement

Amazon peut se targuer d’avoir augmenté son chiffre d’affaires de 40% par rapport à la même période l’année précédente grâce à un boom sans précédent des ventes en ligne. Boom que n’a pas entravé la décision française de fermer six entrepôts de l’Hexagone pour raison sanitaire mi-avril. Le groupe de Seattle a également tiré parti de son investissement dans le divertissement grâce à Amazon Prime Vidéo qui a même bénéficié de la fermeture des cinémas pour intégrer à son catalogue certains films dont la sortie en salle a été repoussée ou annulée. C’est notamment le cas de Pinocchio de Matteo Garrone ou de Forte de Katia Lewkowicz. La très forte croissance du télétravail a également dynamisé la filiale AWS (Amazon Web Services).

Apple, de son côté, est entré dans la crise sanitaire avec un sérieux handicap puisque, mi-mars, Tim Cook, successeur de l’emblématique Steve Jobs a annoncé dans un communiqué de presse qu’il fermait tous les Apple Store. Une mesure vue comme « la plus efficace pour minimiser la transmission du virus ». Les analystes, qui tablaient sur un repli de chiffres d’affaires de 3%, se sont trompés dans leur pronostic : le CA trimestriel de la firme à la pomme a bondi de 11% pour atteindre 59,7 milliards de dollars dont 13 milliards pour la seule activité de services (AppStore, Apple Music, Apple Pay…). La vente d’Iphones se porte bien puisque l’Iphone SE a représenté 30% des 45 millions de smartphones vendus au second trimestre.

Sur le second trimestre 2020, le CA d'Amazon a augmenté de 40% par rapport à l'année précédente

Sur la même période, Facebook n’a pas à rougir puisque les revenus du groupe ont grimpé de 11% également pour atteindre un record de 18,7 milliards de dollars. Certes, pour cause de récession, de nombreux grands groupes ont taillé dans leurs budgets publicitaires. Qu’à cela ne tienne ! Le marketing ciblé sur Facebook et Instagram, qui fait partie du groupe fondé par Mark Zuckerberg, ont largement permis de compenser le manque à gagner potentiel.

Seul Google sous-performe avec une légère baisse du chiffre d’affaires de 2%. Si YouTube a tiré son épingle du jeu pendant le confinement, à l’instar des autres plateformes vidéo, cela n’a pas permis de compenser les pertes d’un groupe qui dépend beaucoup de gros annonceurs tels que les voyagistes ou les compagnies aériennes. Pas de quoi alarmer son dirigeant Sundar Pichai, qui, dès l’été, a "perçu des signes de stabilisation" et a donné rendez-vous aux actionnaires fin octobre pour la présentation des chiffres du second trimestre.

Record en Bourse 

Logiquement de telles performances ont été saluées en Bourse où les Gafa battent les records malgré une récession générale de l’économie mondiale. En septembre, la capitalisation boursière d’Amazon a atteint un record historique de 1 200 milliards de dollars. Une somme considérable qui, à titre de comparaison, est plus de cent fois supérieure à celle de Carrefour, pourtant numéro deux mondial de la grande distribution alimentaire derrière Walmart. De quoi conforter Jeff Bezos dans sa place d’homme le plus riche du monde, lui qui se rémunère en partie en action.

Apple fait mieux encore puisque le groupe dirigé par Tim Cook a récupéré fin juillet le titre d’entreprise à la plus grosse valeur boursière du monde. Au mois de décembre 2019, la firme de Cupertino avait été contrainte de céder sa place au saoudien Aramco qui vaut désormais 1 760 milliards de dollars contre 1 760,5 pour Apple. Pour donner un ordre d’idée, le montant équivaut à 97% de la capitalisation boursière du Cac40 à la même période !

En juillet la capitalisation boursière d’Apple équivalait à 97% de celle du CAC40

Ces résultats sont des signaux importants envoyés aux actionnaires appelés à financer des investissements faramineux. Amazon, par exemple, a recruté plus de 100 000 collaborateurs dans le monde depuis le début de l’année et compte augmenter de 50% sa capacité de stockage d’ici 2020. Les Gafa prennent une importance telles qu’ils commencent à effrayer certains États, dont les États-Unis pourtant berceaux de ces mastodontes économiques.

Des Gafa plus puissants que les États ?

Le 30 juillet, les patrons des Gafa, Sundar Pichai, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg et Tim Cook ont été interrogés durant 5 heures par le Congrès estimant que leur toute puissance pouvait entraver la concurrence, l’innovation et, de ce fait, la reprise économique. En guise d’ouverture de la séance, l’élu démocrate de Rhode Island David Cillicine a même déclaré que "Nos fondateurs ne s’inclineraient pas devant un roi. Nous ne devrions pas non plus nous incliner devant les empereurs de l’économie en ligne". Les quatre fondateurs ont passé des heures délicates. Google s’est vu accusé de "voler le contenu d’honnêtes entreprises", "d’abuser de son pouvoir pour identifier et écraser ses concurrents", tandis qu’Amazon a été dépeint comme un géant qui "intimide", "fait peur" et "panique" les commerçants.

Dans l’Union européenne, première puissance économique et commerciale du monde, les Gafa sont également dans le collimateur de Bruxelles et des Etats-membres qui leur demandent de contribuer davantage à la relance économique. Pour financer son plan à 750 milliards d’euros, l’UE a la ferme intention de mettre les Gafa à contribution. Et ces derniers pourront difficilement jouer sur d’éventuelles dissensions entre membres puisque, pour une fois, ils semblent unanimes.

Les inquiétudes des administrations américaines et européennes ne doivent pourtant pas inquiéter les Gafa quant à leur devenir. Leur démantèlement n’est plus d’actualité et leur puissance est telle qu’ils font plus partie de la solution globale que du problème. De quoi leur donner une puissance pratiquement égale à celle d’un Etat souverain.

Lucas Jakubowicz

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