Alors que la France, et l’Europe de manière plus générale, se montrent très prudentes vis-à-vis des technologies permettant de contenir le virus, des pays comme le Canada les adoptent. Comment ces logiciels fonctionnent-ils ? Font-ils peser un risque sur nos libertés fondamentales ? Yann Chevalier, directeur général d’Intersec, - spécialiste du traitement des données de géolocalisation - répond à ces interrogations.

Décideurs. Expliquez-nous comment les données de géolocalisation sont exploitées ?

Yann Chevalier. Quand nous nous déplaçons, notre téléphone dialogue en permanence avec le réseau, qui va garder une trace approximative de l’endroit où nous sommes. Les opérateurs ont besoin de cette localisation pour que le service de téléphonie mobile fonctionne. Ces données peuvent ensuite être monétisées. Anonymisées, elles sont traitées dans le cadre d’études afin de cibler au mieux à qui envoyer des offres marketing mais aussi pour donner de l’information aux entités publiques, telles que les collectivités locales. Par exemple, le tracé de la future ligne ferroviaire CDG Express s’appuie sur les données de SFR qui utilise la technologie d’Intersec. Les mouvements de personnes ont été analysés : d’où les gens partent-ils, où vont-ils, à quelle fréquence, etc. ? Comprendre leurs déplacements était nécessaire, d’autant que la construction de cette nouvelle offre de transport devrait coûter 1,4 milliard d’euros.

En quoi consiste votre métier ?

Nous sommes éditeurs de logiciels qui exploitent des données techniques et commerciales. Nous les développons et les installons chez nos clients, historiquement des opérateurs de télécommunications. Ces solutions permettent de comprendre les expériences clients et de les personnaliser, de modéliser les flux de populations, de mettre le doigt sur des comportements anormaux, etc.

Que proposez-vous pour aider à lutter contre la pandémie ?

Nous avons rassemblé un certain nombre de fonctionnalités déjà développées afin de construire GeoHealth. Il s’agit d’une solution permettant aux autorités de repérer des clusters de contamination, d’avertir les personnes qui se trouvent dans une zone définie ou sur le point d’y entrer. Les missions de la police pourraient par exemple être facilitées grâce au travail sur des données anonymes, en faisant apparaître les endroits où tout-à-coup des personnes s’amassent. Ce qui s’avérerait utile pour surveiller les plages, émettre des alertes en temps réel afin d’envoyer des équipes et disperser la foule, voire d’envoyer des SMS aux personnes pour les avertir du danger d’être trop nombreuses au même endroit. On sait également quand une carte SIM étrangère s’active en France. Là encore, on voit bien l’intérêt de la géolocalisation pour suivre l’évolution de la pandémie et faire le lien entre les zones à risque et les entrées sur notre territoire.

Les missions de la police pourraient être facilitées grâce au travail sur des données anonymes, en faisant apparaître les endroits où tout-à-coup des personnes s’amassent

Cet outil ne contrevient-il pas au respect de la vie privée ?

Pas du tout. Avant d’être traitées, les données sont anonymisées et elles ne donnent pas précisément l’endroit où se trouvent les personnes, le rayon étant d’environ 300 mètres. Ce qui permet par exemple de savoir si un nombre trop important de clients entrent dans un centre commercial mais nous ne pourrions pas faire ce travail à l’échelle d’un magasin. GeoHealth s’inscrit également dans une démarche préventive et d’information des populations. Il ne s’agit pas du tout de savoir sur qui fait quoi et de punir. On se contente de compter des gens dans des zones.

Pourtant votre solution semble plus appréciée en dehors de la France et même de l’Europe ?

Nous travaillions actuellement sur le sujet essentiellement pour l’Asie du Sud-Est, l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient ou encore le Canada. Cette répartition peut s’expliquer de deux manières. D’abord, des territoires comme l’Asie ont été touchés avant nous par l’épidémie. Les pouvoirs publics ont donc cherché des solutions technologiques plus tôt que les Européens. Ensuite, d’autres pays tels que le Canada – affecté depuis moins longtemps – bien qu’utilisant la technologie avec parcimonie, n’hésitent pas à innover pour sauver des vies, quitte à devoir revenir en arrière s’ils constatent être allés trop loin avec certains usages. Alors qu’en France, pays où le respect des libertés fondamentales est suivi de très près, la démarche est plutôt inverse : assurons-nous du bien-fondé de ces solutions avant de nous lancer dans quoi que ce soit. 

En France, le texto envoyé aux citoyens pour les prévenir du confinement a fait couler beaucoup d’encre. Qu’en pensez-vous ?

Le gouvernement a demandé aux opérateurs d’envoyer à leurs abonnés un SMS, à peu près en même temps, afin de les avertir de ce confinement. Il s’agissait d’un message d’intérêt général. Il ne faut pas faire d’amalgame avec des solutions qui peuvent être très intrusives, comme en Chine, pays qui agit de manière inacceptable en traçant les données personnelles de ses citoyens. Autre exemple, les datas d’Orange ont été analysées pour donner une idée du taux de départ des parisiens au moment du confinement. Là encore, ces données sont anonymes et d’ailleurs la Cnil ne régule pas ces calculs puisqu’ils n’ont pas de base à caractère personnel. On peut éventuellement remonter les informations par ville, par arrondissement ou quartier mais c’est tout. L’idée est de comprendre les flux et éventuellement d’adapter les services hospitaliers à ces mouvements.

Ces dispositifs sont-ils onéreux ?

Si ce type de solutions était exploité au maximum par les pouvoirs publics français afin de gérer l’épidémie, le budget total serait inférieur à 5 millions d’euros. 

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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