À l’heure où les États du monde entier annoncent des objectifs de neutralité carbone, tous les secteurs des économies sont concernés, y compris la défense. Exposé à des risques de dépendance, ou à un approvisionnement parfois menacé, le ministère des Armées a récemment publié sa "Stratégie énergétique de défense". Analyse.

La défense représente 0,3 % de la consommation en énergie de la France et une facture de 840 millions d’euros par an. Consciente de cette consommation importante, Florence Parly, la ministre des Armées, a présenté la nouvelle stratégie énergétique de défense du ministère, le 25 septembre 2020. Son objectif ? Faire de la transition énergétique un atout opérationnel. L’État-major des armées, le secrétariat général des armées, la direction générale de l’armement, ainsi que la direction générale des relations internationales et de la stratégie ont travaillé à l’élaboration de cette stratégie énergétique. Cette dernière s’articule autour de la devise suivante : "Consommer sûr, consommer mieux, consommer moins". Qui dit nouvelle stratégie, dit changements internes. L’État-major des armées a donc créé une nouvelle division en charge de la gestion de l’"énergie opérationnelle" et le Service des essences des armées (SEA) change de visage pour devenir le Service de l’énergie opérationnelle (SEO). Métamorphose complète ou changements mineurs ?

Consommer sûr, moins et mieux

La dépendance de l’appareil militaire aux carburants fossiles, transitant par des points de passages obligés, soumis à certaines menaces comme la piraterie ou le terrorisme, impose une adaptation du dispositif militaire. Cette obédience pétrolière est exacerbée par la "politique du carburant unique" qui ambitionne de faire d’un seul et même produit pétrolier, un carburant universel, capable de propulser aussi bien un camion qu’un avion-cargo. La cyber sécurité n’a également jamais été aussi fondamentale pour l’armée. De fait, l’optimisation de la consommation d’énergie et la mise en place de stratégie bas carbone sont autant d’initiatives nécessitant un recours massif au numérique. S’il permet d’accélérer significativement l’implémentation de ce genre de processus, il expose les données et les chaînes logistiques à des cyberattaques potentielles.

"En 2019, ce sont 835 000 mètres cubes de produits pétroliers qui ont été consommés, pour un coût financier de 667 millions d’euros"

Le ministère des Armées doit également faire face à une "consommation énergétique des systèmes […] en progression constante", comme mentionné dans le document. En 2019, ce sont 835 000 mètres cubes de produits pétroliers qui ont été consommés, pour un coût financier de 667 millions d’euros. Après décomposition, il apparaît que 73 % de ce carburant sont engloutis par les véhicules aériens, terrestres et navals lors de leurs déplacements en opération, et 27 % de l’énergie est dirigée vers les infrastructures. Pour la réduire, ou au moins la maîtriser, la mesure systématique des consommations énergétiques par usage est cruciale. De plus, les formations militaires incluront dorénavant le concept de "sobriété énergétique", afin de développer des programmes de formation "en cohérence avec les impératifs opérationnels". La prise en compte de l’empreinte carbone du numérique, et plus spécifiquement du stockage de données par l’intermédiaire des data centers devrait participer à faire émerger une consommation énergétique consciente et raisonnée.

S’il faut consommer moins, alors il faut consommer mieux. Comment faire concrètement ? En ayant "recours […] aux nouvelles technologies de l’énergie et aux carburants de rupture". Les biocarburants sont perçus par le secteur de la défense comme une option viable de décarbonisation à moyen terme. En parallèle, le recours à l’hybridation des motorisations pourrait permettre à l’armée de terre d’atteindre les objectifs énergétiques. Concernant le secteur naval, "l’optimisation énergétique à bord sera privilégiée. Pour le stationnement, l’autoconsommation sera recherchée".

Agir, coopérer et s’organiser

Les contraintes induites par la transition énergétique, comme l’électrification des transports ou le déploiement d’énergies renouvelables, obligent les États à sécuriser les chaînes d’approvisionnement de certains matériaux clés, nécessaires à la fabrication de batteries, de panneaux solaires, et d’autres équipements. La coopération avec les partenaires européens de l’Hexagone apparaît alors indispensable aux yeux de l’armée française. Pour chapeauter le tout, le ministère souhaite mettre en place une "gouvernance robuste et spécifique", à même d’assurer la mise en œuvre d’une "politique énergétique globale". Toutefois, le communiqué précise que son périmètre de responsabilité ne sera pas affecté. Autre exemple concret, le ministère des Armées projette de réserver près de 2 000 hectares de terrains militaires pour l’installation de panneaux solaires et de centrales photovoltaïques, dans le cadre du plan "Place au soleil".

"Une réduction de 20 % du carburant sur un navire de plus de 3 000 tonnes semble possible grâce à la maîtrise du bilan énergétique"

Par ailleurs, des projets à hydrogène sont déjà dans les tuyaux. Ainsi, la Direction générale de l’armement et l’Agence de l’innovation de défense a lancé trois projets impliquant l’utilisation de piles à combustibles hydrogène pour le système Félin (fantassin à équipements et liaisons intégrés) et pour un mini drone. L’organisation sera, selon le document, essentielle pour forger une efficacité énergétique à même de réduire de manière significative la consommation du matériel militaire. Ainsi, l’usage du gaz naturel liquéfié comme carburant pour les bâtiments de guerre a été écarté, pour cause de garanties insuffisantes en matière de sécurité d’approvisionnement. "Une réduction de 20 % du carburant sur un navire de plus de 3 000 tonnes semble possible grâce à la maîtrise du bilan énergétique, l’amélioration de l’architecture des réseaux électriques, la variété des ressources d’énergie (stockage et récupération) et des systèmes d’énergie évolutifs", selon l’Association nationale des croix de guerre et de la valeur militaire. À l’évidence, les armées ne changeront pas du jour au lendemain la structure de leur consommation d’énergie, ayant besoin de s’appuyer sur des sources fiables et disponibles. Cependant, les investissements dans des systèmes à hydrogène ou des centrales solaires laissent présager une prise de position plus radicale pour le futur.

Par Thomas Gutperle

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