Quelques mois après l’arrêt de la Cour de cassation considérant la relation entre Uber et ses chauffeurs identique à celle liant un salarié à son employeur, les taxis français ont décidé d’agir collectivement contre leur principal concurrent sur le marché. En attaquant la société américaine pour concurrence déloyale, ils dénoncent une pratique dont ils estiment être victimes depuis plusieurs années maintenant.

Quatre-vingt-onze millions. C’est le chiffre titanesque d’utilisateurs d’Uber dans le monde. Sortir son smartphone, réserver un Uber et se rendre à un rendez-vous, au travail ou tout simplement rentrer chez soi : l’action est devenue quasi automatique pour de nombreux citadins français, supplantant celle de héler un taxi. Pourtant, l’américain Uber doit son succès à un système décrié depuis sa création et qui a donné naissance au néologisme « uberisation ». En cause, la concurrence faite aux taxis en proposant des courses à des tarifs moins élevés que les leurs. C’est pour cette raison qu’ils s’allient aujourd’hui en préparant une action collective contre la société californienne sur le fondement de la concurrence déloyale. Cette initiative, lancée avant l’été par deux sociétés de taxis avec l’appui de deux syndicats et d’organismes représentatifs à savoir la Fédération nationale des taxis indépendants (FNTI) et l’Union nationale de Taxis (UNT), réunit plus de 2 500 signataires décidés à en découdre avec Uber.

Première action collective d’ampleur

En 2011, Paris devient la première ville en dehors des États-Unis à accueillir le service Uber. Plus de 60 voitures de tourisme avec chauffeurs (VTC) sont enregistrées dans l’application Uber et commencent à circuler dans la capitale, qui compte alors 19 000 taxis environ. Un cataclysme pour l’époque où le monopole des taxis semble bel et bien intouchable. La particularité d’Uber ? Recourir à des chauffeurs indépendants utilisant leur propre véhicule. La plateforme étend peu à peu sa présence dans l’Hexagone en s’implantant à Lyon, Lille, Bordeaux, Toulouse puis Nice. De nouvelles offres sont également développées au fil des années : UberX, la version économique d’Uber, qui propose des courses à bord de véhicules moins luxueux pour un prix réduit, Uber for Business, adressé aux entreprises, ou encore Uber Pool, permettant de partager le trajet entre plusieurs utilisateurs empruntant la même direction, et donc de baisser considérablement le prix de la course pour chacun. Les tarifs varient souvent, en fonction de l’affluence notamment. "À date, et en période de pointe, Uber est régulièrement plus cher que les taxis, alors qu’au début, cette plateforme pratiquait des prix abusivement bas, grâce à son modèle économique qui suppose de ne pas avoir de salariés", relève Cédric Dubucq, associé du cabinet Bruzzo Dubucq et représentant des taxis français dans leur action collective contre Uber.

Depuis plusieurs années, la bataille entre les taxis et le géant californien du VTC fait rage et les tensions ne se sont jamais apaisées. Si plusieurs actions judiciaires ont déjà été engagées par le passé, aucune ne semble avoir mis fin à la colère des chauffeurs de taxi. "Jusqu’ici, rien de significatif n’a été obtenu contre Uber devant la justice française, juge Cédric Dubucq. En revanche, c’est la première fois qu’une action collective de cette ampleur, portée par plusieurs fédérations et instances représentatives de la profession des taxis, est mise en place. Le but est d’agir d’une voix commune et de la faire entendre."

Bases illégales et déloyales

Le point de départ de l’action collective prévue n’est autre qu’un arrêt rendu le 4 mars dernier par la chambre sociale de la Cour de cassation. Celle-ci a considéré que la relation qui lie un chauffeur indépendant à la plateforme Uber est la même que celle existant entre un employeur et son salarié. "Depuis son implantation en France, Uber viole le droit du travail français et s’exonère de lourdes charges patronales et également, par voie de conséquence, de la notion d’établissement stable, qui emporte la nécessité de réintégrer l’ensemble du prix des courses dans le chiffre d’affaires français d’Uber, lequel aurait dû contenir dans son bilan les chauffeurs et les véhicules. Son modèle économique, recalé par la Cour de cassation, lui permet de proposer une tarification avantageuse à ses clients, analyse Cédric Dubucq. C’est donc sur ces bases illégales et déloyales que la société a prospéré en France et pu capter une part importante du marché, et donc de se valoriser en bourse".

