Improbable il y a encore quelques mois, le scénario d’une possible condamnation d’impeachment elle-même susceptible de déboucher sur une procédure de destitution se précise pour le président Trump, accusé d’avoir utilisé la politique étrangère pour servir ses propres ambitions en conditionnant l’aide militaire accordée par le Congrès américain à l’Ukraine à la divulgation d’informations censées déstabiliser son rival démocrate Joe Biden.

Affaibli jusqu’au sein de son propre camp, le président américain a bien tenté une manœuvre de diversion en retirant subitement les troupes américaines de Syrie. Mais l’initiative, qui devait redorer son blason auprès de son électorat et faire oublier ses difficultés au reste de l’opinion, loin d’avoir l’effet escompté, aura aggravé sa situation en ajoutant le chaos syrien et la menace qu’il fait peser sur ses alliés européens à la liste des griefs qui lui sont reprochés. De là à imaginer que quelques sénateurs lui retirent leur soutien il n’y a qu’un pas qui mènerait tout droit à une possible destitution. Explications.

"Lynchage" ?

Un "lynchage". Fidèle à son sens de la nuance et à sa stratégie de victimisation, c’est en ces termes que Donald Trump résumait, il y a quelques jours, la démarche entamée par la Chambre des représentants (à majorité démocrate) dans le cadre d’une procédure de destitution. À l’origine de ce nouveau coup de chaud présidentiel : le témoignage, accablant, de William Taylor qui, le 22 octobre, venait ajouter une pierre à l’édifice des démocrates. Chargé d’affaires à Kiev, celui-ci était entendu par le Congrès dans le cadre de l’affaire qui empoisonne l’administration Trump depuis des mois. Celle qui, révélée par un lanceur d’alerte en juillet dernier, faisait état d’une conversation téléphonique entre le président américain et son homologue ukrainien durant laquelle Donald Trump aurait expressément demandé à Volodymyr Zelensky d’annoncer publiquement l’ouverture d’une enquête sur le fils de Joe Biden, son rival à ce jour le plus crédible aux prochaines élections présidentielles. Faute de quoi, l’Ukraine ne recevrait pas l’aide militaire de 400 millions de dollars dont elle avait besoin dans sa guerre contre la Russie ; aide qui lui avait pourtant été accordée par le Congrès américain. En d’autres termes, le président Trump aurait conditionné le soutien national à un pays allié à ses intérêts personnels. De quoi, pour Nancy Pelosi, justifier amplement l’ouverture, le 24 septembre dernier, d’une enquête préliminaire en impeachment. Première étape d’une procédure de destitution.

Diplomatie parallèle

Pour Nicole Bacharan, politologue spécialiste des États-Unis et auteur du Monde selon Trump*, la présidente de la Chambre des représentants n’avait pas le choix. "À l’origine, les démocrates ne voulaient pas d’une procédure d’impeachment qui, si elle échouait, aurait nécessairement profité à Trump et peut-être même servi sa réélection. Mais, face à des faits aussi graves, ils n’avaient pas d’autres possibilités que de demander le lancement d’une procédure." Surtout dès lors que le président avait déjà échappé de justesse à des poursuites dans le cadre de l’enquête pour collusion avec la Russie et obstruction de l’enquête. "Il a eu beaucoup de chance que le procureur Mueller renonce finalement à le poursuivre. N’importe qui à sa place s’en serait tenu là. Mais Donald Trump ne respecte aucune loi et, de plus, il est habité par un total sentiment d’impunité." C’est en tout cas ce que l’audition de William Taylor, diplomate de carrière et jouissant d’une grande crédibilité, tend à corroborer, à en croire les fuites qui ont suivi la séance organisée à huis clos. "Dans son témoignage, William Taylor a non seulement confirmé que Trump avait cherché à échanger une aide cruciale à un allié en guerre contre la divulgation d’informations supposées compromettantes sur un adversaire politique, explique Nicole Bacharan, mais aussi qu’il existait un canal de diplomatie parallèle géré par Rudy Giuliani et œuvrant selon les instructions du président."

"Agissements mafieux"

Pour la politologue, on est là bien loin des attendus liés à la fonction présidentielle. "Trump s’est comporté en parrain !, assène-t-elle. Non seulement l’Ukraine est un allié mais l’aide qu’elle devait recevoir avait été votée au Congrès. Il n’appartenait pas à Donald Trump d’en disposer tout comme il n’avait aucun droit d’enrôler une puissance étrangère dans sa campagne. De tels procédés sont totalement illégaux et relèvent d’agissements mafieux." Pour l’heure, la Commission judiciaire mène l’enquête pour déterminer si, en se livrant à cette tentative de troc avec le président ukrainien, Donald Trump s’est rendu coupable de "trahison, corruption ou d’un autre crime ou délit".

"Donald Trump s'est comporté en parrain. Il n'avait aucun droit d'enrôler une puissance étrangère dans sa campagne"

Si c’est le cas, alors la Chambre des représentants sera en mesure de voter l’impeachment, lequel renverra l’affaire devant le Sénat. Celui-ci agira alors en tribunal le temps de la procédure de destitution avec, dans le rôle des jurés, les sénateurs. "S’ils se prononcent à la majorité des deux tiers pour la destitution, explique Nicole Bacharan, celle-ci s’applique instantanément, aucun appel n’est possible." Le Sénat étant à majorité républicaine, une condamnation semble a priori peu probable. Peu probable mais pas impossible.

Débâcle et humiliation

"La Chambre va certainement voter les articles d’impeachment avec des accusations lourdes telles qu’abus de pouvoir, mise en danger de la sécurité nationale et peut-être même trahison, poursuit la politologue. Dans ce cas, l’affaire passera ensuite devant le Sénat où le président est, pour l’heure, protégé par une solide majorité. Mais où il n’est pas exclu que, étant donné la gravité des faits qui lui sont reprochés, certains sénateurs le lâchent par peur qu’il ne fasse couler le parti républicain avec lui..." 

"Il n'est pas exclu que certains sénateurs républicains le lâchent par peur qu'il ne fasse couler le parti "

Conscient du risque, Donald Trump tentait le mois dernier une manœuvre de diversion en rappelant les troupes américaines stationnées en Syrie. Mais cette décision qui devait à la fois satisfaire ses électeurs, puisqu’elle lui permettait d’honorer une promesse de campagne, et détourner l’opinion de ses difficultés internes n’aura servi qu’à aggraver sa situation. "En retirant ses troupes et en donnant le feu vert à Erdogan pour lancer son offensive, il a nui aux Kurdes mais aussi à l’Europe, à la lutte contre Daech et à toutes les alliances américaines dans le monde, explique Nicole Bacharan. À cause de lui, le monde entier sait aujourd’hui qu’on ne peut faire confiance aux États-Unis, ce dont la politique étrangère américaine mettra des années à se remettre. Tout cela pour qu’au final ce soit Vladimir Poutine qui sorte gagnant du chaos qu’il a créé en Syrie. Pour les Républicains, c’est une débâcle et une humiliation sans nom." Quant à l’opinion, elle est aujourd’hui à 51 % favorable à l’enquête en cours. Difficile d’imaginer, dans un tel contexte, que le président Trump, s’il parvient à finir son mandat, puisse en briguer un second.

Caroline Castets

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