L’entreprise suédoise traîne le géant américain devant la direction de la concurrence de la Commission européenne pour abus de position dominante. Ou comment la toute première action portée à Bruxelles en matière de streaming musical poursuit la guerre que se livrent les deux leaders du secteur.

C’est une première pour le marché du streaming musical : le 13 mars dernier, Spotify, entreprise suédoise d’écoute de musique en ligne, portait plainte contre Apple devant la Commission européenne à la concurrence. La raison ? L’américain abuserait de sa position dominante sur le marché pour évincer ses concurrents.

Une action novatrice

Le crêpage de chignon entre Apple et Spotify ne date pas d’hier. Ce dernier passe aujourd’hui à l’action en dénonçant le fonctionnement de l’App Store : cette plateforme permettant le téléchargement d’applications, dont Apple est à la fois le propriétaire et l’exploitant, favoriserait la position dominante de la firme à la pomme sur ses concurrents dans le marché du streaming musical. Spotify a même créé un site internet (Time to Play Fair) dédié à ses griefs contre Apple et mis en ligne une vidéo animée pour expliquer les raisons de son action devant la Commission européenne. Cinq faits sont visés, le premier portant sur les 30 % qu’Apple prélève, via son système de paiement, sur le prix des abonnements de Spotify. Cette taxe jugée discriminatoire par Spotify fait d’ailleurs l’objet de sa plainte puisqu’elle l’obligerait « à augmenter artificiellement le prix de l’abonnement premium bien au-delà du prix de l’abonnement Apple Music », d’après Daniel Ek, PDG de l’entreprise suédoise, Apple Music étant le service de streaming musical d’Apple.

« L’action engagée par Spotify devant la Commission européenne marque sa résistance à se soumettre aux conditions de référencement d’Apple », explique Gérard Haas, un avocat spécialiste du droit de la propriété intellectuelle. Spotify est même allé jusqu’à se retirer de l’App Store il y a quelques mois. Inévitablement, Apple a alors limité son accès à la plateforme et bloqué ses opérations promotionnelles, intensifiant un peu plus l’amertume de Spotify. Si Netflix et Fortnite ont également pointé du doigt les pratiques d’Apple et se sont retirés du système de paiement de l’App Store, Spotify est le premier à engager une action de ce genre dans le domaine du streaming musical. « La distribution de contenus suppose un passage obligé par des plateformes leaders sur des marchés. Cette querelle entre Spotify et Apple s’apparente à celle qui existe entre SFR et Free dans le domaine de la téléphonie, illustre l’associé fondateur de Haas Avocats. Le marché du streaming musical occupe une place particulière dans le monde du divertissement numérique, c’est pourquoi la plainte de Spotify est importante. »

Le bon interlocuteur

Apple a déjà fait les frais de procédures antitrust. En 2012, eBizcuss, principal revendeur Apple indépendant en France et en Belgique, engageait une action contre la multinationale américaine devant le tribunal de commerce de Paris et l’Autorité de la concurrence pour abus de position dominante, abus de dépendance économique et concurrence déloyale en matière de vente physique en France. Après plusieurs renvois, la Cour de cassation a clôturé la question le 30 janvier dernier : en raison de la présence d’une clause attributive de compétence dans le contrat liant eBizcuss et Apple, le tribunal de commerce français est jugé incompétent pour arbitrer un litige en droit de la concurrence. La plainte de Spotify touchant ici à un autre domaine que les ventes physiques, celui du streaming en ligne, a sans doute davantage de chances d’aboutir à Bruxelles que devant les juridictions nationales. Pour Gérard Haas, « Spotify s’adresse au bon interlocuteur en engageant son action devant la Commission européenne ». Pour autant, cet abus dans les pratiques commerciales d’Apple ne sera pas évident à prouver. « Cette nouvelle bataille ressemble à celle qui a opposé Apple à Samsung dans un autre domaine, celui des brevets », poursuit l’avocat. Des problématiques juridiques sensibles dans la mesure où il s’agit de faire changer la politique commerciale d’un intermédiaire entre les distributeurs et les ­utilisateurs.

La loi du marché

Dans son réquisitoire, Spotify dénonce les pratiques commerciales d’Apple en matière de streaming musical mais ne prouve pas l’abus. « La position dominante d’une entreprise n’est pas une faute, c’est la loi du marché: le meilleur gagne. Ce qui est illégal, c’est l’abus de cette position », explique Gérard Haas. Si la Commission constate un tel comportement de la part d’Apple, elle sera alors en mesure de prononcer une amende proportionnelle à la durée et à la gravité de l’abus, et pouvant représenter jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise, soit 26,6 Md€. Bruxelles vérifiera dans un premier temps si la firme californienne est en position dominante avant de déterminer dans un deuxième temps s’il y a abus ou non de cette position. Pour ce faire, la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, étudiera la facilité ou la difficulté des entreprises concurrentes d’Apple à entrer sur le marché de l’écoute en ligne. Une méthode qu’elle a appliquée dans le domaine de la messagerie il y a quelques mois à peine, en novembre 2018, et sur la base de laquelle elle a considéré qu’Apple n’était pas « suffisamment dominant sur ces marchés » pour qu’il y ait abus de position dominante physique.

Cette querelle entre Spotify et Apple s’apparente à celle qui existe entre SFR
et Free dans le domaine de la téléphonie

Pour l’heure, Apple se défend en expliquant que dans la mesure où il est « l’intermédiaire entre les développeurs d’applications et les utilisateurs de l’App Store », il est légitime qu’il touche une commission de 30 % sur les abonnements souscrits chez ses concurrents. Le géant américain reproche par là même à Spotify de vouloir bénéficier de tous les avantages d’une application payante sans payer. « Apple n’est pas un espace public: pour entrer sur l’App Store, il faut payer et accepter ses règles de référencement », confirme Gérard Haas. Si la concurrence est historiquement rude entre les deux leaders de l’écoute musicale en ligne, deux tendances se dessinent : les utilisateurs basés en Europe préféreraient utiliser Spotify alors que les Américains privilégieraient Apple. Attention tout de même, cette affaire risque d’avoir des répercussions sur l’image de l’entreprise cofondée par Steve Jobs, les utilisateurs prenant en compte ce paramètre. Car c’est aussi cela le cœur de la querelle entre Spotify et Apple : une bataille ­médiatique.

Le droit comme arme stratégique

À peine engagée, l’action lancée par Spotify fait déjà beaucoup de bruit. Pour Gérard Haas, cette plainte peut s’interpréter de deux façons différentes : soit Spotify cherche à ancrer encore plus son positionnement sur le marché du streaming musical en devenant l’acteur principal, soit l’entreprise suédoise est à bout de souffle, ne peut plus avancer face aux conditions de référencement d’Apple, et s’en remet à la Commission européenne. Quoi qu’il en soit, les deux meilleurs ennemis semblent bien décidés à camper sur leurs positions respectives. Et l’avocat de rajouter : « Le droit est à la fois une arme stratégique dans la vie de l’entreprise et une arme de dissuasion massive. » Le risque de cette « bataille de sumos », serait que le médiatique l’emporte sur la problématique juridique, c’est-à-dire que le débat judiciaire soit instrumentalisé pour faire parler de Spotify et d’Apple. « Dans tous les cas, les sanctions sont toujours négatives pour une entreprise et peuvent en entraîner d’autres », rappelle Gérard Haas. Reste maintenant à savoir si la décision de la Commission européenne tranchera en faveur d’Apple ou de Spotify.

Marine Calvo

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