Devenir maître du temps : une idée qui semble animer nombres d’actifs. Au-delà de la question de travailler plus ou moins, les salariés se demandent surtout comment valoriser leur savoir-faire outre le traditionnel décompte des heures. Plus qu’une question de temps, s’y lit en creux celle de la valorisation de la force de travail.

Les frugalistes souhaitent prendre leur retraite à l’âge de 40 ans, les slasheurs mettent leur temps de travail au service de différents employeurs, quand d’autres préfèrent tout simplement cumuler les CDD plutôt qu’opter pour un CDI. En bref, la question du temps que l’on consacre au travail est prégnante. Loin d’être anodin, ce sujet révèle l’effritement de l’idée de longue date selon laquelle travailler serait louer son temps au service de quelqu’un.

Forfaits jours ou forfaits heures

La fin de l’unité de temps ne date pas d’hier. Déjà les débats autour des 35 heures interrogeaient la mobilisation unilatérale des compétences d’un salarié pour un employeur. L’émergence du freelancing a, en ce sens, nettement marqué un tournant et fait de la flexibilité le grand gagnant. L’apparition du forfait jour, à l’inverse du forfait heure, ébranle considérablement l’unité de temps. La flexibilité offerte par le statut d’auto-entrepreneur séduit davantage, et selon le baromètre Ifop pour Freelance.com de décembre 2021 : si 41% des cadres ont songé à démissionner, 30% d’entre eux se déclarent prêts à devenir travailleurs indépendants à l’avenir. Une autre donnée de cette enquête valorise de nouveau la volonté d’hybridation : un cadre sur deux estime que la possibilité de concilier travail en freelance à mi-temps et travail en tant que salarié à mi-temps serait un bon compromis.

41% des cadres ont songé à démissionner, 30% d’entre eux se déclarent prêts à devenir travailleurs indépendants à l’avenir

Consultant le lundi, professeur de yoga le vendredi

Le slashing qui habite le monde du travail depuis les années 1970 ne fait que croître. Sous ce terme, on évoque les travailleurs qui ont choisi de cumuler plusieurs professions en même temps : "One Person, Multiple Careers". Selon l’Insee, 2,3 millions d’actifs en France seraient des slasheurs en 2018, et l’accélération du télétravail due à la pandémie en a convaincu bien d’autres. Consultant du lundi au jeudi et professeur de yoga le vendredi : ne serait-ce pas la meilleure façon de gagner sa vie de façon hybride ? Souvent considérés comme des couteaux suisses, les slasheurs se donnent la possibilité de développer l’ensemble de leurs compétences mais aussi de se rendre disponibles pour plusieurs employeurs. À la fois pourvoyeur de liberté, le slashing sécurise également certains actifs qui y trouvent l’opportunité d’avoir plusieurs cordes à leur arc. Jean-Marie Peretti, auteur de L’apprenance au service de la performance  explique dans une prédécente interview donnée à Décideurs (https://www.magazine-decideurs.com/news/l-apprenance-le-nouveau-mantra) :"Pour les slasheurs, le fait de bénéficier d'un emploi stable n'est pas un enjeu motivant. À l’entreprise de leur permettre de slasher en interne, c’est-à-dire de s’impliquer dans d’autres projets que le leur, et les enrichir d’expériences externes."

L’indépendance

Cette mutation qui parcourt le monde du travail ne semble pas seulement inciter à des formes d’exercices professionnels différentes et indépendantes mais affecte le salariat en tant que tel. Mis en difficulté lors de la crise sanitaire, le management de proximité se réinvente. Les managers doivent répondre à la question de l’enjeu de la distance et les salariés souhaitent exercer des missions évaluables en matière de projets et non plus d’heures. "Badger en ayant la responsabilité de projets à effectuer me paraît une ineptie. Je ne peux calculer mon temps en termes d’heures mais plutôt de jours, voire de semaines. Un projet se mûrit en dehors des horaires de travail. Par ailleurs, lorsque je vais au bureau, ce n’est pas uniquement pour travailler mais aussi échanger avec mes collègues", témoigne Maylis, cadre dans une grande institution de la fonction publique. La porosité vie personnelle-vie professionnelle tant interrogée depuis le début de la pandémie incite les directions à revoir le paradigme de l’évaluation de la performance de leurs collaborateurs.

Une nouvelle économie du temps

Outre le besoin de davantage de flexibilité, une autre question se pose : celle de l’économie du temps. L’émergence d’une économie de service a fortement incité à repenser l’économie du temps au travail, encore une fois accélérée par la pandémie. Preuve en est la réflexion sur le travail des quatre jours par semaine qui s’implante dans certains pays. Selon The Guardian du 4 avril 2022, plus de 3000 travailleurs de 60 compagnies différentes sont passés au quatre jours de travail par semaine en Grande-Bretagne. Si le phénomène a semblé longtemps farfelu en France, le débat mérite qu’on s’y attarde. En 1996, la loi Robien avait déjà permis à 400 entreprises de passer de 39 heures à 32 heures sur quatre jours. Si les lois Aubry de 1998 et 2000 ont fait tomber cette mesure, certains employeurs y trouvent une force d’attractivité dans un marché de l’emploi tendu. Yprema, société de recyclage, a conservé les quatre jours depuis la loi Robien ; idem pour Welcome to the jungle qui a sauté le pas dès 2019. La société lyonnaise LDCL a également très tôt cassé les codes en optant pour la semaine de quatre jours dès 2020 en maintenant 8 heures par jour, soit 32 heures. Côté économie : la semaine de quatre jours permet plus d’embauches et une meilleure marque employeur pour les entreprises. Côté ressources humaines, le débat est en cours : travailler sur quatre jours plutôt que cinq n’engendre-t-il pas le risque de créer une forte productivité sur un temps restreint, déliter les relations entre les collègues qui échangeront moins ? Gagner du temps n’est peut-être pas qu’une question d’heures mais aussi de manière dont on en dispose.

Le monde du travail semble se réinventer en dehors des sacro-saintes règles empreintes du théâtre classique : unité de temps, de lieu et d’action. Derrière la question de l’épargne du temps, n’y voit-on pas déjà celle de l’invention des métiers de demain bien moins axés sur une seule compétence ?

Elsa Guérin

 

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