La Commission européenne, en publiant récemment une consultation sur la thématique de la gouvernance d’entreprise durable, initie ainsi une réflexion qui pourrait à terme se traduire en règles ou recommandations. D’ores et déjà, cela devrait amener les entreprises à s’interroger sur les standards à appliquer en la matière et ne pas négliger la stratégie à long terme de l’entreprise.

Le 26 octobre 2020, la Commission européenne a initié une consultation publique sur la gouvernance d’entreprise durable, signe de l’importance croissante du développement durable et de la tendance de fond de développement de la responsabilité sociétale des entreprises.

Cette consultation prend fin le 8 février 2021. Celle-ci s’insère dans le volet du Pacte vert européen, avec pour objectif la neutralité climatique en 2050 au sein de l’Union européenne. Un aspect «devoir de vigilance» y est également soumis pour consultation : le droit français semble toutefois d’ores et déjà avoir anticipé avec la «loi sur la vigilance» (loi n° 2017- 399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses), dans un souci de meilleurs contrôles de pratiques de leurs propres sous-traitants et fournisseurs par les entreprises.

Vers des stratégies de long terme

Sur le fond, la Commission européenne souhaite que les entreprises se focalisent moins sur les résultats à court terme que sur leur développement à long terme. Ainsi, celle-ci indique qu’« il s’agit d’encourager les entreprises à prendre en considération, dans leurs décisions commerciales, l’impact environnemental (y compris sur le climat ou la biodiversité, par exemple), social, humain et économique, et à privilégier la création de valeur durable à long terme plutôt que les aspects financiers à court terme».

Le développement de stratégies court-termistes a pu être constaté dans plusieurs entreprises, parfois sous la pression du marché ou d’activistes, davantage soucieux d’un retour sur investissement à court terme que de s’assurer d’une compétitivité à long terme.

"L’intérêt à long terme de la personne morale est plus importante que le retour financier à court terme de l’actionnaire"

À terme, les conseils d’administration pourraient devoir formellement adopter une stratégie de long terme et être amenés à communiquer dessus. L’intérêt social semble d’ailleurs commander un tel développement, afin d’assurer une viabilité à long terme de la société, avec le cas échéant, un bénéfice pour l’environnement et plus généralement une prise en compte des conséquences sur les parties prenantes. Sans attendre, les sociétés cotées devraient s’inspirer de ces aspects pour améliorer leurs communications et aussi anticiper les interrogations des actionnaires et les demandes d’activistes.

RSE et intérêt de l’ensemble des parties prenantes

La responsabilité des entreprises en matière d’environnement, de droits sociaux et de droits humains, n’est plus aujourd’hui réduite à un verni marketing, mais au contraire est considérée comme utile, voire nécessaire, pour consolider l’économie européenne. La prise en compte de l’environnement et de la biodiversité par les conseils d’administration pourrait devenir systématique et devrait les amener à apprécier ces aspects expressément lors de leurs prises de décisions.

Définitivement, l’intérêt social de la société ne peut plus être vu sous le seul prisme de l’intérêt des actionnaires et encore moins réduit à ce dernier. C’est finalement davantage un intérêt de l’entreprise dans son ensemble, incluant les parties prenantes, qui semble se confirmer.

Aujourd’hui, l’article 1833 du Code civil dispose que l’entreprise doit être gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité et qu’elle peut même se doter d’une « raison d’être » dans ses statuts. À ce titre, le droit français, avec sa redéfinition de l’intérêt social lors de la loi «Pacte» (loi n° 2019- 486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises) semble être en avance ! Sans mentionner expressément un intérêt à long terme ou une notion de durabilité, le droit français pose toutefois un cadre qui devrait amener les administrateurs à les prendre en compte.

Il semble être de bonne gouvernance que les administrateurs n’attendent pas une norme contraignante en la matière et au contraire posent eux-mêmes des critères à respecter et à atteindre en matière de développement durable et plus généralement à long terme. La gestion des risques environnementaux et sociaux – afin de les minimiser – pourraient devoir être mis à l’ordre du jour du conseil de manière récurrente, avec pour objectif non seulement de contrôler l’existant mais également de poser le cadre pour que ces aspects soient intégrés dans la gestion de l’entreprise à court, moyen et long terme.

Le développement incitatif européen et international

Ce mouvement semble s’ancrer de manière irrévocable. Ainsi, même l’ONU, souhaitant aller plus loin que les UN Guiding Principles on Business and Human Rights in 2011 qui se limitaient essentiellement à des recommandations en termes de reporting de respect des droits humains, s’y penche. En effet, le 6 août 2020 a été publié une deuxième version du projet de UN Treaty on Business and Human Rights, dont l’objet est notamment de renforcer la prise en compte du respect des droits humains par les entreprises, y compris leurs sous-traitants, en imposant aux entreprises de procéder à des due diligence et donc à des vérifications, ce qui devrait également amener les mandataires sociaux à intégrer ces aspects dans leurs vérifications et contrôles a posteriori mais également a priori, dans leur définition des stratégies et de leur mise en oeuvre.

"Le droit européen lui aussi mentionne nommément les aspects long terme"

Les conséquences en matière sociale, environnementale et des droits humains font partie des aspects qu’une gouvernance d’entreprise doit prendre en compte. Le droit européen lui aussi mentionne nommément les aspects long terme, par exemple avec la directive (UE) 2017/828 en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires.

Fondamentalement, cette consultation pourrait amener à considérer l’intérêt à long terme de la personne morale comme plus importante que le retour financier à court terme de l’actionnaire. La prise en compte du développement durable, des aspects environnementaux et sociaux, dans le gouvernement d’entreprise peut être un élément permettant aux conseils d’administration d’orienter davantage leur stratégie sur le long terme. Quel sera le résultat de cette consultation, tant en termes de contenu que de suites qui y seront données : simple recommandation non contraignante ou directive d’harmonisation maximale ? Si la volonté législative est d’inscrire le développement durable dans la stratégie sur le long terme et d’assurer un «level playing field», une égalité entre
les entreprises européennes sur ce terrain-là, un texte contraignant s’impose !

LES POINTS CLÉS

- La Commission européenne a récemment initié une consultation publique sur la gouvernance d’entreprise durable.
- Les conseils d’administration vont-ils devoir formellement adopter une stratégie à long terme et être amenés à communiquer dessus ?
- L’environnement, dont la biodiversité, pourrait devenir un critère que les conseils d’administration auront à apprécier systématiquement lors de leurs prises de décisions.
- L’intérêt à long terme tout comme la notion de durabilité sont des aspects de gouvernance à considérer dès à présent.

Armand W. Grumberg & François Barrière

SUR LES AUTEURS

Armand W. Grumberg, avocat associé, Head of European M&A  Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom LLP

François Barrière, professeur à l’Université Lumière Lyon 2, avocat (French counsel) – Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom LLP

Skadden conseille ses clients dans les domaines les plus stratégiques, notamment en matière de fusions-acquisitions, d’opérations de marchés et de financements, de restructurations, de réglementation bancaire, de fiscalité, de contentieux et d’arbitrage, de droit social, ainsi que les domaines liés.

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