De plus en plus souvent sous le feu des projecteurs, les entreprises en difficulté doivent apprendre à gérer leur communication. L’objectif ? Informer et rassurer. Un exercice qui ne tombe pas nécessairement sous le sens pour tous les dirigeants. Véronique Pernin, fondatrice de l’agence VP Strat, livre ses conseils pour faire de la communication un outil de gestion opérationnelle de la crise.

Décideurs. Pouvez-vous présenter votre métier en quelques mots ?

Véronique Pernin. La communication de crise est un ensemble de méthodes appliquées avec rigueur et réactivité pour servir des objectifs très opérationnels. Le plus central d’entre eux étant de préserver la confiance autour de l’entreprise, malgré les difficultés rencontrées. Cela passe par différentes actions pour rassurer et maintenir la mobilisation du personnel, conserver l’intérêt et la confiance des clients, partenaires, et fournisseurs, expliquer la situation et les stratégies de redressement mises en place et valoriser les atouts et perspectives de l’entreprise. Derrière ces procédures, il ne faut pas oublier qu’il y a des hommes, des femmes, des familles, et notre action vise toujours à servir le redressement de l’entreprise. La communication de crise est devenue un volet indispensable pour éviter les phénomènes de « sauve-qui-peut » et accompagner de façon structurée les solutions de retournement : plan de reprise, new ­money, plan de continuation, ou autre.

Il y a encore quelques années, la communication de crise ne faisait pas partie des priorités des groupes dans la tourmente. Aujourd’hui a-t-elle trouvé sa place dans ces configurations ?

Avec les différents médias, dont l’information en continu, les réseaux sociaux, et le digital, l’entreprise est constamment propulsée au milieu d’une chaîne de communication ininterrompue que ce soit en interne, en externe, vis-à-vis de la presse ou des influenceurs. Il devient vital d’anticiper et de construire sa communication ou d’autres se chargeront de véhiculer des messages à votre place. Or, ces situations anxiogènes sont la porte ouverte aux peurs, aux rumeurs, aux fake news. Certes la communication commence à être intégrée comme une brique technique essentielle au retournement mais il reste encore du chemin à parcourir puisque beaucoup d’entreprises réagissent trop tard. D’autres décident de ne pas communiquer pensant que la poussière ne sortira pas de sous le tapis. Or, ne rien dire, c’est prendre le risque de laisser dire.

"Ne rien dire, c’est prendre le risque de laisser dire"

Les dirigeants sont-ils suffisamment formés aux enjeux communicationnels ?

Les dirigeants sont dans l’ensemble bien formés aux enjeux de la communication, mais en période de crise, ils sont confrontés à une hypersensibilité des équipes, accentuée par un facteur temps qui bouscule la réflexion de fond et la rationalité. Il est alors préférable de se reposer sur des spécialistes externes moins exposés à la situation.

Quels conseils donneriez-vous à ces dirigeants ?

Il n’y a pas de vérité absolue en communication, qui reste une science de la « perception », mais il existe quelques fondamentaux invariables en termes de méthodologie.

Après la création d’une cellule stratégique ou de crise intégrant toutes les dimensions utiles au traitement des difficultés (juridique, financière, sociale, RH, communication, etc.), il faut immédiatement mettre en place une veille sur les médias, réseaux sociaux, blogs et forums pour pouvoir ­réagir en temps réel. Dans le même temps, des objectifs stratégiques clairs pour la communication doivent être définis, et il est important d’identifier les cibles et relais clés en interne et en externe. Nous établissons ensuite un Q&A (questions-réponses) sans complaisance ni autocensure, qui permettra de rédiger des éléments de langage cohérents (statement, communiqué). Un porte-parole unique est désigné pour transmettre les messages. La communication est mise en œuvre de manière structurée et selon un timing rapide pour accompagner la sortie de crise.

