La tentative de rachat du réassureur par le groupe mutualiste débouche sur un affrontement entre deux PDG et une bataille judiciaire sur fond d’accusation d’abus de confiance. Une crise qui illustre les tensions du secteur de l’assurance, en pleine phase de consolidation.

En août 2018, le groupe Covéa (GMF, MAAF et MMA), leader de l’assurance habitation et automobile en France, déposait une offre d’acquisition sur le réassureur Scor. L’offre de 8 milliards d’euros – soit une prime de 21 % par rapport au dernier cours – a été fermement rejetée par le conseil d’administration du réassureur. Celui-ci a justifié son refus pour la volonté de préserver une indépendance stratégique.

Ce qui n’aurait pu être qu’une simple occasion manquée de rapprochement dans le domaine de l’assurance s’est transformé en une bataille pénale et médiatique avec pour principaux acteurs le PDG de Covéa, Thierry Derez, et celui de Scor, Denis Kessler. Le 29 janvier, Covéa renonçait à ses ambitions sur le réassureur. L’annonce, durant les heures de cotation, fait immédiatement plonger de 12 % le cours de son ex-cible. Dans la foulée, Scor annonce avoir porté plainte pénalement devant le tribunal correctionnel de Paris contre Thierry Derez, pour abus de confiance, et contre Covéa, pour recel d’abus de confiance. Entre les deux PDG, décrits comme amis par la presse, c’est désormais la guerre à couteaux tirés.

Difficile d’identifier les raisons d’un conflit qui a depuis longtemps dépassé les frontières d’une OPA, même ratée, qui se voulait amicale. L’offre de Covéa sur Scor est-elle trop basse ? C’est ce que suggère Joseph Oughourlian, un des actionnaires du réassureur et fondateur du fonds activiste Amber Capital : « Le prix à 43 euros me semble très bas. Il n’y a pas de prime au contrôle », déclare-t-il dans le Financial Times en septembre 2018. « La réaction de Denis et du conseil est la bonne. » Un avis qui n’est pas partagé par un autre actionnaire de Scor, le fonds activiste Ciam. Sa présidente Catherine Berjal dénonce la décision du réassureur, accusant son PDG de « protéger [son] mandat social, et [ses] intérêts personnels, au détriment des actionnaires ». Et demande des comptes sur les moyens qui seront mis en œuvre pour relancer le cours de Scor.

Conflit d’intérêts ?

Les liens étroits entre les deux groupes ont joué dans l’envenimement du dossier. Covéa est, avec 8,22 % du capital, le principal actionnaire de Scor. Plus encore, son patron Thierry Derez siège comme administrateur en son nom propre de Covéa depuis 2013 et administrateur non indépendant depuis 2016 – date à laquelle le groupe mutualiste est devenu le premier actionnaire du réassureur. Ce rôle est d’ailleurs au cœur des accusations portées par Scor. Le groupe avance que Thierry Derez a utilisé des informations recueillies grâce à son poste au conseil d’administration pour enrichir son dossier d’acquisition.

Pour démontrer le conflit d’intérêts, Scor obtient de Credit Suisse, banque conseil de Covéa au début de l’opération, des documents qui démontreraient une « violation grave des obligations légales et fiduciaires » de Thierry Derez en tant qu’administrateur. Celui-ci rejette immédiatement ces accusations, avec le soutien de son groupe, et annonce, début février 2019, préparer sa réponse judiciaire.

Contagion

Le conflit entre les deux groupes ne cesse de s’étendre, tranchant avec le silence feutré entourant généralement ces propositions de rachat. Outre Covéa et son PDG, Scor attaque, au civil cette fois, les banques Rothschild et Barclays qui ont, respectivement, conseillé et financé la proposition du groupe mutualiste. Le réassureur les poursuit « pour violation grave de la confidentialité et du secret des affaires ». Le fonds activiste, qui a pris parti pour Covéa, est lui aussi dans sa ligne de mire : début février, Scor lui demandait de préciser ses liens avec le groupe mutualiste et de cesser ses « diffamations ».

L’offre de Covéa sur Scor s’est faite dans un contexte de tension pour le secteur de l’assurance, en pleine consolidation. L’intérêt grandissant des fonds activistes pour ces groupes les poussent à adopter une stratégie plus agressive. C’est ainsi que le géant français de l’assurance Axa a annoncé en mars 2018 le rachat de l’américain XL Group pour 15,3 milliards de dollars ou encore qu’Apollo Global Management accroît en octobre 2018 sa participation dans le réassureur Catalina Holdings.

Dans ce contexte, quel avenir pour Covéa et Scor ? Ce dernier, pressé à la fois par Ciam et par les marchés boursiers de démontrer la validité de son business model et sa capacité à créer de la valeur, n’a plus le droit à l’erreur. Quant à Covéa, la rebuffade du réassureur voit s’éloigner, à court terme du moins, ses espoirs de se diversifier et d’affermir sa position de leader de l’assurance en France.

Cécile Chevré

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