Entre crise sanitaire, confinements et élections municipales, le monde de la promotion a connu une année 2020 mouvementée. Véronique Bédague, directrice générale déléguée de Nexity, fait le point et dévoile ses convictions à propos du futur à court et moyen terme du secteur*.

Décideurs. Quels grands enseignements tirez-vous de ces derniers mois ?

Véronique Bédague. La Covid-19 a eu un effet accélérateur extraordinaire sur nos marchés. Dans le secteur des bureaux, le nomadisme constituait déjà une pratique répandue avant la crise sanitaire. Nous avons véritablement tous basculé en télétravail lors du confinement, même les directions générales qui pouvaient montrer une certaine réticence jusqu’alors. Je suis convaincue que le télétravail n’est pas un projet de société. Mais sa généralisation au cours des derniers mois laissera des traces. Différentes études confirment une progression de la proportion de collaborateurs travaillant à distance et une augmentation de sa fréquence hebdomadaire. Cette tendance va durer. Mais le siège social va rester le cœur battant de l’entreprise, le lieu de production et de rassemblement des équipes. La vision de Nexity s’en trouve confortée : nous concevons le bureau comme un outil qui soutient et accélère la transformation des entreprises. Nous nous attendons en parallèle à une amplification du développement des tiers-lieux, car certains collaborateurs ne voudront plus traverser une métropole pour aller de chez eux au bureau. Nexity avait déjà identifié cette tendance de fond avant la crise sanitaire, d’où notre prise de participation majoritaire dans Morning, acteur qui exploite des espaces de coworking à Paris et pourrait travailler sur des entités de petite taille à proximité des habitations.

Qu’observez-vous dans le résidentiel et à l’échelle de la ville ?

Là encore, la crise sanitaire a accéléré le besoin de flexibilité et de modularité dans les logements. Beaucoup de particuliers se sont sentis à l’étroit dans leurs appartements au cours des deux confinements, surtout en restant travailler chez eux. Il existe des solutions. Nous avons développé en intrapreneuriat "Les Ateliers NX", qui proposent par exemple de codesigner des appartements personnalisés et modulaires. La crise sanitaire a renforcé l’attrait des Français pour la propriété. Ils ont aussi plus d’exigence sur la nature en ville, la proximité avec les espaces verts et la présence de balcons. Pour finir, la qualité des logements va s’améliorer pour répondre à ces envies. La ville a plus que jamais besoin de résilience et de mutabilité ! Les projets de restructuration ou de réhabilitation de bureaux vont se multiplier car les investisseurs auront besoin de faire évoluer les bâtiments pour pouvoir les relouer, voire les transformer pour un autre usage. Dans les agglomérations moyennes, la mutation des commerces constitue un enjeu crucial pour revitaliser les centresvilles. Nexity est d’ores et déjà engagé pour accompagner les maires dans leurs actions "Coeur de Ville". Notre filiale Accessite propose aux collectivités locales la redynamisation des secteurs commerçants des centres-villes avec l’offre "Ville Expérience Commerce".

"Ce serait déjà formidable et efficace si nous pouvions construire jusqu’aux limites autorisées par les PLU"

Quelles sont vos propositions pour accélérer la délivrance des autorisations d’urbanisme ?

Généralement, peu de permis sont délivrés avant les élections municipales. Dans le cycle électoral précédent, ce tarissement avait commencé deux ans avant. Cette fois, le phénomène a commencé dès 2017. En outre, de nombreuses équipes municipales ont changé suite aux résultats des urnes, si bien qu’un certain nombre de permis de construire et de projets d’aménagement sont ou vont être réexaminés à l’aune de nouvelles visions de la ville. Je pense néanmoins que le principe de réalité va finir par l’emporter car la demande de logements est forte et va encore monter en pression. De plus, le secteur du BTP est un gros employeur et un contributeur de taille au PIB. Si les carnets de commandes se vident, nos partenaires devront licencier. Nexity a tous les atouts pour engager un dialogue constructif avec les maires et leurs adjoints pour comprendre leurs attentes. C’est la meilleure méthode pour avancer. En parallèle, l’État a mis en place des instruments législatifs comme les bonus de constructibilité qui sont peu utilisés mais qui permettraient d’apporter des éléments de réponse aux problématiques de notre secteur, mais à nouveau, le volontarisme des collectivités doit prévaloir sur ce sujet.

Comment réduire la pénurie d’offre chronique à moyen terme selon vous ?

Avant toute chose, un consensus sur le manque de logements est nécessaire. Le gouvernement n’a pas identifié notre secteur comme prioritaire dans le plan de relance. Il y a pourtant urgence car le décalage entre l’offre et la demande va conduire à une augmentation des prix. Pour sortir de cette situation, Alain Dinin, PDG de Nexity, fait des propositions depuis plusieurs années. La remise à plat de la fiscalité est notamment très importante. Selon les chiffres de la commission des comptes du logement pour 2017, le secteur coûte 42 milliards d’euros à l’État mais il lui en rapporte plus de 74 milliards ! En parallèle, les prix du foncier doivent être régulés. Et la densification par la hauteur doit être apprivoisée collectivement. Ce serait déjà formidable et efficace si nous pouvions construire jusqu’aux limites autorisées par les PLU. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Cette solution est pourtant évidente pour répondre à la demande de logements sans artificialiser les sols. Enfin, l’État doit aider les maires bâtisseurs car ce sont les élus locaux qui réfléchissent la ville et délivrent les permis de construire.

