Portée par une croissance éclair, la messagerie star des smartphones chinois a atteint le milliard d’utilisateurs cette année. Un succès qui inspire les leaders occidentaux du numérique.

L’homme le plus riche de Chine est un parfait inconnu à la tête d’une fortune de 47 milliards de dollars. Ma Huateng, surnommé Pony Ma, sort diplômé en informatique de l’université de Shenzhen en 1993. Engagé par un groupe de télécoms chinois, il découvre lors d’un voyage aux États-Unis l’essor des logiciels, et notamment des messageries instantanées. De retour en Chine, il fonde Tencent et lance une copie de la messagerie d’origine israélienne ICQ sur le marché chinois. OICQ, rebaptisée rapidement QQ, voit le jour au début des années 2000 et se hisse rapidement parmi les plus populaires du pays.

Tencent traîne à l’époque une réputation de groupe peu innovant, seulement capable de copier les succès vus à l’étranger. La situation change en 2011. L’entreprise basée à Shenzhen, qui dégage déjà d’importants profits grâce aux jeux vidéo, lance une nouvelle messagerie, WeChat. L’objetctif est simple : profiter de l’adoption massive des smartphones en Chine pour s’imposer comme la messagerie de référence. Le succès est fulgurant. Les utilisateurs de WeChat passent 90 minutes par jour sur l’application, soit deux fois plus que le temps moyen d’utilisation de Facebook, Instagram et Messenger réunis. Le rêve de tout développeur ! Et avec 75 % de la population chinoise comme utilisateurs, WeChat s’impose parmi les applications les plus téléchargées au monde.

La « Super App »

Le destin de Pony Ma semble au premier abord calqué sur le succès des leaders de la tech américaine. Auréolé de l’étiquette de self-made man, il a récemment décidé de consacrer une importante part de sa fortune à des œuvres philanthropiques. Comme Mark Zuckerberg. Le groupe est également au capital de plusieurs pépites technologiques américaines, à l’image de Tesla, dont Tencent possède 5 %. Pourtant, son modèle économique est très différent de celui de ses homologues américains. Pour comprendre Tencent, il faut commencer par oublier ce que nous savons du modèle économique des Gafam. Facebook finance son développement grâce au ciblage des données de ses utilisateurs par les annonceurs. Les données de l’application chinoise restent, elles, au fond des smartphones des utilisateurs. « Il était possible de comparer WeChat à Facebook, Baidu à Google, Alibaba à Amazon… il y a dix ans. Aujourd’hui, ce n’est plus possible », explique Matthew Brennan, consultant et spécialiste du numérique chinois.

Le secret de WeChat, c’est de donner accès à partir de la messagerie à une quantité d’autres applications, comme un service de streaming musical ou de covoiturage. « Il n’y a à peu près rien que l’on ne puisse faire sur WeChat », explique Martin Pasquier, directeur général d’Innovation is everywhere. L’installation de ces services est d’autant plus facile qu’il n’est pas nécessaire de les télécharger pour y avoir accès;  elles sont déjà préinstallées via des « mini-programmes » sur WeChat.

"En Chine, il n'y  a à peu près rien que l'on ne puisse faire sur WeChat"

La plus répandue des fonctions est son application de paiement en ligne WeChat Pay. Alors que les Chinois sont longtemps restés attachés à l’argent liquide, ils ont migré vers le paiement en ligne en quelques années seulement. L’e-commerce représente aujourd’hui 14 % des ventes au détail, contre 8 % en France. Avec WeChat Pay, il est possible de régler une note de restaurant en scannant un QR code ou de régler sa facture d’électricité. Même les fameuses hongbao, ces enveloppes rouges remplies de billets de banque que les Chinois offrent lors d’événements, ont été remplacées par l’application. Lors de la journée du nouvel an chinois en 2017, pas moins de 14 milliards de transactions ont été enregistrées dans l’empire du Milieu. « Tencent a profité de ce que le secteur bancaire était peu développé en Chine, et de ce que l’usage des cartes bancaires était peu courant », ajoute Matthew Brennan. En cannibalisant tous les différents services disponibles sur un smartphone, WeChat est devenue une « Super App », une application capable de « tuer » toutes les autres.

Facebook copie WeChat

Tencent est le premier bénéficiaire du succès de WeChat. Non seulement le groupe prend un pourcentage sur toutes les opérations effectuées à partir de la messagerie, mais en plus il a développé ses propres services et contenus. « WeChat ne monétise pas ses données, mais c’est un moteur de croissance pour les autres business du groupe. C’est un peu comme iOS ou Android », résume Matthew Brennan. Via WeChat, Tencent peut commercialiser ses autres services, comme Meitan Dianping (vente en ligne groupée), Kuaishou (plateforme vidéo), Tencent Video (plateforme de VOD) ou Tencent Musique (streaming musical). Au total, un utilisateur moyen sur son mobile passe 55 % de son temps à utiliser les services de Tencent.

Tencent possède 5% de Tesla

Le cas des services vidéo est particulièrement parlant. Grâce à WeChat, Tencent a réussi à gonfler les abonnements à son service de VOD Tencent Video, et à s’emparer d’un quart du marché chinois. Le groupe revendique même un plus grand nombre d’abonnés que Netflix. Ces dernières années, il a également multiplié les investissements dans des start-up innovantes afin de soigner la qualité de ses services. Entre 2016 et 2017, Tencent a réalisé pas moins de 318 investissements. Mieux, il a diversifié les secteurs dans lesquels il est présent afin de proposer le plus large éventail de services sur WeChat. Tencent a par exemple investi dans Karius, une plateforme de diagnostic pour les maladies infectieuses, et regarde du côté de l’agriculture connectée ou encore des nouvelles mobilités.

Le groupe a également commencé à monétiser sa gigantesque audience sur son application, en développant la publicité vidéo. Succès fulgurant, celle-ci représente aujourd’hui près de 66% de la pub média du groupe. Cette réussite fait réfléchir les acteurs occidentaux, qui regardent désormais la Chine comme une source d’inspiration. Facebook s’est inspiré de WeChat en ciblant directement les utilisateurs sur ses messageries via des contenus vidéos et musicaux longs.

En lutte contre Alibaba

Le modèle Tencent n’est pas une exception en Chine. L’écosystème qu’a construit le groupe est en compétition avec celui d’Alibaba, le leader chinois de l’e-commerce. L’entreprise de Jack Ma a également développé Alibaba Music, TaoBao (e-commerce), Tmall (e-commerce), Youku Ofo (vélo en libre-service). Le moteur de recherche Baidu a, à son tour, bâti le sien, en développant Bitauto (fournisseur de contenu web pour l’automobile), Uxin (vente de véhicules d’occasion en ligne) ou encore Baidu News (média). « Pour les start-up chinoises, la seule opportunité pour croître, c’est de réussir à attirer les investissements de Tencent ou d’Alibaba. Mais elles ne peuvent pas être avec les deux, car ils sont en compétition. Les marques constatent d’ailleurs que de plus en plus de barrières limitent la possibilité d’être dans deux écosystèmes en même temps », conclut Martin Pasquier.

Florent Detroy

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