Plusieurs organisations professionnelles représentant bailleurs et enseignes s’opposent vertement à la décision prise par Emmanuel Macron de fermer à nouveau les commerces définis comme "non essentiels". Décryptage des problématiques qui rassemblent ces acteurs jusqu’alors antagonistes.

Emmanuel Macron a réussi un tour de force : fédérer les acteurs du commerce physique. En indiquant lors de l’annonce du reconfinement que les "commerces définis au printemps comme non essentiels seront fermés", le Président de la République a provoqué l’ire des bailleurs et des enseignes.

Pas moins de 23 fédérations* représentant les commerçants fustigent, avec le soutien de la CPME et du MEDEF, une "décision de fermeture injuste, inéquitable et lourde de conséquences économiques, sociales et territoriales." Elles poursuivent : "Le succès de la lutte contre la Covid-19 repose tout autant sur l’efficacité des mesures sanitaires que sur son acceptabilité collective. Les décisions prises ne peuvent être acceptées que lorsqu’elles sont comprises et ressenties comme justes par tous. Force est de constater que ces conditions ne sont aujourd’hui pas réunies et que les inégalités et les incompréhensions restent criantes." Les 23 fédérations demande la réouverture dès le 13 novembre de l'ensemble des commerces "dans un cadre responsable et équitable." Outre les enseignes, les représentants des bailleurs montent eux aussi au créneau.

Vers une catastrophe industrielle ?


Le Conseil national des centres commerciaux (CNCC) tire également à boulets rouges sur une mesure "injustifiée et disproportionnée". "Les centres commerciaux constituent en tout état de cause des équipements dont les entrées sont strictement contrôlées et dans lesquels les mesures barrières sont rigoureusement appliquées, détaille le CNCC. Le ratio d’un visiteur pour 4 m² y a toujours été respecté depuis le déconfinement ainsi que le port du masque." Et d’ajouter : "Une telle mesure mett en danger la filière des centres commerciaux et ses 525 000 emplois en CDI, par définition non délocalisables et un quart du chiffre d’affaires du commerce de détail." Les adhérents se disent par ailleurs prêts à s’engager sur un protocole renforcé.

La Fédération des sociétés immobilières et foncières (FSIF) a joint sa voix aux organisations spécialisées en demandant au gouvernement de laisser les commerces de centre-ville et des centres commerciaux fonctionner "normalement". "L’enquête réalisée très récemment par la FSIF a démontré que 92 % de nos locataires de commerce TPE ont bénéficié de mesures de soutien de la part de nos adhérents bailleurs, dont 75 % d’abandons de loyers, ce qui témoigne de la grande fragilité de ces commerçants, souligne la fédération. Un second confinement serait fatal pour nombre d’entre eux." Et ce d’autant plus que les acteurs du e-commerce ne sont pas logés à la même enseigne souligne-t-elle.

"On suscite un report massif des ventes du commerce vers le e-commerce, en fermant les uns et en faisant la promotion des autres"

La problématique de la distorsion de concurrence


"La fermeture des commerces non essentiels vient renforcer la concurrence déloyale et prédatrice des "pure-players" du e-commerce à l’image d’Amazon qui a lancé́ une campagne de communication tapageuse à la veille du Black Friday et vient d’annoncer l’embauche de 100 000 saisonniers", regrette la FSIF. Le CNCC va même plus loin : "Les pouvoirs publics ont failli à instituer une concurrence loyale entre les formes de commerce. Ils subventionnent le e-commerce en l'exonérant de fait des taxes que payent massivement les commerçants (90 taxes différentes ; 50 Mds€ versés). Aujourd’hui, de surcroît, en pleine saison haute des activités commerciales, on suscite un report massif des ventes du commerce vers le e-commerce, en fermant les uns et en faisant la promotion des autres." L'organisation représentative des centres commerciaux demande l’interdiction immédiate du Black Friday prévu pour le 27 novembre et la taxation "massive de tous les reports opportunistes de chiffres d'affaires vers le e-commerce pendant le confinement (écart avec le chiffre d'affaires de 2019) et la redistribution aux commerçants physiques de cette ressource fiscale." 

Les représentants des commerçants dénoncent eux aussi une distorsion de concurrence : "en privant le commerce physique de sa pleine activité, elle laisse le champ libre à la seule vente à distance et fait des géants internationaux les grands gagnants de cette crise !" Il reste toutefois un infime espoir de réouverture rapide. 

La date du 15 novembre dans toutes les têtes


Emmanuel Macron a donné rendez-vous aux acteurs du commerce dans quinze jours : "Je sais que beaucoup de commerçants espéraient ne pas fermer. Je sais que pour les commerces de centre-ville je demande un très gros effort. Tenons-le avec beaucoup de rigueur pendant 15 jours. Si d’ici 15 jours nous maitrisons mieux la situation nous pourrons alors réévaluer les choses et espérer ouvrir certains commerces, en particulier dans cette période si importante avant les fêtes de noël." Certains ont néanmoins décidé d’agir sans attendre.

La Compagnie de Phalsbourg a ainsi décidé d’annuler les loyers des magasins, restaurants, salles de sport et de spectacles concernés par les fermetures administratives du 1er au 15 novembre 2020.  "Elle avait été, dès le 16 mars 2020 le premier bailleur, et l’un des rares, à annuler les loyers dûs par la quasi-totalité de ses clients-enseignes concernés par les fermetures administratives qui se sont tenues jusqu’au 11 mai 2020", rappelle le communiqué de la société fondée par Phiippe Journo à propos du premier confinement qui avait vu bailleurs et enseignes se déchirer. Une situation qui pourrait rapidement se reproduire.  

Par François Perrigault (@fperrigault)

*Rassemblement des opticiens de France ; Fédération des enseignes de la chaussure ; Fédération nationale des détaillants en maroquinerie et voyage ; Union de la bijouterie horlogerie ; Fédération des industries diverses de l'habillement ; Fédération de la maille, de la lingerie & du balnéaire ; Fédération des commerces spécialistes des jouets et des produits de l'enfant ; Fédération française de la franchise ; Union du grand commerce de centre-ville ; Conseil du Commerce de France ; Fédération française de parfumerie sélective ; Fédération française du prêt à porter féminin ; France Industries créatives ; Fédération nationale de l'habillement ; Fédération des commerces spécialistes des jouets et des produits de l'enfant ; Fédération pour la promotion du commerce spécialisé ; Alliance du commerce ; Fédération du commerce coopératif et associé ; Union française des industries mode & habillement ; Fédération française du négoce de l'ameublement et de l'équipement de la maison ; Fédération française des industries du vêtement masculin ; Union sport & cycle ; Confédération des arts de la table.
 

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