Au-delà de ces quelques points, de nombreux conseils et astuces peuvent être appliqués à chaque situation. Il nous arrive aussi d’apporter simplement notre vision et notre conseil de communicant sur un dossier sans pour autant intervenir de façon opérationnelle, tout cela dans un respect absolu de confidentialité. Chaque dossier a son histoire.

Parfois, paradoxalement, la meilleure stratégie consiste à ne rien laisser filtrer. Dans quels cas de figure cette situation se présente-t-elle ? Est-elle réaliste à l’heure des réseaux sociaux qui bouleversent la temporalité de l’information ?

C’est parfois possible, en anticipant en amont les scénarios et éléments de langage, et en expliquant aux parties prenantes que la confidentialité est essentielle pour favoriser les solutions de sortie de crise. Mais dès que l’information est partagée, il y a un risque de fuite. Récemment, pour une marque historiquement connue, nous avons réussi à ce que rien ne sorte. Ni en procédure de prévention ni en redressement judiciaire. Cette anticipation nous a permis de protéger la marque internationale de la maison-mère, de préserver la confidentialité, de construire les messages et les questions-réponses (Q&A) pour répondre en cas de fuite. Une veille très pointue sur les médias, réseaux sociaux, forums et blogs avait été mise en place pour anticiper tous les signaux faibles et pouvoir réagir immédiatement.

"Être réactif et maîtriser les messages permet d’éviter les rumeurs et les fake news"

Le secret, dans le cadre de procédures amiables, est un élément clé de leur réussite. Pourtant, il n’est plus rare de voir fuiter des informations dans la presse. Regrettez-vous ce constat ? Cela offre-t-il de nouvelles opportunités pour les communicants ?

J’ai eu l’occasion d’écrire un article sur le sujet concernant le cas Conforama-­Challenges. Le 6 juin 2019, la Cour d’appel de Paris a donné raison au magazine Challenges, condamné en 2018 pour avoir révélé que Conforama était en mandat ad hoc, une procédure pourtant légalement confidentielle. Cette décision ne donne pas pour autant aux médias un blanc-seing absolu pour violer la confidentialité légale des procédures, mais elle oblige les entreprises à anticiper la communication plus en amont afin de réagir en cas de fuite. Il est devenu vital d’être prêt à déployer instantanément une stratégie de communication prédéfinie et validée avec l’ensemble des conseils pour conserver la « maîtrise » des éléments de langage et atténuer les effets anxiogènes de la révélation auprès des parties prenantes de l’entreprise tant en interne qu’en externe. Évidemment, les fuites dans la presse sont regrettables. Mais cela arrive régulièrement, et c’est à la justice seule d’estimer ou non si elles doivent être sanctionnées.

Quelle est votre plus belle réussite professionnelle en matière de restructuring ?

Récemment, nous avons accompagné des groupes comme Thomas Cook France, ou le groupe GIFI dans la restructuration du réseau de magasins Tati afin de sauvegarder un maximum d’emplois, ou encore l’Hôpital Marie Lannelongue pour son pôle « cœur-enfant ». Mais si je devais retenir un dossier, ce serait celui de l’aciérie Ascoval et ses 300 salariés. Un bel exemple du rôle que peut jouer la communication pour accompagner une entreprise en voie de redressement. Devenu un symbole de résistance industrielle en France, Ascoval a été porté par une communication médiatique très puissante et coordonnée autour d’une « union sacrée » entre ses salariés, les syndicats, la direction de l’usine, les politiques (Bruno Le Maire, Xavier Bertrand, Valérie Létard, entre autres), les médias, et les conseils en restructuring (avocats, administrateurs judiciaires). La communication a accompagné de façon très étroite la stratégie de redressement, les moments de tension et de négociation, et maintenant de redéploiement de cette filière stratégique de l’acier. Aujourd’hui, après avoir traversé deux reprises difficiles en 2018 (Altifort) et 2019 (British Steel), et s’être maintenu et redressé à chacune d’entre elles, Ascoval est devenu un nouveau symbole de l’acier « vert » recyclé en Europe.

Propos recueillis par Sybille Vié

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