Historien et directeur de la Fondation Napoléon, Thierry Lentz revient sur les célébrations du bicentenaire de la mort de l’Empereur à l’échelle européenne.

Décideurs. Napoléon a marqué de son empreinte le Vieux Continent. Où est-t-il le plus populaire ?

Thierry Lentz. Dans plusieurs pays, il occupe une place de premier plan dans l’Histoire et il est perçu de manière favorable. En Pologne, il est vu comme celui qui a recréé l’unité du pays. L’hymne national dit "Nous suivons les pas de Bonaparte" qui, par ailleurs, a eu pendant plusieurs années une maîtresse polonaise… même si son intention de recréer la "Grande Pologne" fut très tardive. Il est aussi très populaire auprès des Italiens qui tendent à le considérer comme l’un des précurseurs de l’unité du pays et sa "libéralisation", avec par exemple l’abolition du servage dans le royaume de Naples. Citons également la Croatie qui a fait partie des provinces illyriennes qui se sont modernisées sous influence tricolore. En Allemagne, Napoléon jouit également d’une bonne image. Si les Prussiens ne le portent pas dans leur cœur, ce n’est pas le cas de la Bavière, du Wurtemberg ou encore des provinces rhénanes telles que la Westphalie. Y a-t-il des pays dans lesquels il fait figure d’épouvantail ? Pas vraiment. Si l’Espagne a souffert de la période napoléonienne, elle considère que les années 1808-1813 sont une guerre d’indépendance. Dans les pays défaits par Napoléon comme l’Autriche ou la Hongrie, on remarque plutôt une relative indifférence que de la haine. En dehors de l’UE, le Royaume-Uni et la Russie célèbrent la période à grand renfort d’expositions ou de reconstitutions.

En quoi a-t-il contribué à l’idée européenne ?

Le Code civil et la philosophie des Lumières ont été exportés par les autorités françaises. Elles ont également soutenu plusieurs mouvements nationalistes. Bien des pays membres de l’UE doivent plus ou moins directement l’idée de leur indépendance à la Grande Armée et à l’administration française.

L’Union européenne ne semble pas très intéressée par la figure de Napoléon. Comment l’expliquer ?

L’UE ne cherche pas forcément à créer de l’unité autour de personnages historiques alors que Charlemagne, Napoléon ou la période romaine auraient pu être mis en avant. En examinant les billets d’euros, on constate d’ailleurs qu’il y a des portiques ou des ponts imaginaires, mais aucune figure historique. J’ai l’impression que l’UE construit son histoire en affirmant qu’elle est née grâce à des hommes pacifistes et généreux. Alors qu’en réalité elle est le fruit de milliers d’années d’histoire et de conflits.

Napoléon était-il un nationaliste français ou un précurseur de la construction européenne ?

C’était un authentique européen qui a souhaité unir les systèmes politiques du Vieux Continent en étroite collaboration avec des pays aujourd’hui membres de l’UE qui lui doivent beaucoup. Mais le projet napoléonien supposait tout de même une prépondérance française. La réticence de l’Union européenne à s’approprier l’Empereur peut donc tout à fait se comprendre.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

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