Le téléviseur reste l’écran préféré des Français mais ils sont toujours plus nombreux à regarder leurs vidéos favorites sur ordinateur, tablette ou mobile. Le groupe M6, sorti de sa zone de confort depuis les années 2000, réinvente ses services pour continuer d’attirer spectateurs et annonceurs. Valéry Gerfaud, chief digital officer du groupe, évoque pour Décideurs sa vision d’un marché en mutation.

Décideurs. Quelle est l’étendue de vos missions au sein du Groupe M6 ?

Valéry Gerfaud. Mes missions, en tant que directeur général du Groupe M6 en charge du digital, de l’innovation et des technologies, répondent à une logique claire. Pour faire face aux enjeux du tsunami numérique, les groupes médias doivent s’organiser différemment, tout en s’appuyant sur leurs forces traditionnelles. Celles-ci sont de plusieurs ordres chez nous. L’équipe digitale de 6play, qui excelle dans les domaines du marketing et des services innovants, et les équipes technologiques, fortes de leurs expériences en radio et télévision, doivent continuer à incarner les facteurs de différenciation du groupe. L’innovation jaillit de l’agilité et de l’audace. Chaque projet du Groupe M6 doit être imprégné de ces valeurs. L’acculturation de toutes les équipes est ainsi nécessaire. Dans ce contexte, j’œuvre pour que le digital soit perçu comme un levier de performance dans toute notre organisation, et non plus comme une source d’inquiétude. La multiplication des tests, des expérimentations et des prototypes répond à notre volonté de renouveau. La formation et l’ouverture à l’écosystème des start-up sont d’autres facettes de la transformation globale de notre groupe audiovisuel.

La télévision traditionnelle est contrainte de se réinventer pour résister aux nouvelles formes de consommation des contenus vidéo. Quels sont les axes directeurs de votre mutation ?

La télévision est perçue comme une industrie traditionnelle qui ne se remet pas en question. Or, nous évoluons depuis toujours pour apporter des réponses pertinentes aux nouvelles exigences de nos différents publics. Ce mouvement est relativement ancien, comme le prouve la création de nouvelles chaines (W9 en 2005 et 6ter en 2012), au sein même de notre business historique. Depuis la fin des années 2000, nous avons été précurseurs dans la proposition d’offres complémentaires adaptées aux nouveaux usages du digital. Le lancement dès 2008 de M6 Replay, devenu 6play, a permis de proposer aux spectateurs une plateforme leur donnant accès à des contenus en rattrapage sur l’ensemble de leurs terminaux connectés (mobile, PC, tablette). Aujourd’hui, la transformation porte sur la data. Notre groupe audiovisuel réunit une audience large sur des supports variés. Comment les données collectées peuvent être mieux traitées afin de proposer des programmes et services encore meilleurs ? La réponse à cette question se fondera sur nos atouts, comme la qualité de nos contenus, ainsi que sur certaines compétences inédites à développer. De nouvelles manières de raisonner sont aussi primordiales, et les stratégies d’alliance peuvent être la source d’effets d’échelle importants. Je pense par exemple à la démarche sans précédent ayant mené au projet Salto, porté par les Groupes M6, TF1 et France Télévisions.

« Les stratégies d’alliance peuvent être la source d’effets d’échelle importants »

Quelles sont les nouvelles compétences que vous devez développer en priorité ?

Le prérequis est de rester excellent dans le choix, la production et la programmation de l’ensemble des contenus dont nous disposons. À ces métiers historiques, nous ajoutons des compétences digitales, marketing, techniques et éditoriales. La promotion de nos programmes sur les plateformes digitales est, par exemple, un nouvel enjeu de taille pour nous. Au-delà de la sphère numérique, la technologie et les systèmes informatiques plus efficaces vont nous permettre d’être plus performants demain, en produisant des contenus toujours plus nombreux et pertinents. En matière d’analyses de données, nos expertises en data science doivent continuer de s’affiner pour, in fine, mieux personnaliser nos contenus et services.

