Entre bitcoin et gestion passive, en passant par les banques centrales, le gérant phare de la diversification nous livre ses avis tranchés sortant des sentiers battus. Sa société de gestion porte bien son nom, TOBAM ou "Think Out of the Box Asset Management". Entretien avec Yves Choueifaty, son président fondateur.

Décideurs. Vous êtes un gérant quantitatif, qu'est-ce que cela signifie ?

Yves Choueifaty. TOBAM c’est une équipe de 51 personnes dont 23 mathématiciens. Un gérant quantitatif qui s’oppose à la gestion passive sans pour autant faire de gestion de conviction ou "judgmental" en anglais. Un gérant quantitatif applique systématiquement des décisions calculées par un modèle. TOBAM se résume en un mot : diversification. Nous créons le portefeuille le plus diversifié que l’on puisse créer dans un univers d’investissement donné. Ce portefeuille est constitué d’actifs faiblement corrélés les uns aux autres et n’exhibe pas de biais en matière de répartition des risques.

TOBAM a créé le premier fonds ouvert en bitcoin en 2017. Pourquoi ?

Certains salariés de TOBAM, mathématiciens, se sont intéressés assez tôt à ce nouvel objet mathématique. Au-delà de cet intérêt personnel, le bitcoin n'est corrélé à rien d’autre, ce qui le rend extrêmement diversifiant. C’est donc tout naturellement que TOBAM s’y est intéressé. Entre 2013 et 2016, la liquidité du bitcoin s’est accrue d’un facteur 1 000, le rendant beaucoup plus accessible aux institutionnels. Nous avons écrit en 2016 une thèse d’investissement sur le bitcoin, et l’AMF nous a autorisés à lancer le premier fonds ouvert en bitcoin au monde dès 2017.

"Le grand frein, c’est l’ignorance"

Le bitcoin, c’est très dangereux, c’est comme le chlore. Mais si vous versez une goutte de chlore dans un verre d’eau, vous aurez de l’eau potable. De même, si vous mettez une quantité raisonnable de bitcoin dans un portefeuille diversifié, vous allez augmenter sa diversification et baisser son niveau de risque. Le grand frein, c’est l’ignorance. Le bitcoin est une innovation disruptive qui peut améliorer le monde, niée ou combattue par certains comme le veut le cycle de Kübler-Ross, du nom d'une psychiatre qui a étudié les stades du deuil, qui aboutit, à la fin, à l'adoption. Ce chemin n’est pas immédiat. Rappelez-vous, il fallait combattre les trains, les voitures, les ordinateurs personnels, les téléphones portables, Internet…

Dans la continuité, vous venez de lancer un nouveau fonds lié aux cryptomonnaies…

Le législateur, dans sa volonté d’encourager les particuliers à se diversifier vers la crypto, a permis dans la loi Pacte, effectivement, de créer des portefeuilles exposés partiellement aux actifs numériques. Le fonds TOBAM BTC-Linked and Blockchain Equity détient ainsi 10 % de bitcoin et 90 % d’actions corrélées à celui-ci, telles que des places de marché ou des mineurs. Il sera référencé chez les assureurs innovants ayant à cœur l'intérêt de leurs clients… On a cette chance d’être en 1995 sur Internet.

"On a cette chance d’être en 1995 sur Internet"

Le bitcoin correspond à un besoin qui se résume assez bien en regardant le bilan de la Fed. Celui-ci a augmenté en moyenne de 20 % tous les ans depuis 2008. Il y a quelques mois, le patron d’un des plus gros hedge funds américains me confiait que demeuraient pour lui deux petites questions sur le bitcoin, résolues depuis. Ma réponse a été la suivante : "Moi, c'est au dollar que je ne comprends plus rien". La manière la plus simple de résoudre la problématique de la gestion de la masse monétaire, c’est de décider qu’elle est constante. La proposition de valeur économique du bitcoin tient en une seule phrase : il y en a 21 millions. Tout le reste c’est un détail.

TOBAM possède une collection d’art contemporain, vous devez avoir un œil sur les NFT (non-fungible token) …

Nous avons "minté" des NFT, de même que nous avons un nœud bitcoin. Le cœur de TOBAM, c’est la recherche, théorique et expérimentale. Le peintre vivant le plus cher du monde est David Hockney, qui peint avec sa palette graphique sur iPad. L’œuvre d’art aujourd’hui c’est souvent des 0 et des 1, de l’information. Cette digitalisation de l'art pose des problèmes : la conservation, l’authenticité, le marché… Comment distinguer l’original de la copie ? La blockchain apporte des réponses. L’œuvre d’art numérisée implantée dans la blockchain peut postuler à l'éternité.

Quels sont les principaux enjeux de la gestion d'actifs ?

La gestion d’actifs c’est comme la presse : un monde qui est menacé et qui doit sans cesse se réinventer. Deux sujets m’inquiètent. Le premier concerne la démocratie, parce que nous n’avons pas encore trouvé l’antidote à la paupérisation du journalisme. Le jour où le dirigeant parle directement au peuple, sans médias actifs, on risque la démagogie et le populisme. Le problème du journaliste c’est qu’il faut le payer. Si vous arrêtez de payer le prix, vous n’avez plus la valeur ajoutée, et la démocratie peut en souffrir.

"Une chose ignoble se produit, le surdéveloppement de la gestion passive"

Le deuxième sujet qui m’inquiète est l’économie. Une chose ignoble se produit, le surdéveloppement de la gestion passive. Que produit-elle ? Rien. Elle est passive, inutile. Elle parasite en réalité les gérants actifs qui produisent les prix et l’indice. L’externalité de la gestion active c’est la fabrication des prix. Sans prix, vous n’avez pas de marché efficient et sans marché efficient, l’économie va souffrir. En l’absence de gérants actifs qualifiés et payés, les prix ne voudront plus rien dire, déconnectés des fondamentaux. C’est la définition d’une bulle. Et, tôt ou tard, une bulle explose et fait des dégâts. Deux entités interviennent dans les marchés sans rationalité : les gérants passifs et les banques centrales, dont le métier est trop souvent des bulles, des prix éloignés des fondamentaux.

Le vrai dilemme en gestion d’actifs ne devrait pas être "actif ou passif" mais "diversifié ou biaisé". Ce qui fabrique de la performance dans un portefeuille, c’est la nature de l’exposition. Soit vous prévoyez l’avenir et vous avez des biais. Soit vous ne savez pas prévoir l’avenir et vous devez être diversifié.

Donc aucun biais chez TOBAM…

Nous avons un biais : nous appliquons des critères de développement durable. À ce sujet, TOBAM compense 300 % des émissions carbone. Chaque fois que je prends l’avion, c’est bon pour la planète. Mis à part cela, nous regardons uniquement les corrélations. Les marchés sont de plus en plus difficiles à prévoir. Nous appliquons la règle numéro un de la gestion de portefeuille, à savoir la diversification.

Propos recueillis par Marc Munier

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