Avocat pénaliste, cofondateur du cabinet Margulis Associés et membre du collectif "Pour une nouvelle défense fiscale et pénale", Sorin Margulis est convaincu que le temps peut être l’allié des justiciables dans les procédures de droit pénal fiscal. Explications à la lumière d’une affaire jugée quelques années plus tôt, le dossier HSBC Private Bank Genève de 2008.

Décideurs. Quelle affaire marquante pourrait illustrer l’effet positif du temps dans une stratégie de défense pénale en droit pénal fiscal ?

Sorin Margulis. Il y a environ cinq ans, j’assistais avec mon confrère Éric Planchat spécialisé en contentieux fiscal de la SCP Nataf & Planchat à un colloque sur le droit pénal fiscal et les stratégies de défense. Le dossier HSBC Private Bank Genève de 2008, impliquant un employé de cette banque, nommé Hervé Falciani, y était notamment évoqué. Cet ingénieur de profession, se disant lanceur d’alerte, avait récolté des informations relatives à des comptes de clients de la banque en Suisse, soit près de 130 000 comptes, lesquels appartenaient à des évadés fiscaux présumés, lorsqu’il travaillait au sein de la filiale suisse de la banque HSBC. Des redressements fiscaux et des poursuites pénales du chef de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale pour une grande partie de ceux dont les noms figuraient sur ce document dit "liste Falciani" ont ainsi été engagés. Plusieurs clients poursuivis nous avaient sollicités.


Quelles interrogations relatives à la stratégie de défense des avocats du dossier étaient soulevées par les juges lors de ce colloque ?

Un magistrat dirigeant le Parquet national financier et une présidente de chambre correctionnelle spécialisée, aujourd’hui devenue juge d’instruction au pôle financier du tribunal judiciaire de Paris, sont revenus sur la qualité du travail des magistrats du pôle dans l’affaire et ont confirmé la légitimité du but poursuivi. La présidente de chambre correctionnelle a cependant fait part de son étonnement quant à la stratégie entreprise par certains avocats de la défense : comment pouvaient-ils continuer à déposer, devant sa juridiction, des conclusions de nullité, d’irrecevabilité ou encore des Questions Prioritaires de Constitutionnalité tout en sachant que la régularité procédurale des poursuites ne faisait selon elle aucun doute ? Et comment pouvaient-ils plaider des relaxes alors que les prévenus, dont les noms figurent sur la liste Falciani, possédaient tous à l’évidence un compte non déclaré en Suisse et que ceux n’ayant pas régularisé leur situation étaient évidemment coupables et qu’ils seraient nécessairement condamnés ? La salle, composée de la quasi-totalité des juges d’instruction et des procureurs du pôle financier du tribunal de Paris partageaient cette vision. J’ai pour ma part osé émettre quelques critiques que mes confrères, également membres du collectif Pour une nouvelle défense fiscale et pénale, partageaient.

Quelles critiques avez-vous émises et pourquoi ?

Selon moi, le temps est l’allié de l’avocat dans son travail de défense, puisqu’il permet de préserver les droits de ses clients poursuivis pour fraude ou blanchiment de fraude fiscale. De nombreuses juridictions sont saisies et de nouvelles décisions favorables peuvent intervenir. C’est pour cette raison que j’ai réfuté les arguments invoqués par les juges sur l’inutilité de ces moyens d’action des avocats de la défense. J’ai notamment continué, ainsi que mes confrères, à appliquer ce type de stratégie, pourtant critiquée par les juges, dans plusieurs dossiers. Ces dernières années, plusieurs décisions rendues nous ont confortés dans notre façon d’appréhender ce type de litige.

Quelle était la particularité de cette affaire Falciani ?

Dans ce dossier, les prévenus faisaient à la fois l’objet d’une poursuite pénale et d’une poursuite fiscale. Le 24 juin 2016 sont intervenues deux décisions QPC à ce sujet. Si la possibilité d’une poursuite pénale en complément d’un redressement fiscal était validée par le Conseil constitutionnel, le considérant n°13 de ces décisions l’excluait lorsque le contribuable avait été déchargé de l’impôt pour un motif de fond par une décision définitive juridictionnelle définitive. Cette décision avait donc pour conséquence de permettre de solliciter le sursis à statuer auprès de la juridiction correctionnelle saisie d’une poursuite pénale du chef de fraude fiscale lorsqu’il était établi que le juge administratif était saisi d’une contestation du redressement fiscal pour des motifs sérieux, afin d’éviter des contrariétés de décisions. Jusqu’alors, les juridictions correctionnelles refusaient systématiquement d’ordonner un sursis à statuer dans de telles circonstances estimant que les poursuites pénales et fiscales suivaient deux voies parallèles qui n’avaient pas à se rejoindre. Le 19 mars 2018, la Cour d’appel de Caen, appliquant cette décision du Conseil constitutionnel, a ainsi ouvert la voie, dans un dossier sans rapport avec la liste HSBC : sur réquisitions du Parquet général, les juges ont sursis à statuer en attente de la décision de la justice administrative sur le bien-fondé du redressement que contestait le prévenu.