Les taxis ont par ailleurs choisi de s’appuyer sur une deuxième jurisprudence, datée du 12 février dernier, de laquelle il résulte que "lorsque les effets préjudiciables, en termes de trouble économique, d’actes de concurrence déloyale sont particulièrement difficiles à quantifier […], il y a lieu d’admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale au détriment de ses concurrents, modulée à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectés par ces actes." Concrètement, il faut comprendre que les charges sociales dont Uber s’est exonéré ont eu un impact positif sur son modèle économique, au détriment de celui des taxis français. Sur la base de ces deux arrêts, les chauffeurs entrevoient aujourd’hui la possibilité d’obtenir réparation du préjudice économique subi ces dernières années. "Les fédérations, syndicats et groupements de taxis se sont emparés de l’action collective, ce qui a produit un effet boule de neige significatif. De nombreux chauffeurs souhaitent maintenant prendre leur revanche à la suite de cette paupérisation de la profession", explique Cédric Dubucq.

"Ce ne sont pas les VTC qui sont visés, puisqu’il en existe beaucoup d’autres sur le marché depuis plusieurs années comme Mycab ou Marcel, mais bien le fonctionnement d’Uber" 

Les participants à l’action collective entendent obtenir une réparation de ce qu’ils qualifient de préjudice, qu’il soit moral, et donc lié à la réputation entachée des taxis, ou matériel. "Le préjudice individuel financier va dépendre de l’économie qu’a réalisée Uber, directement liée à cette violation du droit du travail. Il en résulte une faute lucrative sociale, fiscale, concurrentielle et boursière, puisque le fait de salarier les chauffeurs exclut qu’Uber ait pu générer de tels flux de trésoreries et lever des fonds auprès d’investisseurs, estime Cédric Dubucq. Une véritable souffrance au sein de la profession, dont l’image et la réputation ont été entachées, est par ailleurs perceptible", ajoute l’avocat. C’est pour cette raison que les taxis envisagent de faire reconnaître le préjudice moral subi depuis l’arrivée d’Uber sur le marché du transport.

Uber contre le reste du monde ?

À l’échelle mondiale, les batailles judiciaires contre la société californienne ne manquent pas. Certains pays ont même déjà engagé des actions collectives contre Uber, réunissant parfois un très grand nombre de demandeurs : au Québec, ils étaient 22 000 à réclamer réparation à hauteur d’un milliard de dollars, en Australie, 6 000 pour demander des mesures d’interdiction contre Uber et au Royaume-Uni, 11 000 chauffeurs requièrent une condamnation à un milliard de dollars. "Uber subit aujourd’hui le retour de flamme de son modèle. Il faut bien comprendre que ce ne sont pas les VTC qui sont visés, puisqu’il en existe beaucoup d’autres sur le marché depuis plusieurs années comme Mycab ou Marcel, mais bien le fonctionnement d’Uber", rappelle Cédric Dubucq. L’action collective portée par le cabinet Bruzzo Dubucq a été ouverte à tous les taxis, qu’ils aient subi la concurrence d’Uber de front ou de manière plus indirecte, aux syndicats ou associations, salariés ou indépendants. Très prochainement, le leader mondial des VTC sera assigné devant le tribunal de commerce de Paris pour une durée de procédure oscillant entre douze et dix-huit mois si aucun accord transactionnel n’est trouvé. Déjà, 2 500 chauffeurs de taxi sur les 55 000 licenciés participent à cette action collective. À noter que la plupart des signataires restent des conducteurs exerçant dans les villes où Uber est présent également. Les prochains mois risquent donc de s’annoncer tumultueux pour Uber France, qui vient de nommer Laureline Serieys en qualité de general manager pour la France. Habituée à créer la polémique, l’entreprise a certainement déjà préparé sa riposte.

Marine Calvo

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