On s’y attendait et, dans son allocution du 19 avril, Édouard Philippe l’a confirmé : la fin du confinement annoncée huit jours plus tôt par le Président Macron ne serait pas synonyme de retour à la normale pour les Français. Durant une heure trente, le Premier ministre, accompagné du ministre de la Santé, Olivier Véran, a dressé un état des lieux de la crise sanitaire : saluant les avancées accomplies, évoquant les défis à venir, puis détaillant les conditions d’un déconfinement qui, a-t-il insisté, se devra d’être progressif.

Son intervention était presque aussi attendue que celle, huit jours plus tôt, du président de la République. Et pour cause. Si l’allocution d’Emmanuel Macron annonçait la fin du confinement, celle d’Édouard Philippe devait en détailler les modalités. De quoi susciter l’intérêt de millions de Français sur le point d’entamer leur cinquième semaine de distanciation sociale et de gestes barrières… Durant une heure trente, le Premier ministre s’est donc exprimé sur les sujets attendus, dressant un bilan de cette crise sanitaire "d’une ampleur que nous n’avions pas connue dans l’Histoire moderne" – ; évoquant les défis – sanitaires, économiques, sociaux… – générés par la pandémie, dessinant les contours de l’après-confinement mais aussi, défendant son bilan dans la gestion de cette crise sans précédent, en se félicitant des points marqués contre le virus tout en en appelant chacun à la prudence. Dans l’appréciation du recul de la maladie, comme dans celle de la suite. 

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"Sans le confinement, l'épidémie se serait propagée et les services de réanimation auraient été saturés"

De la riposte contre la pandémie…

"Si nous marquons des points contre l’épidémie et que la situation s’améliore progressivement, nous ne sommes pas sortis de la crise sanitaire. Croire que, parce qu’elle a cessé de progresser, elle est derrière nous serait une erreur". Dès le début de son intervention, Édouard Philippe donne le ton. Et une fois de plus celui-ci se veut prudent. Prêt à doucher tout excès d’optimisme susceptible d’accompagner l’annonce d’un recul progressif de la contamination et, ainsi, à parer à toute tentation de relâchement. Car le Premier ministre le répète, chiffres du Professeur Salomon, directeur général de la santé, à l’appui, on assiste à une lente décrue de l’épidémie mais le nombre de personnes hospitalisées en raison du virus – plus de 30 600 au total – reste élevé. Et le risque de voir ceux-ci repartir à la hausse dans le cas d’un retour de la pandémie, réel. Sans compter que, si la crise sanitaire commence à marquer le pas, la crise économique, elle, ne fait que commencer.

… à celle contre la récession

Là encore le Premier ministre ne mâche pas ses mots : "Elle sera brutale." Au point de se traduire par « la plus forte récession connue en France et dans le monde occidental depuis 1945". Et de rappeler les chiffres, sans appel : une croissance négative de - 8% sur l’année en cours, une baisse de 36 % de l’activité économique durant le confinement, de 43 % dans l’industrie, de 88 % dans la construction et, bien entendu, une quasi-cessation d’activité pour les secteurs de la restauration et de l’hôtellerie… Le choc promet d’être violent. Pour l’amortir, Édouard Philippe rappelle l’objectif du gouvernement : sauvegarder ce qui peut l’être aujourd’hui pour relancer ce qui pourra l’être demain. "Il faut ne pas perdre notre tissu productif !", insiste le Premier ministre avant de rappeler les mesures d’urgence mises en œuvre pour y parvenir : le chômage partiel qui concerne 700 000 entreprises et 9 millions de salariés et qui, moyennant un coût de 24 milliards d’euros pour l’État, devrait permettre d’éviter le chômage à une majorité de salariés français dans un période où "22 millions de travailleurs américains ont déjà basculé dans le chômage …".

Autre urgence pour assurer la sauvegarde de l’économie : s’assurer que le système bancaire puisse continuer à prêter aux entreprises. "Pour cela, poursuit le Premier ministre, nous avons garanti les emprunts consentis par les banques aux entreprises avec une enveloppe de 300 milliards d’euros et 18 milliards déjà distribués." Ce à quoi s’ajoute la création d’un fonds de solidarité à destination des TPE : soit 7 milliards d’euros destinés à venir en aide aux entreprises de moins de dix salariés.