Comment vos objectifs de transformation affectent-ils aussi les annonceurs ?

Grâce aux nouveaux supports que nous proposons, à l’instar de 6play, les annonceurs disposent d’une nouvelle offre d’espaces publicitaires premium sur le digital, associée à un contenu de qualité et donnant des garanties inégalées en matière de brand safety. La plateforme vidéo est toujours plébiscitée pour présenter la publicité de manière qualitative aux spectateurs, et c’est aux groupes audiovisuels traditionnels d’adapter leurs offres aux possibilités du Web. Pour le Groupe M6, le pari a été réussi avec nos services de rattrapage, que se sont appropriés les spectateurs et les annonceurs. Toutefois, nous voulons aller encore plus loin. La publicité télévisuelle adressable, toujours plus ciblée et qualitative, demeure aujourd’hui une expérimentation au croisement de la technologie digitale et de la télévision, mais laisse imaginer de formidables perspectives. Au-delà de la technologie, l’innovation peut aussi résider dans le contenu. Avec M6 par exemple, nous utilisons la data science et l’intelligence artificielle qui permettent de qualifier l’état émotionnel de l’audience à chaque seconde du programme regardé. Cela permet à un annonceur de délivrer son message de marque au bon moment : celui où l’audience est la plus réceptive à son spot, en fonction d’une émotion recherchée.

Quels acteurs considérez-vous aujourd’hui comme vos principaux concurrents pour séduire les audiences et annonceurs ?

Nos concurrents au quotidien sont toutes les chaines de télévision françaises. Cependant ce paysage concurrentiel est en pleine évolution et si l’on se projette dans trois ou cinq ans, la concurrence sur les audiences s’élargit à de nouveaux acteurs digitaux comme Netflix, Youtube et Instagram TV. La bataille de demain ne sera pas seulement celle de l’écran de télévision, mais celle du temps de consommation de vidéos, voire du temps de divertissement. Nous devons travailler afin de conserver la plus grande part possible du temps passé par les internautes sur leurs différents écrans. Ces nouveaux entrants se positionnent comme des alternatives à la consommation classique de contenus vidéos. L’idée pour nous n’est pas de copier tel ou tel acteur mais de faire évoluer notre métier pour continuer d’exceller. Cela passe notamment par la proposition de nouveaux formats, tout en maintenant notre niveau de qualité historique. Un autre enjeu auquel nous sommes confrontés gravite autour des avantages fiscaux ou réglementaires dont peuvent bénéficier ces acteurs internationaux. Avec plus de contraintes, il faut continuer à faire mieux que cette nouvelle concurrence.

« La plateforme vidéo est toujours plébiscitée pour présenter la publicité de manière qualitative aux spectateurs »

L’audience de vos sites internet est-elle conforme à vos ambitions ?

Vingt et un millions d’internautes sont aujourd’hui inscrits à 6play. Chaque mois, plus de 110 millions de vidéos sont visionnées, avec en moyenne, des programmes de plus de vingt minutes, ce qui nous différencie de la consommation éclair de contenus sur Youtube ou Facebook. Notre attractivité reste donc élevée. Afin de poursuivre dans cette voie, nous travaillons à étendre la disponibilité de nos programmes en rattrapage, limitée aujourd’hui à sept jours. Des archives, des séries en intégralité et des contenus qui n’ont pas été diffusés sur nos antennes pourront venir compléter notre offre en ligne. Certains programmes exclusifs viendront alors enrichir la grille de programme et fidéliser les internautes.

Quel niveau de rentabilité offre aujourd’hui les activités en ligne du Groupe ? Le relai de croissance promis aux régies classiques est-il au rendez-vous ?

L’activité de 6play est rentable. Les activités commerciales de la régie de 6play se développement en parallèle des usages de visionnage en ligne Les annonceurs considèrent nos offres comme un ensemble complet, et la grande majorité d’entre eux investit aussi bien sur 6play que sur nos chaines classiques.

