L’Efama (European Fund and Asset Management Association) est le représentant de l'industrie européenne de la gestion d'actifs auprès des décideurs internationaux. Ses membres sont des associations nationales, des gestionnaires d’actifs et des professions connexes. Tanguy van de Werve en a été nommé il y a dix-huit mois directeur général. Il dresse un premier bilan de son action et explique comment les professionnels du secteur s’adaptent à la crise du covid-19.

Décideurs. Quel bilan dressez-vous de vos 18 premiers mois en tant que directeur général de l’Efama ?

Tanguy van de Werve. Durant cette période, un nouveau parlement européen – devenu plus vert – a été élu et la nouvelle commission européenne d’Ursula von der Leyen s’est empressée de faire adopter le green deal, quelques mois avant que la pandémie de Covid-19 ne soit déclarée. La détermination de l’Union européenne à s’engager résolument contre le réchauffement climatique n’a jamais été aussi forte et la crise sanitaire que nous traversons ne fait que la renforcer. L’industrie de la gestion d’actifs se doit de participer, aux côtés des institutions européennes, à la transition énergétique en promouvant l’avènement de la finance verte.  Notre industrie a un rôle clé à jouer à cet égard, celui de courroie de transmission entre des investisseurs et des émetteurs de plus en plus soucieux de leur empreinte sociale et environnementale.

Nous assistons par ailleurs à une revitalisation du projet européen d’union des marchés de capitaux. Beaucoup de dettes ont été injectées dans le système, ce qui accroît sa vulnérabilité. L’investissement en capital doit être favorisé. Sur cette question, la France a réalisé de réelles avancées dans le cadre de la Loi Pacte et a soutenu l’essor de l’épargne salariale.

La question du financement des retraites a également été mise sur le devant de la scène. Le premier pilier, celui versé par les États, n’est plus suffisant pour financer sa retraite et on peut craindre que la situation se dégrade encore davantage à l’avenir.  Certains états comme les Pays-Bas peuvent s’appuyer sur un secteur des fonds de pensions très développé. La France peut, quant à elle, compter sur des outils d’épargne personnel attractifs. Mais beaucoup de choses restent à faire dans la majorité des états membres.

Comment les sociétés de gestion européennes ont-elles vécu la crise sanitaire et la baisse des marchés que celle-ci a provoquée ?

La difficulté n’était pas tant de gérer la volatilité mais bien la liquidité, les rachats de parts. L’immense majorité des 34 000 fonds Ucits n’ont pas rencontré de problèmes particuliers. Ces derniers ont pu utiliser les outils de gestion du risque de liquidité à leur disposition. Je pense notamment au swing pricing – l’ajustement (à la hausse ou à la baisse) de la valeur liquidative d’un fonds en fonction des mouvements de passif – et le gating, qui permet d’étaler temporairement les demandes de rachat sur plusieurs valeurs liquidatives dès lors qu’elles excèdent un certain niveau préalablement déterminé.

Quant aux suspensions, il y en a eu excessivement peu, soit moins d’une centaine selon les dernières estimations. La plupart furent de courte durée et justifiées par des difficultés liées à la valorisation de certains actifs, notamment immobiliers.

"Beaucoup de dettes ont été injectées dans le système, ce qui accroît sa vulnérabilité"

Cette période agitée va-t-elle favoriser, accélérer la concentration du secteur ?

On peut s’attendre à ce que le processus de consolidation de l’industrie, déjà entamé avant la crise, se poursuive, en quête d’économies d’échelle. Un certain nombre de sociétés de gestion sont aussi des filiales de compagnies d’assurance et d’établissements bancaires. Leurs destins sont en partie liés à celui de leurs maisons mères. Je pense toutefois qu’il y aura toujours de la place pour les entrepreneurs, les boutiques créatives adoptant une gestion de conviction.

Cette crise est avant une opportunité pour les asset managers de revoir la gestion de leurs coûts ce qui pourrait les amener à externaliser certaines fonctions, rationaliser leur gamme de fonds, ou encore revoir leurs modèles de distribution, notamment digitale.

En mars dernier, un débat – nourri par des économistes et des investisseurs – avait été lancé sur la fermeture des bourses lorsque les marchés connaissent des périodes très agitées, comme le 12 mars dernier où le CAC 40 a chuté de plus de 12 %. Quelle est votre position sur la question ?

Notre position est très claire. Le 20 mars dernier nous avons rédigé une lettre au nom de toute l’industrie financière européenne (associations d’émetteurs, assureurs, banques d’investissement, etc.) appelant à maintenir les marchés ouverts. Des simples rumeurs de fermetures éventuelles des marchés suffisent à amplifier la chute des indices. Les marchés equities sont profonds. Ils ont la capacité de faire face à de fortes périodes de volatilité. Laisser les marchés ouverts est même indispensable sur le plan économique. De nombreuses sociétés ont pu réaliser des augmentations de capital au cœur de la crise.

"Je crains des scandales comme celui de Wirecard en Allemagne. De telles affaires sapent la confiance des épargnants"

La chute des marchés financiers est intervenue alors que les pouvoirs publics et acteurs du marché de l’épargne incitaient les épargnants français à investir sur des placements plus risqués (notamment en actions) pour préparer leur retraite ou des projets à long terme. Ne craignez-vous pas que ce premier semestre difficile pour les marchés rende une partie de ces épargnants plus frileux ?

Un investissement en actions se réalise sur le long terme. La situation aujourd’hui est très différente de ce qu’elle était le 18 mars, au plus fort de la crise sur les marchés, et continuera à évoluer. C’est pour cette raison qu’il est intéressant de passer par des gestionnaires professionnels. Ceux-ci sont moins susceptibles de céder à la panique et plus à même de gérer les risques au mieux des intérêts des épargnants.  Plutôt que des épisodes de forte volatilité, je crains surtout des scandales comme celui de Wirecard en Allemagne. De telles affaires sapent la confiance des épargnants et sont de nature à les décourager de s’aventurer sur les marchés financiers.

Les fonds étiquetés ISR/ESG ont, en relatif, réalisé de bonnes performances au cours des cinq premiers mois de l’année. La crise du Covid-19 va-t-elle les rendre incontournables en Europe ? Quel regard portez-vous sur le travail réalisé par les autorités européennes sur la taxonomie qui a permis la construction d’un référentiel commun ?

Le processus a commencé bien avant le Covid-19. C’est un effet positif de la crise si cette prise de conscience des enjeux ISR/ESG en ressort renforcée. Nous apportons notre soutien aux objectifs de l’Union européenne en la matière. La taxonomie est un bon point de départ. Il est toutefois indispensable que les entreprises publient les informations non financières nécessaires à la bonne mise en œuvre des nouvelles règles. De même, il faut veiller à internationaliser le débat et favoriser la mise en place de standards internationaux de façon à ne pas restreindre l’univers d’investissements ESG aux seules sociétés européennes. Il s’agit également de veiller à ce que la règlementation encourage l’essor de la finance verte plutôt que de le brider par des règles inutilement complexes et prescriptives. S’il y a tout lieu de combattre le greenwashing, il convient tout autant de promouvoir l’innovation en termes de stratégies ESG.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

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