Ancienne avocate au barreau de Paris et spécialiste du règlement des litiges pour les entreprises, Sophie Henry est déléguée générale du CMAP depuis 2013. Elle revient sur l’essor des modes alternatifs de résolution des conflits ainsi que sur les formations proposées par le centre.

Décideurs. Les entreprises ont de plus en plus recours aux modes alternatifs de résolution des conflits. Comment l’expliquez-vous ?

Sophie Henry. La première raison est liée à un environnement législatif très favorable à la médiation en France. Les multiples contraintes économiques entraînent également les entreprises vers la voie d’une solution négociée. Celles qui ont testé ce mode alternatif de résolution des conflits ont apprécié son efficacité et l’ont intégré dans leur stratégie. Les entreprises sont toujours prises par le temps et l’urgence, et doivent trouver des solutions rapidement, à des coûts raisonnables. Dans chacun de leurs secteurs d’activité, elles travaillent avec des partenaires commerciaux avec lesquels elles entretiennent des relations régulières. Il est donc préférable de régler le litige dans de bonnes conditions lorsque les parties savent qu’elles seront amenées à collaborer à nouveau ensemble. 

Il est néanmoins indispensable de veiller à ce que la médiation ne soit pas victime de son succès. Les pouvoirs publics encouragent la médiation, notamment avec le projet de programmation de la justice 2019-2022 qui prévoyait le recours obligatoire à ce processus pour les petits litiges de moins de 5 000 euros. Ce dernier a cependant été, à ce stade des discussions parlementaires, rejeté par le Sénat en première lecture. Par définition, la médiation est un processus volontaire. Si on la rend obligatoire, elle perd déjà l’un de ses atouts. Elle ne doit pas se substituer au juge qui doit pouvoir être saisi à n’importe quel moment de la procédure. Le recours à cette procédure doit être un acte volontaire qui entre dans la stratégie de l’entreprise.

« Il est essentiel d’adapter son litige à l’institution arbitrale saisie »

Que proposez-vous au Cmap pour renforcer la qualité des médiateurs ?

Il est impératif que les médiateurs soient bien formés aux techniques de la médiation pour que ce mode alternatif de résolution des conflits perdure. Nous proposons ainsi une formation à la médiation, axée principalement sur la mise en pratique, durant près de soixante heures.

Les personnes qui s’inscrivent à nos formations doivent justifier d’une expérience professionnelle de plus de dix ans. Les participants sont des avocats, des dirigeants d’entreprise, des directeurs juridiques, des experts techniques ou encore des consultants. Ils ont déjà prouvé leur capacité à manager et souhaitent se doter de nouvelles compétences. La partie théorique est assez rapide afin de privilégier la pratique au travers de jeux de rôle notamment. En sortant de cette formation, ils ont acquis les techniques et les outils nécessaires. Ils doivent ensuite s’entraîner avant de passer la certification Cmap, en partenariat avec l’ESCP, qui fait partie des grandes écoles de commerce et dont la qualité de l’enseignement est reconnue par les entreprises. Le pourcentage de réussite est d’environ 50 %. Il est donc essentiel de bien s’exercer avant de se présenter à l’examen.

Vous sollicite-t-on davantage pour des formations spécifiques ?

Les formations au Cmap sont connues et reconnues. Face à l’évolution de la demande des entreprises, nous avons développé d’une part des ateliers sur mesure et d’autre part des formations spécialisées. En particulier, nous avons récemment créé une formation à la médiation pour les litiges en droit du travail, dédiée aux responsables des ressources humaines, à des consultants et à des avocats spécialisés en droit social. En 2019, nous renforcerons notre offre en ouvrant un nouvel institut de formation spécialement dédié à tous les types de modes alternatifs de règlement des différends (Mard).

« Le Cmap est là pour revaloriser le contact humain »

Le coût de l’arbitrage est souvent vu comme un frein. Qu’en pensez-vous ?

Il est fondamental pour une entreprise d’être extrêmement vigilante à la rédaction de la clause d’arbitrage. Cette clause figure à la fin des contrats et les signataires, concentrés sur les prix et les conditions d’exécution de l’accord, ne prennent pas toujours le temps de l’analyser. Or, il faut choisir l’institution d’arbitrage en fonction de la typologie et l’enjeu du litige, sans quoi le coût et l’encadrement de la procédure pourront s’avérer disproportionnés et inadaptés. Ainsi, une TPE doit réfléchir à l’opportunité d’une clause d’arbitrage en particulier à l’occasion de litiges à faible enjeu. En effet, le coût de l’arbitrage pourrait se révéler, à terme, aussi important voire plus important que l’enjeu du litige lui-même. La TPE pourra refuser la clause d’arbitrage ou prévoir à tout le moins une phase préalable de médiation. Une PME ou une ETI qui souhaite insérer une clause d’arbitrage pour un litige national ou international doit préalablement consulter les barèmes d’arbitrage de l’institution qu’elle envisage de saisir. Même une grande entreprise du CAC 40 qui insère régulièrement des clauses d’arbitrage dans tous ses contrats, est attentive aujourd’hui à leur rédaction. Elle prévoit désormais très souvent une étape préalable de règlement amiable avec la médiation et peut choisir des institutions de médiation et d’arbitrage différentes selon la nature des enjeux.

 

Quel avis portez-vous sur le développement des plateformes d’arbitrage en ligne ?

Au moment de leur lancement, les sites d’arbitrage en ligne étaient perçus comme une révolution de la pratique de l’arbitrage. Ils ont alors investi beaucoup d’argent pour développer les algorithmes nécessaires et pour communiquer sur leur technologie. Aujourd’hui, on remarque cependant que les parties ne sont pas encore prêtes à y avoir recours. Il y a certes un intérêt à digitaliser certaines étapes de l’arbitrage ou de la médiation, mais l’intérêt des Mard est de rétablir la communication et de favoriser un temps d’écoute entre les parties. La justice n’a plus le temps ni les moyens de le faire, elle se déshumanise, et l’utilisation d’algorithmes risque d’y contribuer plus encore.

Le Cmap a pour mission de revaloriser le contact humain dans le cadre des procédures qu’il propose. Pour un arbitrage, le ou les arbitres vont prendre le temps de recevoir les parties lors de la rédaction de l’acte de mission et vont définir avec elles le calendrier et l’organisation de la procédure. De son côté, le médiateur va se mettre à l’écoute des parties en les recevant ensemble ou séparément selon leurs besoins et va s’assurer de renouer le contact entre elles, en facilitant, par sa présence, les conditions d’un dialogue constructif.

La digitalisation constitue néanmoins une aide précieuse. Il existe de nombreux outils informatiques dont nous aurions tort de nous priver et nous gagnerons en efficacité en les proposant aux entreprises. À cet effet, nous avons créé une plafeforme dédiée aux litiges de la consommation pour lesquels il est possible de nous saisir sur le site, de même que pour les procédures de médiation par courriel.

Dans le cadre des procédures d’arbitrage, certains actes de mission prévoient que les échanges entre les parties et avec le tribunal arbitral ainsi que la communication des pièces pourront se faire par voie électronique. C’est dans cette voie, destinée à faciliter le déroulement des procédures, que la digitalisation a toute sa place. Mais, à notre sens, cela ne remplacera pas le travail de l’arbitre ou du médiateur.

Margaux Savarit-Cornali

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