Hôpitaux : la menace de la saturation écartée

Autre sujet de satisfaction dans la gestion de la crise : l’augmentation massive des capacités hospitalières, notamment dans les services de réanimation où, rappelle le Premier ministre, le nombre de lits est passé au cours des dernières semaines de 5 000 à 10 500 ce qui, ajouté aux effets du confinement sur la circulation du virus, aura évité l’écueil de la saturation en permettant que le nombre de cas sévères demeure inférieur à la capacité d’accueil de ces services. "Pour produire ces effets, les conditions du confinement devaient être mises en œuvre. Sans le confinement, l’épidémie se serait propagée et les services de réanimation auraient été saturés", martèle Édouard Philippe avant de saluer la performance d’un système hospitalier qui "a tenu au prix d’une solidarité nationale et internationale importante". Une référence aux 644 opérations d’évacuations sanitaires organisées entre régions où vers des pays proches  "véritables exploits logistiques, médicaux et humain" – ayant permis de soulager les hôpitaux des régions les plus touchées… 

Masques, respirateurs, médicaments… la guerre de l’approvisionnement

Plus délicat, le sujet de l’approvisionnement en masques, conduit le Premier ministre à, là encore, défendre l’action du gouvernement sans pour autant nier quelques ratés. Évoquant la demande qui, partout, explosait alors même que les importations en provenance de Chine étaient à l’arrêt, il reconnaît des problèmes d’approvisionnement aujourd’hui en cours de résolution grâce à une production nationale passée de 4 à 8 millions en quelques semaines et à la mise en place de ponts aériens ayant permis, dès le mois de mars, de reprendre les importations de masques en provenance de la Chine. "Cette semaine, pour la première fois depuis longtemps, nous avons réussi à importer plus de masques que nous n’en consommons, se félicite Édouard Philippe ; ce qui nous permet d’envisager un élargissement de la politique de distribution des masques dans les prochaines semaines". De son côté, Olivier Véran souligne que 5 millions de masques supplémentaires seront déstockés dans la semaine et distribués à des professionnels de santé. Même ton rassurant avec les respirateurs, blouses, gants et autre matériel hospitalier régulièrement menacés de pénurie ces derniers temps, même si, pour le ministre de la Santé, "il reste un point de grande vigilance : la question des médicaments de réanimation dont la consommation mondiale a explosé de 2 000 %". Une "situation de tension et de saturation (qui) doit nous maintenir en alerte et nous amener à constituer des stocks" d’une part, déclare Olivier Véran, mais aussi nous inciter à produire ces traitements sur le territoire national. "Question de souveraineté"

Grand âge, personnes vulnérables : la lutte contre l’isolement

Autre point fort parce que très attendu de l’intervention du Premier ministre, celui portant sur la gestion des Ehpad. Il y a quelques semaines, la décision d’isoler les résidents avait suscité l’émotion et, parfois, la critique. Voilà désormais le droit de visite rétabli quoique très encadré. Non seulement dépendant de "la demande du résident" mais aussi limité à un contact visuel, tout rapprochement physique demeurant exclu. Toujours sur le sujet du grand âge, Olivier Véran salue le professionnalisme et l’engagement des 800 000 professionnels du secteur avant de rappeler les mesures prises par le gouvernement pour soutenir leur action, que ce soit en reliant chaque Ehpad à une permanence gériatrique, en y envoyant quelque 1 500 volontaires ces dernières semaines ou par le biais de la campagne de dépistage qui, désormais, y "bat son plein avec 50 000 tests programmés et réalisés" au cours de la semaine passée.