Quel a été l’impact de cette jurisprudence ?

Cette possibilité d’obtenir le sursis à statuer représente une avancée considérable dans le sens où plusieurs juridictions administratives ont été saisies de recours sur des redressements en relation avec la liste HSBC, dans lesquels la question de la licéité de la transmission par la justice à l’administration fiscale des informations contenues dans cette liste a été posée. En effet, cette transmission était fondée sur les articles L.101 et L.82 C du livre des procédures fiscales (LPF). Ces articles, tels que rédigés en 2009, ne permettaient au parquet de transmettre que des informations issues d’une instruction correctionnelle ou criminelle ou d’une procédure civile ou commerciale. Les informations transmises à l’administration fiscale par le procureur de la République de Nice ne provenaient aucunement de l’une ou l’autre des procédures visées restrictivement à ces articles. Elles provenaient d’une enquête dite préliminaire. Or, le Conseil d’État avait considéré que l’enquête préliminaire qui se déroulait sous l’autorité d’un membre du ministère public ne pouvait pas être considérée comme une instance devant un tribunal dès lors que le procureur de la République ne pouvait pas être qualifié de tribunal.  Au regard de ces décisions récemment intervenues, les personnes visées sur la liste Falciani qui demandent actuellement à la juridiction administrative de les dégrever des redressements dont ils font l’objet en s’appuyant sur une transmission irrégulière au regard des dispositions de l’art L.101 du LPF ont donc de sérieuses chances d’obtenir gain de cause, et partant de ne plus pouvoir être poursuivies pénalement en application des considérants 13 et 21 des décisions QPC de juin 2016.

En quoi le temps a-t-il été l’allié des justiciables dans cette affaire ?

Au jeu de poker, quand on réfléchit, on a coutume de dire "Le temps et tous mes droits". Des décisions intervenues de 2015 à 2020 ont pu permettre de venir en aide aux clients dont le nom figurait sur la liste Falciani. Pour n’en citer que quelques-unes, la décision rendue pour un de nos clients par le tribunal administratif de Paris le 23 novembre 2016 confirmée par la cour administrative d’appel de Paris montre qu’il était urgent d’attendre, car la justice administrative reconnaissait enfin l’incapacité de l’administration fiscale à démontrer que les comptes bancaires qu’elle attribue aux personnes dont les noms figurent sur la liste Falciani ont été utilisés, ce qui est selon moi capital sur le plan pénal au regard de la notion de blanchiment. Puis les arrêts rendus le 11 septembre 2019 par la chambre criminelle de la Cour de cassation définissaient le blanchiment non plus comme une infraction continue et quasi imprescriptible, mais comme se réalisant en trait de temps par un ou plusieurs actes précis qu’il convenait de caractériser au-delà des éléments constitutifs du délit primaire. À défaut, le principe ne bis in idem s’appliquait.

Depuis ces arrêts, la justice considère que si la présence du nom d’une personne sur la liste Falciani peut éventuellement caractériser sa détention d’un compte non déclaré en Suisse et justifier une condamnation pour fraude fiscale, elle ne peut cependant permettre une condamnation pour blanchiment de fraude fiscale sans preuve de mouvements entrants ou sortants sur ce compte.

Pour un de nos clients poursuivis en janvier 2019 devant le tribunal correctionnel de Paris du chef de ces délits, en déposant une QPC sur l’article 1741 du Code général des impôts sur la fraude fiscale qu’une autre juridiction avait déjà transmise à la Cour de cassation, et en demandant un sursis à statuer en attente de la réponse de la Cour de cassation, nous obtenions un report de l’audience en fin septembre 2019. Ces arrêts du 11 septembre 2019 intervenaient quelques jours avant la nouvelle audience, et nous permettaient d’obtenir pour la première fois, et sur réquisitions en ce sens du parquet national ­financier, une décision de relaxe du chef de blanchiment de fraude fiscale pour un client poursuivi en raison de la présence de son nom sur la liste Falciani. Preuve irréfutable que le temps a permis d’améliorer substantiellement la situation de nos clients et qu’il est nécessaire de se battre pour obtenir les plus larges délais afin d’assurer une meilleure ­défense dans cette matière.

Propos reccueillis par Marine Calvo

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