Les articles L. 1241-1 et L. 1241-2 du code du travail tels qu’interprétés par la jurisprudence la plus récente obligent les employeurs à démontrer que toutes les mesures utiles à la prévention des risques psychosociaux ont été prises par eux pour protéger la santé et la sécurité de leurs salariés.

Par Stéphane Lataste, associé fondateur, et Charlotte Bossuet, avocat. Cabinet Chatain & Associés

En 2012, la France présentait l’un des niveaux de stress au travail les plus élevés dans l’Union européenne1. Absentéisme, démotivation, turn-over… la souffrance au travail lui coûterait 3 % à 4 % de son PIB, ce qui en fait, outre une question de santé publique, un enjeu économique majeur pour les entreprises.

Pourtant, seuls 16 % des patrons de TPE et 14 % de PME se disent préoccupés par les questions de santé et de sécurité2. Cela est d’autant plus problématique que la responsabilité de l’employeur est systématiquement engagée toutes les fois qu’il ne démontre pas avoir pris les mesures appropriées à la prévention des risques psychosociaux (RPS).

L’obligation de prendre les mesures utiles à la prévention des RPS

L’obligation de l’employeur de veiller à la sécurité et à la protection de la santé de ses salariés est une obligation légale résultant des articles
L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Depuis les arrêts « amiante » du 28 février 20023 et « Snecma » du 5 mars 20084, cette obligation de sécurité était considérée « de résultat » : l’existence d’une atteinte physique ou psychique en lien avec le travail du salarié suffisait à démontrer que les mesures de prévention n’avaient pas été prises et la
responsabilité de l’employeur était, de ce fait, engagée.

L’employeur pouvait donc avoir le sentiment que, quoi qu’il fasse, il serait responsable en cas de réalisation du risque.

Or, la jurisprudence a évolué et l’« obligation de sécurité de résultat » a pris un nouveau sens.

Ainsi, dans un arrêt « Air France » du 25 novembre 20155, un personnel navigant, victime d’un syndrome de stress post-traumatique consécutif aux attentats du 11 septembre 2001, reprochait à son ancien employeur de ne pas avoir pris les mesures nécessaires à la protection de sa santé psychologique.

La cour d’appel ayant constaté que l’employeur avait « pris en compte les événements violents auxquels le salarié avait été exposé » en faisant « accueillir celui-ci, comme tout l’équipage, par l’ensemble du personnel médical mobilisé pour assurer une présence jour et nuit et orienter éventuellement les intéressés vers des consultations psychiatriques », la Cour de cassation a considéré qu’elle avait pu en déduire « l’absence de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat » et qu’elle avait, de ce fait, légalement justifié sa décision.

Le « résultat » attendu n’est donc plus l’inexistence d’une atteinte psychique ou physique mais l’accomplissement des mesures destinées à la prévenir.

Plus récemment encore, la Cour de cassation a renoncé à qualifier de « résultat » l’obligation de sécurité et de protection de la santé de l’employeur tout en jugeant que la cour d’appel devait s’assurer que toutes les mesures de prévention imposées par la loi avaient été prises6.

A contrario donc, pour être exonéré de sa responsabilité, l’employeur pourra démontrer qu’il a accompli toutes les diligences prévues aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

En pratique, il ne suffit cependant pas pour l’employeur de se montrer vigilant et attentif : dans l’espèce précitée, le fait d’avoir modifié le règlement intérieur pour y insérer une procédure d’alerte en matière de harcèlement moral et organisé une enquête interne sur la réalité des faits et une réunion de médiation avec le médecin du travail, le DRH et trois membres du CHSCT… n’étaient pas suffisants !

Les tribunaux se réservent donc le pouvoir d’apprécier l’efficacité des mesures prises, quitte à s’immiscer dans le pouvoir de direction de l’employeur tout en lui imposant de développer une réelle compétence en matière de santé et de sécurité au travail, qui suppose en matière de prévention des RPS, de connaître les facteurs de risques et de disposer des outils propres à les évaluer.

Recommandations en matière de prévention des RPS

1° Identifier les RPS et en tenir en compte dans le document unique d’évaluation des risques (DUER)

Des conditions de travail et des styles de management inappropriés peuvent engager la responsabilité de l’employeur. La Cour de cassation juge qu’au-delà des agissements répréhensibles mais isolés d’un être pervers, « peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique7 ».

La notion même de « risques psychosociaux » oblige donc l’employeur à repenser l’organisation et les méthodes de travail au sein de son entreprise. Son attention doit, en particulier, porter sur les facteurs de risques identifiés par l’INRS8 tels que :

- l’intensité de travail, les horaires imprévisibles, l’existence d’objectifs irréalistes, les exigences excessives de polyvalence…

- le manque d’autonomie du salarié ;

- la dégradation des rapports sociaux ;

- l’insécurité : la peur de perdre son emploi ou son niveau de salaire, le changement non maîtrisé des conditions de travail,
les restructurations…

2° Disposer d’outils adaptés pour évaluer utilement les risques

Les rapports des médecins ou des psychologues du travail, des cabinets d’audit spécialisés, de même que l’envoi de questionnaires spécifiques aux salariés, la constitution d’un « guichet des réclamations » ou d’une cellule de veille constituent autant d’outils d’aide à la rédaction du DUER.

3° Élaborer un plan de prévention des RPS

Une fois le diagnostic préalable effectué, l’employeur doit élaborer un plan de prévention.

Ce plan peut contenir :

- des actions de sensibilisation et de formation des managers à la souffrance au travail sous toutes ses formes, aux facteurs de risques et aux outils de prévention ;

- des actions de protection collective concernant la réorganisation du travail, la redéfinition des responsabilités de chacun, l’amélioration de la communication sur la stratégie de l’entreprise, la facilitation des échanges entre les collaborateurs… ;

- des actions de prévention individuelle destinées à la prise en charge des salariés en souffrance (dispositifs d’alerte, d’accompagnement, etc.).

La coopération des institutions représentatives du personnel

La prévention des RPS suppose un travail d’équipe avec les délégués du personnel, les syndicats, le CHSCT et les services de santé au travail. Là, comme ailleurs, le dialogue social est indispensable.

Si elle ne l’exonère en rien de sa responsabilité, cette coopération des IRP assure une meilleure efficacité des actions prévues et démontre la sincérité de sa démarche.

 

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