La décision de la Cour Administrative d’Appel de Paris dans le dossier Studialis apporte un éclairage intéressant sur la structuration des LBO. Yoann Chemama, manager au sein du cabinet Arsene, revient sur cette problématique.

Décideurs. Dans quel contexte s’inscrit la décision "Studialis" ?

Yoann Chemama. Cette décision de la Cour Administrative d’Appel (CAA) de Paris s’inscrit dans une série de jurisprudences relatives à la justification des taux d’intérêt appliqués sur des emprunts consentis entre "parties liées" entendues comme des sociétés appartenant au même périmètre de contrôle. L’administration fiscale a longtemps tenté de faire prévaloir une lecture très restrictive des éléments permettant de justifier du taux d’intérêt appliqué. Elle s’appuyait pour cela sur certaines jurisprudences, et notamment la décision du Tribunal Administratif de Paris concernant "Studialis". Il aura fallu attendre un avis du Conseil d’État (Wheelabrator Group) pour voir, en cohérence avec les travaux parlementaires, consacrer notamment le principe de liberté du contribuable dans les modalités d’administration de la preuve de la normalité du taux des financements intragroupes. Cependant, tout en étant salutaire, cette décision du Conseil d’Etat n’en laisse pas moins une large marge d’appréciation aux juges du fond quant à la portée des éléments de justification apportés par les contribuables.

Désormais, la décision de la CAA de Paris marque une nouvelle phase de construction jurisprudentielle consistant en la confrontation des principes aux faits. Nous espérons que cela permettra de définir une grille d’analyse la plus précise et pragmatique possible. La route semble toutefois encore longue et sinueuse pour les contribuables et leurs conseils tant les décisions rendues laissent déjà entrevoir des divergences assez marquées entre les différentes juridictions voire, s’agissant de la CAA de Paris, entre les différentes chambres…

Concrètement, quelle en est la portée ?

Il convient de rester prudent, à défaut de vision exhaustive de l’ensemble des spécificités du dossier. La décision des juges dépend de l’appréciation portée sur des éléments de faits. Néanmoins, certains aspects méritent d’être soulignés car ils amorcent une rupture avec les décisions antérieures.

En premier lieu, les juges d’appel retiennent la pertinence d’une offre non engageante de financement "mezzanine". Or, si le principe d’un recours à un référentiel obligataire, bien que conditionné, a clairement été admis par le Conseil d’Etat c’est, à notre connaissance, la première fois qu’une juridiction accepte de conférer une force probante à un tel document. Relevons toutefois qu’au cas particulier, l’offre émanait d’une banque qui avait antérieurement consenti des prêts bancaires à la société, permettant donc de conclure qu’elle avait été émise sur la base d’une analyse précise des caractéristiques de la débitrice.

Ensuite, les juges retiennent également l’existence d’une étude corroborative conforme aux approches retenues en matière de prix de transfert, basée sur une note de crédit déterminée en utilisant le logiciel statistique d’une célèbre agence de notation, à partir des comptes consolidés de la société et de ses filiales.

Ici encore, si la décision commentée peut sembler dessiner quelques pistes sur la méthodologie à suivre dans l’élaboration de telles études, la prudence reste de mise car : 1/ le recours à ces logiciels de notation, déjà admis par le Tribunal Administratif de Versailles (Wheelabrator Group), avait été critiqué quelques semaines auparavant par une autre chambre de la CAA de Paris (Willink) ; 2/ et la référence à des données consolidées a été explicitement rejetée quelque mois auparavant également par une autre chambre… de la CAA de Paris (Apex Tool) !

Enfin, rompant avec certaines jurisprudences antérieures, les juges d’appel n’ont conféré qu’une portée très relative à l’impact de l’activité de la société dans la détermination de son juste taux de financement, soulignant l’absence de spécificité du secteur auquel celle-ci appartient en matière de financement, et faisant ainsi prévaloir d’une part, le profil de risque de la société et du panel de comparables retenus et, d’autre part, les caractéristiques propres du financement en cause (rang de subordination, caractère amortissable ou non, maturité,…).

"La décision de la CAA de Paris marque une nouvelle phase de construction jurisprudentielle consistant en la confrontation des principes aux faits"

Quelles recommandations pratiques pour les entreprises ?

L’enjeu de la justification des taux d’intérêt sur les financements intragroupe est crucial, quelle que soit la physionomie du groupe auquel appartiennent les contribuables, à plus forte raison dans un environnement où l’intégration fiscale n’offre plus de protection efficace.

Dans l’attente d’un cadre d’analyse précis et uniforme, notre recommandation a toujours été de constituer, en amont, le dossier le plus complet possible afin de se préserver les meilleures chances d’emporter la conviction d’un service de contrôle ou d’un juge, dans le cadre d’un contentieux.

Dans ce contexte, l’évocation d’une offre indicative émanant de prêteurs professionnels ayant des relations soutenues avec l’entreprise débitrice ou d’une étude corroborative reposant sur les méthodes prix de transfert (et donc sur une analyse du risque de défaut pour chaque ligne de crédit souscrit) sont autant d’éléments de nature à sécuriser la déductibilité fiscale des intérêts supportés dans le cadre d’opérations de financement intragroupe. 

Néanmoins, comme évoqué ci-avant, l’issue d’un litige portant sur la justification d’un taux d’intérêt dépend essentiellement d’une appréciation précise des faits et des éléments de preuve apportés. Ce constat, corroboré par notre cumul d’expériences de contrôles fiscaux et de contentieux sur cette thématique, nous conduit à conclure qu’au-delà des "bonnes pratiques", seule une démarche proportionnée et adaptée aux spécificités du dossier sera de nature à conforter efficacement la situation fiscale des contribuables.

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