Même chose du côté des personnes vulnérables à domicile pour qui, rappelle le ministre, "le confinement est encore plus lourd à vivre" et qui bénéficient, entre autres, aujourd’hui, d’un accès facilité à la télémédecine et d’une prolongation de la durée de validité des ordonnances dans le cadre des maladies chroniques. "Il ne faut pas confondre mise à l’abri qui protège et isolement qui fragilise, déclare Olivier Véran. Depuis le début, nous luttons contre l’isolement pour les personnes vulnérables." Pas question, donc, pour le gouvernement de voir le confinement devenir synonyme de renoncement aux soins. Or les consultations diminuent de façon drastique avec des baisses constatées de 40 % chez les généralistes, de 60 % chez les spécialistes, mais aussi un fort recul de la vaccination, du dépistage du cancer et des maladies mentales… "C’est grave et cela doit nous alerter", assène Olivier Véran qui évoque également les mesures mises en œuvre pour lutter contre la précarité qui, "on le sait, accentue toujours les crises". Prolongation de la trêve hivernale, maintien des prestations sociales, aide exceptionnelle de solidarité pour 4 millions de ménages versés à compter du 15 mai… une façon de répondre à l’urgence sociale accentuée par la crise qui, pour le ministre, "est la fierté de notre pays".

"Notre vie à partir du 11 mai ne sera pas celle d'avant le confinement, pas encore"

"Vivre avec le virus"

Reste à détailler non pas les modalités précises de ce que serait la vie post-confinement – cela, le Premier ministre le fera dans quinze jours a-t-il déclaré – mais "les principes" sur lesquels celle-ci reposerait. Dès les premières minutes de son intervention, Édouard Philippe s’était montré clair : l’après 11-mai, "ce ne serait pas le retour à la situation d’avant", mais la première étape d’un processus inscrit dans le temps. "Notre vie à partir du 11 mai ne sera pas celle d’avant le confinement ; pas encore", déclare-t-il. Puisque la circulation du virus est restée trop restreinte pour que la population soit immunisée, que le pays ne dispose pour l’heure ni de vaccin, ni de traitement, le Premier ministre pointe ce qui apparaît être l’unique option : "Nous allons devoir apprendre à organiser notre vie collective avec le virus". Pour y parvenir, deux principes essentiels ont été retenus :  préserver la santé des Français et assurer la continuité de la vie de la Nation.

Le premier, essentiel insiste-t-il, repose encore et toujours sur la prévention : les gestes barrières, à maintenir coûte que coûte, les tests, rapides et massifs, de toutes les personnes considérées comme à risque – l’objectif étant de passer de 25 000 tests réalisés par jour à l’heure actuelle à 500 000 par semaine à compter du 11 mai – et enfin, l’isolement des porteurs du virus. "C’est la seule méthode qui nous permettra de freiner la propagation du virus", déclare Édouard Philippe.

Reste le deuxième objectif, tout aussi primordial, visant à assurer, après la survie des Français, celle de la Nation. Une ambition qui passe par la nécessité de continuer à produire, nourrir, transporter, mais aussi assurer l’école, l’investissement, la solidarité… "Tous ces éléments constitutifs de la vie de Nation qu’on ne peut pas geler éternellement" mais qui devront, pour "permettre de relancer la machine", se conformer aux gestes barrières et règles de distanciation… Un impératif qui devra passer par le maintien, "chaque fois que c’est possible", du télétravail et, à compter du 11 mai, par le port possiblement obligatoire du masque dans les transports mais qui permettra la réouverture progressive des commerces – à l’exception de celle des cafés et restaurants…– et celle des écoles selon des scénarios à l’étude localement et pensés en fonction des situations de chaque région (demi-classes par alternance, réaménagement des locaux, etc.). Là encore, Édouard Philippe se montre ferme : "Les écoles n’ouvriront pas partout le 11 mai et ne fonctionneront pas comme elles le faisaient avant confinement ; mais elles doivent commencer à rouvrir", déclare-t-il. Trop d’élèves – de 5% à 10% selon les estimations – étant, depuis le début du confinement, privés de tout contact avec l’école. "C’est une situation qui, conclut le Premier ministre, présente un grave danger pour la Nation" ; et qui, de fait, ne peut s’éterniser. Tout comme le confinement, en somme.

Caroline Castets

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