Présidente de Prophil, centre de recherche et cabinet de conseil en stratégie, spécialiste de la contribution des entreprises au bien commun, Virginie Seghers a participé dans ce cadre à l’élaboration de la loi Aillagon de 2003 et accompagné la création de nombreuses fondations françaises et internationales. Elle revient sur le rapport parlementaire* de juin dernier et décrypte le milieu philanthropique français.

DÉCIDEURS. La France est-elle en retard par rapport à ses voisins nord-américains ou européens ?

Virginie Seghers. Je suis mitigée sur la notion de "retard", je parlerais plutôt de profonde différence. La philanthropie s’ancre dans une tradition ancienne en France : fille des Lumières et de la Révolution, elle a connu un essor considérable au XIXe siècle. Avec les guerres mondiales, les lois de Jules Ferry, puis le renforcement de l’État providence, la puissance publique a eu un rôle croissant dans le financement de l’intérêt général. Puis d’autres formes privées en faveur de l’intérêt général sont apparues : mutuelles, coopératives, associations qui se sont progressivement investies d’un rôle que des fondations privées pouvaient jouer précédemment. Mais la France est aussi le pays d’Europe où le dispositif fiscal en faveur du mécénat est le plus incitatif, où l’entrepreneuriat social est le plus développé et structuré, où les entreprises sont de plus en plus investies dans des démarches de RSE et où un nouveau statut de société à mission a vu le jour dans le cadre de la loi Pacte. Je ne parlerais donc pas d’un retard de la France sur ces sujets, mais d’une culture différente des pays anglo-saxons, où l’initiative privée est centrale et où chacun participe à la vie de sa communauté ; différente aussi des pays nord-européens, où philanthropie et économie riment davantage, alors que nous les cloisonnons, au risque de se priver de leviers considérables d’action pour atteindre l’impact social recherché.

"La mobilisation collective des grands philanthropes a été timide au regard des enjeux et de l’urgence actuelle"

Quels sont les freins au développement de la philanthropie française ?

Le cadre juridique est très développé – peut-être même trop car il devient très complexe, comme le souligne le rapport parlementaire ! –, quant au régime fiscal, il est l’un des plus incitatifs au monde. Il l’est tellement que l’idée de le raboter est régulièrement remise sur le devant de la scène. Une chose est sûre, la France n’a aucun complexe à avoir. Le vrai problème, en fin de compte, réside dans le fait que de nombreux sujets qui relèvent de l’intérêt général avec bon sens n’entrent pas dans la définition fiscale du terme et ne peuvent donc pas bénéficier du régime en sa faveur, alors que c’est dans des modèles hybrides que réside l’essentiel de l’innovation sociale. 

Le rapport parlementaire remis au gouvernement en 2020 contient-il, d’après vous, les clés pour donner un second souffle à la philanthropie ? Quelles mesures, au contraire, ont été oubliées ? 

Il s’agit d’un rapport approfondi, qui aborde le sujet sous toutes ses coutures et formule de très bonnes propositions. Il dresse un panorama réaliste du secteur et avance des mesures concrètes pour faire encore avancer les choses. Par exemple, la partie consacrée au droit des successions et à la réforme de la réserve héréditaire est particulièrement intéressante, et reprend des idées que nous avions nous-mêmes soutenues. Cependant, et contre toute attente, je l’ai trouvé prudent sur d’autres sujets. Qu’il s’agisse de développer le mécénat transnational des entreprises par exemple, qui est aujourd’hui particulièrement complexe, de regarder de plus près la façon dont les fondations placent leurs actifs financiers ou enfin de permettre le développement des fondations actionnaires en France, rien ne transparaît d’audacieux dans ce rapport qui y fait à peine allusion.

Après une baisse des dons en 2018 et 2019, la crise sanitaire semble avoir encouragé la générosité. S’agit-il d’une tendance de fond ?

Que ce soit en donnant de l’argent ou du temps, globalement, les Français se sont mobilisés pendant le confinement et j’espère que la lassitude et l’incertitude liées à la période que nous traversons ne tariront pas cette générosité. Certaines fondations et entreprises ont aussi été au rendez-vous, mais il me semble qu’une mobilisation collective des grands philanthropes, engagés ou potentiels a été timide au regard des enjeux et de l’urgence. La pauvreté va indéniablement s’accroître, l’isolement aussi : c’est une grande source de préoccupation, espérons qu’ils seront au rendez-vous.

Propos recueillis par Sybille Vié

* La philanthropie à la française, par Sarah El Haïry et Naïma Moutchou, février 2020

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