Ce nouveau rapprochement entre deux acteurs européens d’envergure confirme une cruelle réalité : nos champions nationaux ne sont plus de taille à lutter sur la scène internationale. La nouvelle entité espère devenir l’Airbus du ferroviaire.

Trois ans après les premières rumeurs d’un rapprochement entre Alstom et Siemens, l’opération donnant naissance à un géant européen au chiffre d’affaires de 15,3 milliards d’euros pour un résultat d’exploitation de 1,3 milliard est bouclée. En 2014, c’est Patrick Kron, alors président du groupe industriel français, qui avait fait échouer la fusion. Au grand désespoir d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, qui avait grandement œuvré pour sa réalisation. Le groupe canadien Bombardier avait profité de ce rendez-vous manqué pour se placer aux avant-postes des discussions avec l’industriel allemand. Les suppressions d’emplois potentielles – le groupe canadien dispose lui aussi d’usines en Allemagne – ont fait durer les négociations entre les deux parties.

Express

Emmanuel Macron à l’Élysée, Alstom est relancé. « Il a personnellement œuvré pour accélérer le dossier », confie un acteur du rapprochement. Une intervention d’autant mieux accueillie que du côté de la direction d’Alstom aussi les lignes ont bougé : l’actuel P-DG Henri Poupart-Lafarge est séduit à l’idée de bâtir un « Airbus du ferroviaire ». Reste à accélérer le mouvement, car Bombardier semble prêt à faire les concessions demandées par Siemens.

Baptisée « Express » outre-Rhin, l’opération secrète de fusion entre Alstom et les activités ferroviaires du conglomérat allemand Siemens est mise en route en juin. Elle ne sera rendue publique que le 26 septembre. « Le deal s’est effectué en un temps record, témoigne Patrick Laporte, associé chez Latham & Watkins et conseil de Siemens. Il faut compter entre six et neuf mois pour une opération de cette taille-là. Ici, il nous en a fallu moins de trois. »

Une parité de façade

Au terme de l’opération, la nouvelle entité baptisée Siemens-Alstom sera détenue à parts égales entre la France et l’Allemagne. Une parité de façade puisque d’un côté Siemens détiendra l’intégralité du capital allemand tandis que, du côté français, l’actionnariat sera éclaté. L’État français n’a en effet pas souhaité exercer son option d’achat sur les titres détenus par Bouygues : Siemens n’en voulait pas. « L'opération n'aurait pas eu lieu si l'État avait exercé ses options d'achat. Il se serait tourné vers l’offre de Bombardier », concède froidement Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie. Résultat, le conseil d’administration de onze membres sera dominé par Siemens, qui en désignera six, dont le président. Ce n’est pas une fusion classique, insiste Patrick Laporte. Il y avait de vrais enjeux de gouvernance. » En contrepartie, le gouvernement a obtenu le maintien du siège social et des emplois en France, et la nomination d’Henri Poupart-Lafarge en tant que P-DG de l’ensemble.

Après STX, Thomson, Alcatel et Nexans, la France voit donc un autre grand fleuron industriel passer sous bannière étrangère. Mais « pour lutter contre la concurrence mondiale, créer un champion européen était une nécessité », estime Patrick Laporte. Et pour cause, le géant chinois CRRC, lui-même issu de la fusion de China CNR et CSR Corp en 2014, réalise un chiffre d’affaires de près de trente milliards de dollars, soit le double de Siemens-Alstom. Grâce aux synergies annoncées – 470 millions d’euros par an –, la nouvelle entité se donne les moyens de résister à la stratégie agressive des prix chinois sur les marchés étrangers.

Pour faire jeu égal, Siemens-Alstom devra encore grandir. Le groupe réfléchirait déjà à une nouvelle fusion. Deux noms sont pour le moment évoqués : Bombardier et le constructeur espagnol CAF. La dernière option semble la plus probable… et permettrait de faire émerger un vrai groupe européen.

Vincent Paes

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