Quel niveau de précision de ciblage proposez-vous désormais aux annonceurs, en ligne et à la télévision ?

Les utilisateurs de 6play nous communiquent un certain nombre d’informations au moment de leur inscription. Grâce à ces données et à l’analyse de leurs usages du service, nous pouvons personnaliser leur expérience en ligne. Tout cela dans le strict respect de règles de protection des données personnelles. Du point de vue publicitaire, cela permet de proposer sur 6play des segments plus précis que sur nos antennes linéaires. Pour les annonceurs et les agences média, c’est la possibilité d’accéder dans un contexte « brand safe », à la fois à la puissance de nos chaines linéaires et au ciblage de notre plateforme digitale. 

Quels seront les contours de la publicité adressable de demain, à la télévision ?

La publicité adressable permettra d’exposer une publicité différente à chaque téléspectateur. Les technologies sont déjà disponibles pour le faire et des expérimentations ont déjà été réalisées. La mise en place de mécanismes de marché est la prochaine étape. Nous devons démontrer nos capacités à commercialiser de manière fluide cette offre pour les annonceurs. Après la preuve du concept technique, il faut en faire un levier de création de valeur pour les chaînes TV.  Et bien entendu, il faut définir le cadre légal de cette nouvelle forme de publicité, qui n’est pas encore autorisée en France aujourd’hui. À travers le SNPTV (syndicat national de la publicité télévisée), l’ensemble des acteurs du marché montre sa volonté d’aller de l’avant. Les discussions avec le régulateur et les pouvoirs publics nous permettent de mettre en lumière notre esprit d’initiative en la matière.

Chiffres clés :

1987 : année de création de la chaîne M6

21 millions : le nombre d’inscrits sur la plateforme 6play

1,3 milliard : le nombre de vidéo visionnées sur l’ensemble des sites du Groupe

1h14 : durée moyenne d'écoute quotidienne par utilisateur, soit la meilleure performance parmi les services de replay TV

Les achats programmatiques dominent toujours plus l’achat d’espaces publicitaires display. Quels sont les défis de votre régie face à cette nouvelle médiation technologique ?

Nous avons décidé d’être bons partout, aussi bien en programmatique que dans la commercialisation de nos espaces de « gré à gré ». Sur les portails verticaux qui font partie des sites du Groupe M6, comme passeportsante.net ou fourchette-et-bikini.fr, le display classique (bannières) domine la vidéo. Nous passons alors essentiellement par les plateformes programmatiques pour vendre ces espaces. En revanche, sur 6play, les ventes programmatiques restent limitées. Avec nos équipes commerciales, nous continuons donc de développer ces deux modes de commercialisation en parallèle et leur coexistence devrait encore durer un certain temps.

Quelles sont vos relations avec Facebook et Google qui captent une part de plus en plus importante des investissements publicitaires en ligne ?

Ce sont à la fois des concurrents directs pour capter les investissements publicitaires en ligne, et des partenaires incontournables faire la promotion de nos contenus. Nous travaillons avec eux pour tirer le meilleur de ces plateformes mondiales, sans être écrasés par leur poids hégémonique. Il est donc nécessaire de bien comprendre ce que Facebook et Google peuvent nous apporter, tout en conservant la liberté nécessaire à nos prises de position contre certaines de leurs pratiques. Par exemple notre radio RTL propose des services d’information adaptés aux enceintes connectées Amazon Alexa et Google Home pour accompagner cette nouvelle manière d’interagir avec notre audience. En parallèle, quand ces plateformes agissent d’une manière qui peut mettre en danger l’ensemble de l’écosystème des médias français, il est de notre responsabilité, en lien avec nos confrères, de le dire et de nous en défendre. Travailler avec les grandes plateformes américaines, c’est un peu comme « danser avec un sumo ». Par ailleurs, le Groupe M6 fait partie de RTL Group, ce qui nous donne plus de poids dans les échanges avec ces géants du digital.

 

Thomas Bastin (@ThBastin)

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