Quel portrait pouvons-nous dresser de Valérie Pécresse, élève de Chirac, ministre sous Nicolas Sarkozy, présidente de région et femme 'Libres !" désormais candidate. Son parcours personnel et politique se reflète dans les idées du projet présidentiel qu’elle porte. Analyse d’une femme politique plus complexe qu’il n’y paraît.

7 heures. S’il vous prenait l’envie d’étudier le code du travail, il faudrait parcourir plus de 1 000 pages. De son côté, Valérie Pécresse, dans les 24 (denses) pages de son projet présidentiel, préconise, entre autres, l’instauration d’un "comité de la hache", qui "aura toute latitude pour mettre en œuvre la simplification administrative qu’on nous promet depuis vingt ans sans la faire et ainsi diviser par deux les codes juridiques et supprimer 500 des 1 500 structures paraétatiques".C’est ferme, c’est clair, c’est net, c’est précis. Et même si la mesure ne fera pas lever les foules, elle est d’un bon sens et d’une urgence reconnue par une grande partie de l’échiquier politique.

Une facilité qu’on ne lui pardonne pas

S’il fallait noter son début de campagne, le bulletin – pardon pour cette analogie – dirait sans doute : sérieux et appliqué, classique mais peut-être un peu terne. "Bien, mais osez plus, vous en avez le potentiel"… Celle qui, quoi qu’il advienne, demeurera la première femme représentant la droite républicaine à l’élection présidentielle souffre encore d’un déficit d’identification auprès de l’opinion publique. Et ce, en dépit d’un parcours et d’une expérience que très peu de candidats à la présidentielle 2022 peuvent revendiquer.

Présidente, elle promet la création d'un "comité de la hache" qui "aura toute latitude pour mettre en oeuvre la simplification administrative qu'on nous promet depuis vingt ans"

Qui a déjà été, au moins ministre, hormis Emmanuel Macron ? Seul Jean-Luc Mélenchon (qui fut ministre délégué à l’Enseignement professionnel) et Christiane Taubira (qui fut garde des Sceaux) ont eu des fonctions dans un gouvernement. Valérie Pécresse, elle, outre son passé de ministre de l’Enseignement supérieur et du Budget, préside depuis 2015 à la destinée de "(sa) petite France de 12 millions d’habitants" qu’est la région Ile-de-France.

Un parcours sans faille alors que les Français, assure une vieille légende médiatique, n’accorderaient leur confiance qu’aux dirigeants aux destins cabossés ? L’accession à l’Élysée d’Emmanuel Macron en 2017 tord pourtant le cou à cette antienne trop souvent martelée. Néanmoins, vaille que vaille, les professionnels du commentaire semblent reprocher à Valérie Pécresse une ascension de "bonne élève" et de "première de la classe". S’il est vrai que les Français éprouvent souvent une véritable passion pour les flamboyants seconds, il peut sembler étonnant de pinailler sur l’exemplaire parcours scolaire et politique d’une candidate potentiellement future responsable du destin de la sixième puissance mondiale.

Diplômée d’HEC, de l’ENA (sortie 2e de la promotion Condorcet), députée à 35 ans, ministre à 40, et présidente de région à 48 ans, Valérie Pécresse a franchi les haies une à une avec une grande facilité. Une facilité que ses adversaires font mine de ne pas lui pardonner. "La techno blonde", "la Versaillaise », la "Ségolène de droite" a longtemps subi les quolibets machistes et réducteurs de nombreux adversaires politiques.

Quand l’Élysée n’était qu’un champ de ruines

Simone Veil avait enseigné très tôt à sa jeune protégée, la "technique dite des plumes de canards", à savoir "laisser glisser les critiques pour éviter qu’elles ne vous atteignent". En a résulté une volonté acharnée de se protéger, au risque parfois de demeurer une inconnue pour celle qui a longtemps refusé d’apparaître avec sa famille afin de la préserver. "Protéger" c’est d’ailleurs la première des missions de l’État, rappelle-t-elle dans la présentation de son projet présidentiel. Résonne en écho sa réponse, lorsque lui fut demandé son titre de livre préféré :  "D’autres vies que la mienne, d’Emmanuel Carrère" avait-elle répondu, "car c’est le cœur de la politique : essayer de changer la vie des autres en mieux. Écouter et porter attention aux autres."

Cet altruisme non feint, Valérie Pécresse dit le tenir notamment de son grand-père maternel, Louis Bertagna, un éminent psychiatre qui fut l’un des premiers à considérer la dépression comme une maladie et soigna de longues années Laurence Chirac, la fille de l’ancien président, qui souffrait d’anorexie mentale. C’est d’ailleurs au regard de cette proximité familiale que Valérie Pécresse choisit de rejoindre l’Élysée en 1998, un an après la dissolution, quand le palais, véritable champ de ruines, n’offrait qu’un avenir bien sombre. La campagne de 2002, finalement victorieuse pour le président sortant, marquera profondément celle qui n’était alors qu’un "bébé Chirac"

Elle rejoint l'Elysée en 1998, un an après la dissolution, quand le palais, véritable champ de ruine, n'offrait qu'un avenir bien sombre.

