Enfin autorisé à communiquer avec les médias, Carlos Ghosn contre-attaque. Niant toute forme de malversation et arguant du fait que tout ce dont on l’accuse était connu des dirigeants de Nissan, l’ex-patron invoque un complot destiné à l’écarter alors qu’il s’apprêtait à renforcer l’intégration de Renault et de ses deux alliés japonais, Nissan et Mitsubishi.

Dix semaines. C’est ce qu’il aura fallu aux autorités japonaises pour autoriser enfin Carlos Ghosn à communiquer via quelques interviews menées sous bonne garde du fond de la prison de Kosuge, au nord de Tokyo, où le patron star, artisan de l’Alliance Renault-Nissan et véritable sauveur du constructeur japonais, est incarcéré. Le 19 novembre dernier, l’annonce de son arrestation pour abus de confiance aggravé et malversations financières faisait l’effet d’un coup de tonnerre dans l’univers feutré du CAC40. Placé en détention préventive – et censé y rester jusqu’au 10 mars, au mieux -, soumis, des semaines durant, à un régime carcéral digne d’un malfrat récidiviste dont, par deux fois, la demande de mise en liberté sous caution se verra refuser, lâché par l’ensemble de la classe politique française, accablé par la direction de Nissan et finalement contraint à démissionner de son poste de PDG de Renault, le patron déchu devra attendre le 30 janvier pour pouvoir s’exprimer dans les médias. Lorsqu’il le fait enfin, c’est pour clamer son innocence et dénoncer « un complot » visant à l’écarter dans le but de l’empêcher de mener à bien son projet d’intégration accrue au sein de l’Alliance.

Ressentiment

Un projet qui visait à regrouper Renault, Nissan et Mitsubishi sous une même holding propriétaire de l’intégralité des actions de chacun et devant « être basé sur les performances solides de chaque entreprise », expliquera Carlos Ghosn aux Échos, soulignant que cette réorganisation, qui visait à « garantir la stabilité de l’Alliance », avait suscité beaucoup de  « résistances » dès le départ – il y a plus d’un an, et avant même que le sujet ne donne lieu à des discussions avec le directeur général de Nissan, Hiroto Saikawa. À l’origine de cette opposition larvée, on trouve d’abord, à en croire la presse nippone, le ressentiment croissant éprouvé par Nissan face au « déséquilibre » des forces en puissance au sein de l’Alliance – Renault détenant 43 % de Nissan et Nissan seulement 15 % de Renault – et alimenté ces dernières années par la rémunération perçue comme excessive de Carlos Ghosn.

« Une affaire de trahison »

Un « passif » auquel se serait récemment ajouté, selon ce dernier, les inquiétudes liées aux performances en baisse de Nissan sur ces deux dernières années et la situation délicate dans laquelle cela pouvait, potentiellement, placer le numéro un japonais du constructeur : Hiroto Saikawa. « Lorsque la performance d’une entreprise baisse, aucun PDG n’est immunisé contre un limogeage… », déclarait ainsi Carlos Ghosn aux Échos. De là à imaginer son homologue japonais prêt à orchestrer sa chute ? Difficile à dire à ce stade mais pour l’ex-homme fort de l’Alliance, « aucun doute, c’est une affaire de trahison ». Une machination reposant sur des « faits sortis de leur contexte » et une « distorsion de la réalité » destinés à « détruire sa réputation ». Quant aux accusations dont il fait l’objet, il les réfute point par point.

Tout le monde savait…

Soupçonné d’avoir dissimulé une partie de sa rémunération au fisc japonais, l’intéressé répond qu’on lui reproche de « ne pas avoir déclaré des revenus qu’(il) n’a pas reçus ». À propos des versements effectués sur le compte de son ami, le milliardaire saoudien Khaled al Juffali,  pour un total de 12,8 millions d’euros? Il évoque une juste rétribution approuvée par plusieurs cadres dirigeants de Nissan en échange de l’appui décisif de celui-ci en Arabie saoudite et non, comme le juge l’en accuse, le remboursement de sommes prêtées pour couvrir des pertes personnelles. L’achat de demeures luxueuses, à Rio de Janeiro et à Beyrouth ? Des acquisitions approuvées par Nissan et justifiées par la nécessité, pour son président, de disposer au Brésil comme au Liban « d’endroits sûrs pour travailler et recevoir du monde». Et, récurent dans la défense de Carlos Ghosn, cet argument de poids mainteS fois avancé  : « Tout le monde était au courant » ; l’ex-patron insistant : s’il s’agissait d’actes « répréhensibles », « pourquoi ne m’a-t-on rien dit ? ». De quoi mettre à mal l’accusation puisque, du côté de la direction de Nissan, non seulement on ne pouvait ignorer les faits imputés au président de l’époque mais, comme celui-ci n’a pas manqué de le souligner, on les avait autorisés.

Caroline Castets

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail