Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz, nous dévoile la politique de l’entreprise en matière de gaz renouvelables ainsi que sur les projets afférents à ce domaine.

Décideurs. Quels enseignements tirez-vous de la crise sanitaire et des confinements pour vos projets ?

Thierry Trouvé. Nous avons traversé la crise sanitaire sans trop de difficultés. Pendant le premier confinement, nous avons interrompu des activités de terrain non essentielles et ajourné certains projets d’investissement. À partir de l’été 2020, toutes nos activités ont repris, y compris lors du deuxième et troisième confinement, elles n‘ont pas été perturbées. Pendant toute la crise, nous avons continué à assurer nos missions de service public, l’acheminement du gaz, en veillant à la sécurité et au bien-être de nos salariés. Toutes les activités pouvant se faire en télétravail ont perduré. D’un point de vue économique, environ 10 % de nos investissements ont été repoussés à 2021 car nous n’avons pas pu rattraper la totalité du retard pris au printemps. Au niveau du groupe, le chiffre d'affaires est stable et notre résultat net est légèrement supérieur à l’année précédente. Nous n‘avons pas été économiquement affectés par la crise.        

Concernant nos projets actuels, ils sont de petite et moyenne taille : ce sont des projets de maintenance lourde et de déplacement d’ouvrages. Le projet le plus important est le renforcement de l’artère en Bretagne Sud qui vise à sécuriser l’approvisionnement énergétique de la région, notamment dans le contexte de la construction de la centrale à cycle combiné au gaz naturel de Landivisiau qui s’inscrit dans le cadre du pacte électrique breton. La majorité des travaux s’effectuera en 2021.   

Quelle est la politique de GRTgaz en matière  de gaz renouvelables ?   

GRTgaz s’est doté d’une raison d’être : “ensemble, rendre possible un avenir énergétique sûr, abordable et neutre pour le climat".Toutes nos parties prenantes s’inscrivent  dans une  perspective de  neutralité carbone et nous devons les  accompagner dans cette démarche  en favorisant  le développement des filières de gaz renouvelable.  De cette coconstruction doivent émerger des solutions  abordables, c’est-à-dire  économiquement  soutenables  pour  le pays, et  sûres,  dans le sens où  il faut continuer à maintenir la sécurité énergétique des Français,  alors que  les énergies renouvelables intermittentes  vont continuer de se développer. Le  “rendre possible” de notre raison d’être exprime la conviction que,  pour atteindre une neutralité  carbone sûre  et abordable, il nous faut des solutions de gaz au sens large du terme  et  des infrastructures adaptées à ce nouveau modèle énergétique.  À  horizon 2050,  le gaz naturel fossile sera remplacé par des gaz  bas  carbone ou renouvelables. C’est la raison pour laquelle cette source d’énergie  n’est pas une mode pour nous mais le début de  “la  troisième  révolution du gaz”. En effet,  au XIXe siècle, a eu lieu  la  première  révolution du gaz, composée  de méthane et d’hydrogène,  fabriqués  dans chaque ville dans des usines à gaz. Puis, au milieu du XXe  siècle,   une deuxième  révolution est arrivée  : nous avons démantelé  les usines  à gaz et sommes allés chercher le gaz naturel sous la mer ou sous la terre, gaz alors composé exclusivement de méthane.  

Nous entrons aujourd’hui dans une troisième  phase,  qui constitue une sorte de “retour vers le futur”,  puisque nous  réintégrons l’hydrogène  comme vecteur énergétique. L’idée est de faire du gaz à partir de matières  organiques  renouvelables  ou d’utiliser des  processus  générant  des gaz bas  carbone.  En  2050, nous imaginons un bouquet gazier composé  de trois parties  :  une partie d’hydrogène  pur, une partie de gaz issu du procédé de méthanisation  (biométhane) et enfin  une  partie issue des technologies de gazéification  (déchets).  À  cet horizon, un tiers de  la consommation actuelle de gaz sera perdu  du fait de  l’efficacité énergétique et de l’électrification  accrue du mix énergétique.   

 "A partir de 2035, nous entrevoyons l’émergence en Europe d’un deuxième réseau d’hydrogène"

Quels sont vos projets dans ce domaine ?  

S’agissant de la méthanisation, notre objectif est de mettre en œuvre les solutions pour raccorder et drainer au meilleur coût la production sur le territoire. À propos de la gazéification, nous travaillons avec d’autres acteurs pour faire émerger ces filières. En matière d’hydrogène, nous préparons nos infrastructures grâce à des travaux de recherche et des pilotes pour tester l’injection de ce nouveau vecteur énergétique dans nos installations. Au niveau européen, nous travaillons avec nos homologues, notamment sur un projet transfrontalier de conversion de nos canalisations de méthane en hydrogène entre la France, le Luxembourg et l’Allemagne.   

Notre vision des infrastructures gaz est, qu’à terme, avec la baisse de la consommation, un certain nombre d'ouvrages vont être libérés. Nombre de nos canalisations sont doublées : l’idée est de garder certaines d’entre elles pour le transport de méthane d’origine renouvelable et de dédier l’autre à l’hydrogène. Ainsi, à partir de 2035, nous entrevoyons l’émergence en Europe d’un deuxième réseau d’hydrogène construit en grande partie à partir de canalisations de méthane reconverties, et à certains endroits d’ouvrages neufs.   

Pour finir, l’ossature du système énergétique de demain sera composée d’un réseau électrique, d’un réseau de méthane et un réseau d’hydrogène, les trois étant complémentaires, conçus ensemble, avec des ponts pour passer de l’un à l’autre. Ce système résilient est moins coûteux que si l’on misait seulement sur l’électricité ou la production décentralisée d’hydrogène. Nous œuvrons chez GRTgaz à rendre possible cette conversion d’une partie de nos ouvrages vers l’hydrogène. 

D’après vous, l’objectif de  neutralité carbone d’ici 2050 est-il atteignable ?   

Il s’agit d’un objectif extrêmement ambitieux. Il faut être conscient que toutes les technologies qui permettront d’arriver à cet objectif ne sont pas disponibles aujourd’hui. Elles sont parfois à un stade de développement avancé, mais elles pas encore au niveau industriel. Cela n’est pas spécifique à l’activité gazière. Pour atteindre l’objectif fixé pour 2050, il faut, d’une part s’appuyer sur les technologies existantes, leur permettre de gagner encore en performance, mais aussi poursuivre de façon soutenue les efforts de recherche et d’innovation. Par ailleurs, cet objectif est certes ambitieux, mais il a le mérite de montrer le cap et d’être mobilisateur. Soyons lucides : ce n’est pas parce que nous visons cette neutralité carbone qu’il faut imaginer que la cible sera, à coup sûr, atteinte partout en 2050. Nous devons constituer une feuille de route pragmatique qui n’écarte pas trop vite les solutions qui permettent d’avancer rapidement sur le chemin de la décarbonation à moindre coût. Par exemple, en Pologne, où plus de 70 % de l’électricité polonaise est faite à partir de charbon, la manière la plus rapide de décarboner  ce pays est d’abord de convertir les centrales à charbon en centrales à gaz. Certes, il faudra aussi que la Pologne verdisse son gaz, mais l’urgence est là et les premiers pas sont possibles rapidement et à moindre coût. Il faut également se montrer réaliste. En France, une vision consiste à dire que, comme notre électricité majoritairement nucléaire est décarbonée, il suffirait de tout électrifier pour atteindre la neutralité carbone. C’est simpliste. Je pense que la solution passe nécessairement par un système énergétique hybride, multi-énergies pour relever ensemble le défi de la transition énergétique à l’horizon 2050. 

Propos recueillis par Clémentine Locastro

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