Les legaltechs sont pour les avocats le vilain petit canard entré sans prévenir dans la communauté de la prestation juridique. Leur prolifération nécessite à présent de trouver les moyens d’une cohabitation pacifiste. Le tunnel est encore long mais on aperçoit enfin la lumière.

L’ordre est à présent presque établi. Alors que les avocats ont longtemps tenté de détruire le mouvement d’éclosion des legaltechs, survenues sur la scène de la prestation juridique sans préalable, l’équilibre entre ces deux typologies de professionnels est enfin en cours de construction. Les start-up du droit se positionnent sur le segment de l’aide à la décision par l’utilisation d’outils digitaux, des tâches « standardisables », à faible valeur ajoutée, que les avocats ont mises de côté. Ces derniers se concentrant sur des missions de conseil ou d’accompagnement de haut niveau pour une prestation intellectuelle de qualité. Une certaine harmonie atteinte pour deux raisons principales.

Un arsenal digital

La première concerne la prise de conscience des avocats de la nécessité de se digitaliser afin de gagner en rentabilité et en efficacité. Plus de temps à perdre pour des tâches de veille ou de rédaction d’actes standards. Le recours aux legaltechs est désormais indispensable. « Il y a deux ans encore je me faisais insulter, confie Dan Kohn, directeur de la prospective chez Secib. Les avocats n’ont pas prêté serment pour être marqueteur ou techno. Certains ont encore du mal à accepter que leur performance passe par la technologie. » Celui qui se qualifie d’« évangéliste » constate une nette amélioration dans l’introduction des outils informatiques chez les robes noires. À titre individuel, les avocats abandonnent peu à peu leur messagerie traditionnelle non sécurisée au profit d’interfaces fiables et confidentielles. Dans les cabinets, le recours aux legaltechs assure ainsi un suivi des dossiers, des procédures, la facturation et l’organisation du temps de travail des équipes. Les grandes structures mettent même en avant leur arsenal digital dans leurs appels d’offres tandis que les directions juridiques s’arment en solution de gestion de leurs contrats, tous s’assurant du niveau optimal de sécurisation de leurs données. Quelle que soit sa taille, le cabinet ou la direction juridique gagnent à se doter d’outils informatiques performants. Le marché des legaltechs sur le segment du « practice management » offre un arsenal de solutions pour toutes les bourses. Les freins à la modernité tombent un à un.

Remettre les vieilles discordes sur le tapis

La seconde raison est que les institutions représentatives des avocats sont passées d’une farouche opposition à une raisonnable acceptation. La prudence reste pourtant de mise. Après les poursuites judiciaires du Conseil national des barreaux (CNB) à l’encontre de certaines start-up du droit pour exercice illégal de la profession d’avocat, le marché a connu de multiples rebondissements jusqu’à la reconnaissance de la légalité de l’activité de demanderjustice.fr. Aujourd’hui, le CNB use de la voie législative pour restreindre le champ d’intervention de ces nouveaux prestataires du droit, de peur qu’ils ne s’approprient une part de marché trop importante. Le projet justice porté par la Garde des Sceaux Nicole Belloubet est l’occasion de remettre les vieilles discordes sur le tapis. L’institution représentative des avocats de France s’est résignée au développement des legaltechs, acceptant certainement leurs bienfaits tant pour le développement du droit dans la société civile que pour l’organisation des cabinets. Mais elle propose d’en garder la maîtrise : la majorité du capital des strat-up du droit devrait être détenue par les avocats. La loi devrait également imposer la neutralité des algorithmes afin d’empêcher que ces derniers ne prédéterminent la décision finale de l’utilisateur. Deux mesures qu’il est difficile d’envisager dans une loi de programmation de la justice tant elles sont ciblées et sensibles. Le blocage ne risque pas tant de se situer du côté des legaltechs elles-mêmes que du gouvernement, dont l’intérêt est certainement de rester éloigné de cette guerre de territoire. Quelle qu’elle soit, une issue doit être trouvée, pour que les sobriquets de « braconnier du droit » ou de « Far West juridique » ne soient plus jamais prononcés.

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