Theresa May se heurte, côté européen, à des partenaires auprès de qui elle a épuisé ses marges de négociation et, côté Parlement britannique, à une opposition multiple.

Certains y verront une vraie leçon de résilience politique. D’autres, et ils n’ont pas manqué de le faire savoir, une manifestation de mépris patente à l’égard de l’opposition. Toujours est-il que la capacité de Theresa May à encaisser les coups force sinon l’admiration, du moins le respect. Au cours des derniers jours, la Première ministre britannique aura dû faire face au rejet massif de l’accord laborieusement ramené de Bruxelles fin novembre. Un rejet survenu le 15 janvier dans une proportion tellement massive qu’il se sera vu qualifier de « pire raclée parlementaire depuis quasi un siècle » par le leader travailliste Jeremy Corbyn, au désaveu d’une partie de ses troupes 118 députés conservateurs ayant pour l’occasion choisi de rallier les voix de l’opposition et, dans la  foulée, à une motion de censure à laquelle elle aura survécu de justesse. Une série noire qui aurait entamé la détermination de plus d’un dirigeant politique. Pas celle de Theresa May qui, au terme de cette semaine horribilis, est apparue inchangée, droite dans ses bottes et inflexible dans son message, lequel peut désormais se résumer en ces termes : ce sera une sortie avec mon accord ou une sortie sans accord.

Copié-collé

C’est donc sans surprise que, dans l’obligation de proposer à la Chambre des communes un « plan B » dès le 21 janvier, la cheffe du gouvernement s’en est tenue à un copié-collé de l’accord précédent. Seules concessions de sa part: la promesse de se montrer plus à l’écoute des parlementaires et celle de retourner à Bruxelles pour y reprendre les négociations sur l’épineuse question du « backstop » ; ceci sans la moindre précision sur la façon envisagée pour y parvenir. De quoi accentuer les crispations dans les rangs, de plus en plus fournis, de ses détracteurs.

« Le gouvernement ne semble pas avoir pris la mesure de sa défaite, déclarait ainsi le leader travailliste Jeremy Corbyn au lendemain de sa présentation du supposé Plan B. La Première ministre doit modifier ses lignes rouges. Son accord ne peut pas être mis en œuvre. Elle doit faire face aux réalités. » Si ce n’est que, souligne Catherine Mathieu, directrice de recherche à l’OCDE et spécialiste du Brexit, on pouvait difficilement imaginer Theresa May en capacité d’obtenir quoi que ce soit en quelques jours qu’elle n’aurait pu obtenir en près de deux ans de négociation. Un constat qui résume, à lui seul, le caractère inextricable de la situation…

Opposition multiple

« Cela fait plus de dix-huit mois qu’elle négocie avec l’Union européenne, rappelle l’experte ; aussi, lorsqu’elle est parvenue à un accord, en novembre, elle savait qu’elle n’obtiendrait pas plus, que celui-ci était le meilleur possible. » D’où sa marge de manœuvre d’autant plus réduite que, côté parlementaires, aucune alternative à cet accord ne fait consensus. Et pour cause : si ces derniers sont dans une large majorité opposés au texte qu’elle  leur a été proposé mi-janvier, leurs raisons divergent. Certains veulent voir la date du Brexit repoussée, d’autres demandent un second référendum, d’autres encore préféreraient une sortie sans accord qu’une sortie avec cet accord… De quoi compliquer encore l’équation pour Theresa May qui se heurte, côté européen, à des partenaires auprès de qui elle a visiblement épuisé ses marges de négociation et, côté Parlement britannique, à une opposition multiple.

Double peine

Seul point de relatif ralliement : le backstop qui cristallise les mécontentements. Catherine Mathieu revient sur le principe de ce filet de sécurité censé, une fois le Royaume-Uni sorti de l’Union européenne, éviter le rétablissement d’une frontière physique qui, en Irlande, irait à l’encontre de l’accord du Vendredi saint, lequel y garantit la paix depuis trois décennies.

« Selon l’accord négocié, le Royaume-Uni sort bien de l’Union européenne le 29 mars, explique-t-elle. S’ensuit une période de transition au terme de laquelle, si aucune solution n’a été trouvée pour éviter le rétablissement d’une frontière en Irlande, le Royaume-Uni reste dans l’Union douanière sans date limite. » Un flou temporel qui pose problème, les parlementaires y voyant le risque pour le pays de demeurer indéfiniment dans l’Union douanière, ce qui impliquerait d’une part de rester tributaire de réglementations commerciales sur lesquelles il n’aurait plus de prise tout en lui interdisant, d’autre part, de négocier librement avec le reste du monde. Une perspective de double peine en somme contre laquelle les hard brexiters, plus encore que les autres, sont vent debout. Raison pour laquelle, estime Catherine Mathieu, en s’engageant à obtenir sa révision, Theresa May cherchait surtout à rassurer son propre camp, les Conservateurs étant les plus hostiles à cette mesure en raison des effets qu’elle risquerait d’avoir sur la future liberté commerciale du pays. Reste que, reprend-elle, « Si l’Union européenne ne lâche rien, que Theresa May reste sur sa ligne « c’est cet accord ou pas d’accord », alors il y a de fortes probabilités pour que le no deal l’emporte. » Avec tous les risques que cela comporte de part et d’autre.

Caroline Castets

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