Le monde de la finance a un rôle à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais il ne peut avoir un impact que si tous les investisseurs jouent le jeu. Et que les États développent de vraies politiques environnementales. Entretien avec Vincent Compiègne, directeur adjoint de recherche ESG chez Candriam.

Décideurs. En quoi consiste exactement la finance verte ?

Vincent Compiègne. Il y a quelques années, les contours de la finance verte étaient encore assez flous. Elle se réduisait souvent à un pourcentage du chiffre d’affaires lié à des activités que tout un chacun pouvait labelliser "green". Aujourd’hui, elle repose sur une véritable classification, rationalisée par des scientifiques, la taxonomie, dans le but de l’aligner avec les principes des accords de Paris sur le climat (2015). La finance verte englobe aussi bien des entreprises fabriquant des panneaux d’isolation que des sociétés produisant des composants pour réduire l’empreinte carbone des véhicules. Dans tous les cas, le CA investi, les émissions de CO2 par unité produite sont des indicateurs qui permettent de définir une taxonomie verte.

La finance est-elle de plus en plus en accord avec les grands objectifs de développement durable définis par l’ONU ?

Depuis qu’en 2015, l’ONU a défini ses dix-sept grands objectifs [ndlr: augmenter son financement; recycler le papier, le plastique, le verre et l’aluminium, etc.] et plus de 200 indicateurs afin de les mesurer, on observe une augmentation des fonds estampillés verts, même si cette tendance existait déjà dans l’asset management. Chez Candriam, nous identifions les activités des entreprises au regard de ces grandes tendances, bien avant la publication des objectifs de développement durable émis par l’ONU. Ceux-là ont le mérite de définir un cadre précis pour orienter la politique des États en matière d’écologie. Mais sur les quelque 200 indicateurs de référence de l’ONU, un tiers seulement s’applique aux entreprises et au monde économique. Ainsi, ce sont souvent les mêmes thématiques qui sont traitées dans la gestion d’actifs: l’eau, par exemple, est au cœur du business model de Pictet-Water, un fonds créé en 2000 et qui gère aujourd’hui plus de 5 milliards d’euros d’encours.

Ces objectifs permettent-ils de dégager des performances financières identiques à celles des autres produits bancaires ?

En asset management, on construit des portefeuilles d’entreprises qui sont dynamisées par une importante croissance sur des thèmes précis mais, qui pour être intégrées à un fonds, doivent aussi se différencier grâce à de nouveaux services ou de nouveaux produits. C’est davantage cette incitation à l’innovation qui permettra d’endiguer le dérèglement climatique, à condition que ces innovations apportent un réel changement pour diminuer les émissions de CO2, par exemple dans un fonds thématique dédié au climat.

Outre l’innovation, quel est l’impact réel de la finance verte sur l’engagement de la transition écologique ?

Plus que jamais, il est nécessaire de définir un cadre commun à tous les acteurs mondiaux de la finance pour s’assurer qu’ils aillent tous dans la même direction. Certaines grandes banques prennent l’engagement ferme de ne plus financer le charbon, mais que d’autres continuent à le faire, les lignes ne bougeront jamais.

"Seule la volonté des gouvernements et la reglementation peuvent avoir un impact sur la transition écologique"

Sans la définition d’un actif vert universel, il n’y aura pas d’harmonisation des standards. Remettons aussi les pendules à l’heure. La finance verte n’est pas le sauveur du développement durable. Seule la volonté des gouvernements et la réglementation peuvent avoir un impact réel sur le sujet Si l’on veut que le secteur de l’aviation diminue les émissions de CO2, ce n’est pas en s’en remettant à l’action des banques et au fait qu’elles coupent une ligne de crédit aux avionneurs que la situation s’améliorera. C’est plutôt la définition d’un prix fixe du carburant dans le monde entier qui entraînera une baisse du trafic aérien. Pour les vingt prochaines années, on prévoit un doublement du trafic aérien. Même en restant optimiste avec un gain d’efficacité de 1,37 % par an, comment tenir les objectifs de baisse de moitié pour l’an 2050 ?