Comment accompagnez-vous le retour des investisseurs institutionnels dans le résidentiel ?

Nous connaissons bien ces acteurs car nous les accompagnons depuis plusieurs années dans leurs projets tertiaires. Aujourd’hui, nous nous attachons également à répondre à leurs demandes dans le résidentiel. Nous leur offrons notre savoir-faire : trouver des terrains et monter les opérations les plus qualitatives possibles avec une forte exigence en matière de RSE. Nous pouvons également assurer le property management pour ces logements, afin d’améliorer la rentabilité des investissements réalisés par les institutionnels. Enfin, nous sommes en mesure de les épauler dans la réhabilitation et la revalorisation de leurs actifs, avec notamment pour objectif la réduction les émissions de gaz à effet de serre.

"Le logement reste un bien de première nécessité"

Quel regard portez-vous sur le pacte pour la relance de la construction durable ?

Nous attendons la déclinaison locale de ce pacte. Mais cette démarche va dans le bon sens. C’est la première fois depuis plusieurs années qu’un consensus se dégage entre l’État, les grandes associations d’élus et les professionnels de la construction. Ce pacte doit permettre de simplifier les procédures, notamment grâce à la digitalisation, ce qui constitue évidemment un axe très intéressant, au même titre que la mutualisation des dépenses des collectivités territoriales. L’accent mis sur le dialogue entre les parties prenantes au niveau local est également une bonne chose même si cela constitue le b.a.-ba de notre métier. Enfin, les notions de bâtiment durable et d’économies de foncier ont retenu mon attention. Nexity imagine depuis plusieurs années des logements disposant systématiquement d’espaces extérieurs et nous verdissons autant que possible nos opérations. La question des bâtiments bas carbone a toutefois un coût. Pour le supporter, les promoteurs ont besoin de densifier en hauteur. Nous avons réussi à le faire avec la tour "Emblématik", programme imaginé par l’architecte Roland Castro à Aubervilliers, et les résultats sont là.

Quelle est votre définition de la ville de demain ?

La ville de demain doit être inclusive. Le logement reste un bien de première nécessité. Cette conviction est dans l’ADN historique de notre groupe. D’ailleurs, Nexity, sous l’impulsion d’Alain Dinin, a été précurseur dans la construction de programmes dans les zones Anru et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et nous visons la construction (en opérations pro-bono) de 1 000 places en pension de famille par an sur trois ans. De plus, la Fondation Nexity, créée en 2017 et opératrice dans les territoires, incarne aussi l’engagement citoyen et sociétal du groupe. La ville de demain devra également être bas carbone et Nexity s’est également déjà emparé de ce sujet ; en 2019 nous étions en tête du palmarès des promoteurs immobiliers BBCA avec douze projets labellisés. Le Palazzo Nice Méridia, immeuble de bureaux en structure bois le plus haut de France avec ses 35 mètres de hauteur, a été le premier bâtiment tertiaire de France à obtenir en septembre le label E+C- avec un niveau E3C2. Nous travaillons par ailleurs sur la réversibilité de nos opérations de bureaux en logements car la ville de demain devra être mutable. Enfin, la ville de demain devra être conviviale. Cela passe par une attention particulière aux quartiers, aux flux et aux nouveaux usages. Nexity travaille ces sujets en proposant, entre autres, des espaces verts de qualité, en élaborant une offre fine et adaptée de services et commerces en bas des immeubles…

Comment entendez-vous contribuer à son développement dans les années à venir ?

Nous avons remporté trois concours qui traduisent notre vision de la ville de demain pour les années à venir : Bruneseau Seine dans le cadre de l’appel à projets "Inventer Bruneseau", la porte de Montreuil dans le cadre du concours "Reinventing Cities" du C40, et le secteur E du Village des athlètes des Jeux de Paris. Le premier sera un quartier à part entière, 100 % E3, qui utilisera 65 % d’énergies renouvelables et dont 50 % de l’énergie consommée sera autoproduite. Notre projet de la porte de Montreuil ira encore plus loin en proposant pour la première fois un projet zéro carbone global prenant en compte l’impact de la construction, des énergies consommées en exploitation et de la mobilité générée. Il mettra également l’accent sur l’aspect inclusif. Notre programme du Village des athlètes s’inscrira dans la même veine, en pensant, dès la conception à la phase "héritage", c’est-à-dire à la transformation des logements que nous proposerons dès la fin des Jeux de Paris, aux habitants de Saint-Ouen.

Propos recueillis par François Perrigault

*Cette interview est extraite du guide construction, promotion et infrastructures 2021 de Décideurs. 

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