À la tête de Système U ̶ l’enseigne aux 1 600 magasins et 70 000 salariés depuis quatorze ans ̶ Serge Papin en est convaincu : le rôle d’un chef d’entreprise, loin de se limiter à la maximisation des profits, exige d’œuvrer à la « réconciliation » des différentes parties prenantes de manière à favoriser l’émergence d’un capitalisme du partage. Rencontre avec un leader visionnaire, engagé bien avant les autres dans la promotion d’un capitalisme durable.

Décideurs. Il y a quelques mois, vous lanciez le manifeste « Osons Demain ». Racontez-nous…

Serge Papin. Quelques semaines plus tôt, 1500 scientifiques avaient lancé un appel pour la préservation de l’environnement ; avec Éric de Carmel, directeur de Bayard Nature et Territoires, et François Lemarchand, président de Nature et Découvertes, nous avons voulu lui apporter un soutien et créer une dynamique en montrant que les entreprises aussi voulaient être parties prenantes de cet engagement en faveur d’un capitalisme moral et raisonné. Nous avons actionné nos réseaux et recueillis 400 signatures.

Cela implique d’accepter l’idée que le rôle de l’entreprise ne se limite plus à engranger les profits ?

Tout à fait, il existe un impératif moral de solidarité planétaire auquel les entreprises ne peuvent se soustraire. D’où la nécessité, pour elles, de ne plus se situer uniquement dans l’acte marchand mais de s’interroger sur la nature de leur activité et sur l’impact de celle-ci sur l’emploi, la santé, l’environnement, l’avenir… Penser leur action en termes d’intérêt général va bien au-delà de l’objectif classique de performance financière.

Concrètement, quelle forme pourrait prendre cette nouvelle approche du capitalisme ?

Je pense que nous devons aller vers un capitalisme plus partageur. Mon idée serait que les collaborateurs aient systématiquement accès à l’actionnariat et entrent au capital de leur entreprise. Imaginons que 15-20 % des titres appartiennent aux salariés. Cela emmènerait mécaniquement à un partage des résultats et permettrait de rééquilibrer les intérêts. Autre piste à explorer : éviter le siphonnage en cascade des résultats par les holdings, ce qui a pour effet d’empêcher les salariés des filiales d’en profiter et donc de leur adresser un signal extrêmement néfaste. Pour moi, la vraie maturité capitalistique passe par le partage.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que chercher à moraliser le capitalisme relève de l’utopie ?

Contrairement à André Comte-Sponville, je pense qu’il existe une morale dans le capitalisme et que celle-ci doit s’exprimer dans la responsabilité sociale des entreprises. N’oublions pas que certaines sont aujourd’hui aussi puissantes que des États. Cela leur donne des responsabilités sociétales. Surtout lorsque, comme cela a beaucoup été le cas ces dernières années, l’État s’est avéré défaillant. Exercer ces responsabilités n’est en rien incompatible avec leur quête de profits.

Quel serait le rôle du dirigeant dans cette évolution de la mission de son entreprise ?

Le dirigeant doit être un super médiateur. La prise de conscience est plus avancée chez lui que chez l’actionnaire qui demeure focalisé sur la maximisation de ses gains, ce qui entretient une révolte larvée chez une partie des salariés et fragilise le modèle. Encore une fois, assurer l’avenir implique de sortir du rapport de force. C’est pourquoi le dirigeant doit faire de son entreprise un espace de réconciliation des différentes parties prenantes. Ce que je me suis efforcé de faire lorsque, il y a dix ans, j’ai pris des engagements sur les produits U de manière à en faire des produits à la fois respectueux de l’environnement, bons pour le consommateur et profitables aux acteurs locaux… À l’époque, beaucoup ont vu dans cette démarche une contrainte inutile. Aujourd’hui, elle représente un élément clé de notre culture d’entreprise et tous nos concurrents font la même chose.

Quel doit être le rôle de l’État selon vous ?

L’État doit évidemment être incitateur de changement. Il existe encore une trop grande tolérance à l’égard de certaines pratiques. La loi Pacte telle qu’elle se dessine va dans le bon sens, elle donne une impulsion, mais cela reste insuffisant.

Propos recueillis par Caroline Castets

 

 

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