Des zones géographiques sont-elles plus engagées que d’autres pour dynamiser cette économie verte ?

Hormis l’Europe qui est le moteur de la finance verte dans le monde, peu de pays se démarquent pour déployer cette démarche. Dès 2007, des green bonds ont été émis en Europe, seule zone géographique essayant de définir une taxinomie rigoureuse. Parmi les pays émergents, la Chine s’est investie dans la définition de nouveaux standards pour développer ses green bonds. Mais, nombre d’entreprises chinoises dégagent une part importante de leur CA du commerce du charbon. Les seuils définis pour le secteur de l’énergie y sont donc bien moindres que ceux en vigueur dans l’Union européenne. Dans les pays du Sud – en plus de la Chine, il est impératif de faire baisser les émissions de CO2en Inde –, la taxonomie pourrait être utilisée comme une vitrine.

Des catastrophes écologiques mondiales comme les incendies au Brésil et en Australie ont-elles une influence directe sur la finance verte ?

La corrélation entre les catastrophes naturelles et la finance existe uniquement, lorsque les actifs des entreprises, leurs infrastructures, leurs unités de production, etc. sont endommagées et mettent ainsi à mal la délivrance de performances économiques. C’est ce que l’on appelle «le risque physique». Les incendies qui ravagent actuellement l’Australie sont dévastateurs, mais ils n’ont aucun impact, pour l’instant, sur le chiffre d’affaires des sociétés. Les feux se sont déclarés dans des zones forestières où les entreprises ne sont pas implantées en masse. L’année dernière, les impressionnants incendies qui avaient sévi en Californie ébranlaient, eux, l’économie. Un acteur du secteur de l’énergie comme PG&E subissait d’importantes pertes, car les feux avaient détérioré son réseau de distribution. Avec le nombre croissant de sécheresses et d’ouragans liés au dérèglement climatique, le risque physique aura une influence de plus en plus importante sur l’économie. Ces catastrophes naturelles mettent aussi sur le devant de la scène les manifestations concrètes du réchauffement climatique et alertent l’opinion publique. Elles suscitent peut-être aussi une souscription accrue aux produits de la finance verte par les particuliers.

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Les incendies qui ravagent actuellement l’Australie sont dévastateurs, mais ils n’ont aucun impact, pour l’instant, sur le chiffre d’affaires des sociétés. Les feux se sont déclarés dans des zones forestières où les entreprises ne sont pas implantées en masse. L’année dernière, les impressionnants incendies qui avaient sévi en Californie ébranlaient, eux, l’économie.

Un établissement bancaire peut-il aujourd’hui se positionner uniquement sur des produits de finance verte et être rentable ?

Cette éventualité ne me semble possible que pour une enseigne de petite taille. Un acteur d’envergure mondiale n’est pas encore à même de certifier que tous ses produits financiers s’alignent avec les accords de Paris de 2015. Les données qui permettraient de s’en assurer comportent des lacunes. À part les politiques relatives au charbon par exemple, les entreprises du secteur financier ne donnent pas accès aux pourcentages de financement des énergies renouvelables en regard des énergies polluantes. De plus, si toutes les banques se positionnaient sur des actifs uniquement verts, cela créerait une distorsion sur le marché. La diversification prémunit aussi contre ce risque.

Certains mouvements écologistes accusent les banques et le capitalisme de dévoyer le développement durable. Cette peur est-elle fondée ?

C’est un risque réel. Les standards d’évaluation et les labellisations sont de plus en plus précis. Mais si leurs mises en pratique ne sont pas suffisamment encadrées par la loi, le greenwashing pourrait s’étendre jusqu’à devenir préjudiciable bien au-delà de l’écosystème bancaire. On continuerait à financer, de la même manière, des activités économiques qui n’engageraient pas leur transition énergétique. En fait, on entretiendrait un discours écologiste sans que la nature des produits financiers ne soit modifiée en profondeur ou que la taxonomie voulue par les instances européennes ne soit effective. En somme, on flouerait les consommateurs, tout en entretenant le dérèglement climatique.

Nicolas Bauche

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