Stupéfaite par l’accession au second tour de Jean-Marie Le Pen en avril 2002, Valérie Pécresse, comme l’ancien président de la République, n’a depuis lors jamais voulu transiger avec le Rassemblement national et s’est juré de ne jamais laisser les questions d’insécurité aux extrêmes. En témoignent ses propositions en matière de protection des citoyens, notamment contre la délinquance en souhaitant user de la reconnaissance faciale dans les transports ou sa volonté affichée de "ressortir le Karcher" cher à Nicolas Sarkozy.

Réunir "les droites irréconciliables"

Cette droiture républicaine combinée avec la fermeté de ses propositions lui auront permis de conserver le soutien stratégique d’Éric Ciotti, son challenger de la primaire et de gagner l’allégeance (temporaire) de Laurent Wauquiez, avec qui les relations ont parfois été houleuses.Rappelons qu’après avoir gagné la présidence des Républicains en 2017, ce dernier ayant décidé de verrouiller le parti, malgré sa défaite aux Européennes, il avait conduit Valérie Pécresse à quitter son parti historique.

Elle décide d’être entièrement « Libres !», le nom de son mouvement avec ce point d’exclamation qu’elle voit "comme l’indignation que je ressens quand je constate un blocage de la société française ou une lourdeur administrative". Avec peu de moyens mais la certitude qu’à l’heure des réseaux sociaux on peut constituer "un laboratoire d’idées" en dehors des partis, elle recouvre pleinement sa liberté en 2019.

Consciente de "faire face à la montée des populismes", elle théorise depuis longtemps :  "Nous, c'est sur les idées que vous nous trouverez pour élargir la droite et rassembler les deux droites." Mission accomplie depuis son investiture puisque désormais "ses quatre mousquetaires de la primaire" (Xavier Bertrand, Éric Ciotti, Philippe Juvin et Michel Barnier) battent la campagne à ses côtés. Elle est redevenue la "courroie de transmission" indispensable "aux droites irréconciliables" et finalement (provisoirement ?) réconciliées.

Les "quatre mousquetaires de la primaire", Xavier Bertrand, Eric Ciotti, Michel Barnier et Philippe Juvin battent la campagne à ses côtés

"Elle joue sa vie"

La transmission, encore une vertu cardinale pour Valérie Pécresse qui assure que son engagement politique est né de l’ambition "de rendre ce qu’on m’a donné, ce que mon pays m’a donné". En découle dans le champ économique une double proposition doctrinaire : son choix de "supprimer les droits de succession pour 95 % des Français" et "daccélérer la donation entre vivants" si elle accède à l’Élysée.

Auprès des militants LR, Valérie Pécresse insiste : "La transmission est au cœur de mon projet car, sans racines, un peuple a le destin d’une feuille au vent." Une phrase que chérissait également Nicolas Sarkozy qui, en dépit d’une relation en dents de scie avec la candidate, déclare à son propos : "Quand je pense à Valérie, je pense à son sérieux, elle connaît ses dossiers, elle fait le boulot : Valérie Pécresse est solide."

Comme en 2011, en pleine crise financière, où ministre du Budget, elle n’a pas hésité à serrer la vis budgétaire alors que la présidentielle s’annonçait. Didier Migaud, président de la Cour des comptes le relevait en 2014 : "Depuis vingt ans, le meilleur résultat en matière de maîtrise de la dépense publique a été obtenu en 2011."

Solidité et courage, deux qualités indispensables pour quiconque aborde une campagne présidentielle, surtout lorsqu’on ne joue pas la facilité. Ainsi, en « remodelant » son projet phare de relever de 10 % le salaire net afin de ne pas pénaliser la fiscalité des entreprises, Valérie Pécresse, qui se veut "dame de faire", prend le risque de se voir taxer de "libérale" dans un pays souvent rétif à ce qualificatif. D’autant qu’avec cette élection , « elle joue sa vie », assurait, quelque peu grandiloquent, un élu LR à l’AFP, alors qu'elle n'était et n’est toujours pas la favorite des pronostics.

Fan et pratiquante de boxe, passionnée de cinéma au point d’avoir voulu dans sa jeunesse s’y engager professionnellement, Valérie Pécresse n’est pas de celles à refuser le combat. Depuis des années, dans son bureau de la région Ile-de-France, l’affiche d’un film de Clint Eastwood trône au-dessus du canapé. Son titre ? "Invictus". Tout un programme…

Sébastien Petitot

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