Les marchés actions sont entrés dans un bear market, avec une violence encore jamais vue. Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste, Montpensier Finance décryte les grands enjeux et les réponses apportées par les états et les banques centrales.

Décideurs. L'administration américaine est-elle préparée à une telle pandémie ? Les Américains doutent-ils de la capacité de Donald Trump à faire face à la situation ?

Wilfrid Galand. Les réactions sont assez différentes, selon qu’elles viennent des autorités locales, dont les décisions sont rapides, et l’administration centrale qui a été affaiblie par les mesures budgétaires prises par Donald Trump à son arrivée à la présidence. Certains budgets ont été coupés. De nombreux scientifiques sont partis, faute de moyens. Donald Trump s’inscrit dans une logique d’entreprise qui ne fonctionne pas dans un processus de recherches scientifiques. Lorsque le premier cas est apparu en Virginie Occidentale, on s’est rendu compte que seuls 5 tests avaient été effectués dans la zone. La réponse étatique est donc tardive. Le 28 janvier dernier, la scientifique Luciana Borio avait appelé à agir dès lors pour éviter une épidémie sur le sol américain. Il n’a suscité aucune réaction de part de l’administration. Désormais, Trump semble avoir saisi l’ampleur du problème et s’est déclaré « en guerre » contre l’épidémie.

Quelles pourraient être les conséquences sur l'économie américaine, européenne et mondiale ?

Nous voyons clairement un coup d’arrêt en Europe et aux Etats-Unis. Pour les trois premiers mois, nous ne serons peut-être pas encore techniquement en récession. Ce coup de frein en revanche très visible au cours du deuxième trimestre où la croissance sera fortement négative en Europe et aux États-Unis. Ces économies seront-elles capables d’amorcer un rattrapage au troisième et surtout au quatrième trimestre ? Il est peut-être encore possible de terminer l’année avec une croissance mondiale supérieure à 2% et au-delà de 1% aux Etats-Unis. Tout dépendra des mesures de relance et des décisions qui seront prises pour préserver les mécanismes économiques et ainsi permettre un rebond une fois l’épidémie passée. C’est l’enjeu de la coordination entre les banques centrales et les États. 

Les banques centrales ont-elles encore des marges de manœuvres pour agir ?

Elles ont encore toute leur place. Elles l’ont montré ces derniers jours avec des décisions très fortes, en particulier du côté de la BCE, qui a renouvelé le « Whatever it costs » de Mario Draghi. Les banques centrales ne peuvent pas créer une demande qui n’existe pas. En revanche, celles-ci ont la capacité de mettre en place des mécanismes pour éviter un blocage du crédit et du financement en dollars de l’économie mondiale. Des accords de swap de devises entre la Fed et les principales banques centrales ont déjà été conclues. Ces décisions sont très importantes. Il appartient aux banques centrales d’être garantes de la stabilité du système financier. Or, celui-ci se mesure essentiellement par des indicateurs de crédits et de liquidités.

"Les banques centrales ne peuvent pas créer une demande qui n’existe pas"

On évoque la fermeture des bourses mondiales. Est-ce souhaitable ?

Le marché du crédit est la clé. Les autorités doivent empêcher un krach obligataire. Elles doivent veiller à son bon fonctionnement. Si elles n’y parviennent pas et au besoin de parvenir à une meilleure coordination internationale, la question de la suspension temporaire de la Bourse se poserait. Les décisions d’urgence de la BCE prise le 18 mars au soir vont dans le bon sens et écarte ce risque.

Est-ce désormais aux États de prendre le relais ? On parle en France d’un plan de soutien à l’économie de 30 milliards d’euros. Est-ce suffisant, au regard du plan d’investissement du gouvernement chinois de 500 milliards de dollars dans des projets d’infrastructures ?

Dans cette crise, on attend des États qu’ils remplissent trois grandes fonctions : protéger, préserver et relancer.

D’une part, protéger la santé de la population.

D’autre part, préserver les structures économiques en évitant les faillites en cascades des entreprises et des banques.

Enfin, se pose la question de préparer la relance des activités. La Chine a été, comme à son habitude, très volontariste. L’objectif de ces politiques est de créer les conditions du bien-être et de prospérité des populations. Les plans de relance sont donc nécessaires, indispensables. Est-ce pour autant suffisant ? Seul l’avenir nous le dira. Plus important que les montants bruts évoqués est le caractère ciblé des aides. Il faudra éviter l’écueil chinois des dernières années, qui a pu investir à mauvais escient sur ses infrastructures, en bâtissant des ponts ou des aéroports inutiles. Il faut donc bien se garder des effets d’annonce. La coordination européenne qui se dessine, et au sein du G7 voire du G20, serait déjà une très bonne nouvelle.

"Les investisseurs structurellement sous pondérés en actions pourraient avoir intérêt à prendre plus de risques, en ayant à l’esprit que la baisse peut encore se poursuivre."

On note des problèmes de liquidité sur les marchés de la dette. Comment doivent réagir les investisseurs ? faut-il se détourner du marché des obligations à haut rendement ?

Le marché de la dette à haut rendement est fondamentalement moins liquide que celui de la dette des États. Il est logique de voir survenir des tensions sur ce marché. Les derniers mois furent anesthésiants pour les investisseurs, attirés par des taux de rendement potentiel plus importants. Le retour à la réalité est désagréable pour certains.

Plus globalement, quels conseils donnez-vous aux investisseurs ? Est-ce un point d'entrée intéressant sur les marchés ?

Les mouvements de marchés ont été très violents. Le CAC 40 était à près à 6 100 points le 19 février dernier, pour atteindre 3900 points le 16 mars. Cela représente environ 35%. Il est plus intéressant pour les investisseurs de long terme d’investir sur ce niveau de marché. La période est aussi propice pour faire le point sur son horizon d’investissement, son appétence pour le risque et ses grands équilibres stratégiques. Les investisseurs structurellement sous pondérés en actions pourraient avoir intérêt à prendre plus de risques, en ayant à l’esprit que la baisse peut encore se poursuivre. Les marchés sont des animaux de momentum. Un choc positif est nécessaire pour que le marché reparte rapidement à la hausse et personne ne sonnera la cloche le jour du plus bas. Il faut l’accepter et garder une grande discipline d’investissement.

La Russie et l'Arabie Saoudite se livrent une guerre des prix sur le pétrole. Les deux pays trouveront-ils un terrain d’entente ?

D’un point de vue rationnel, je pense que oui. En Russie, il y a cependant des intérêts divergents. Le pouvoir central, piloté par Vladimir Poutine, a toujours considéré qu’il fallait fixer dans son budget des hypothèses de cours de pétrole très basses, entre 30 et 35 dollars le baril. Son objectif étant de garder une grande autonomie. Le prix du baril est toutefois handicapant pour les entreprises pétrolières russes. La situation plaiderait pour un retour à la table des négociations. Pour de multiples raisons liées aussi à l’Arabie saoudite, il parait compliqué de parvenir à un accord immédiatement. Mais personne n’a un intérêt à ce que cette situation s’enlise dans le contexte du Coronavirus qui provoque un choc de demande. La raison devrait donc finir par l’emporter à moyen terme.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

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