À l’ère du numérique, l’écosystème de la santé se transforme pour permettre une meilleure fluidité dans les rapports entre la technologie, les patients et les professionnels de santé, tout en offrant un cadre juridique protecteur.

L’engouement pour la e-santé ne s’essouffle pas : le nombre moyen hebdomadaire de téléconsultations a atteint au plus fort de la crise sanitaire près d’un million de consultations à distance. Portée par la crise sanitaire, la transformation numérique de l’e-santé accélère. Les startups y participent pleinement avec leurs technologies de pointe : des logiciels de télémédecine se servant de l’IA à des objets connectés de plus en plus perfectionnés. Selon un récent recensement réalisé par la société de capital investissement Karista, la France est le pays d’Europe qui compte le plus de fonds investissement dans l’e-santé. Les étrangers sont également attirés par ce secteur, tel que HealthHero, une société britannique, qui a racheté la start up parisienne Qare, deuxième acteur français du secteur après Doctolib, en avril 2021. Côté industriels, le LEEM a publié un livre blanc en novembre 2020 qui présente la révolution numérique en cours par les entreprises du médicament. Enfin, les pouvoirs publics ne sont pas en reste, comme l’illustre la Commission européenne en publiant le 21 avril dernier une version révisée du plan coordonné sur l’IA et deux propositions de Règlement, ce qui fait de la santé un des secteurs privilégiés de l’application de l’IA.l 

La prise en charge du patient connecté en pleine mutation 

La télémédecine a été pensée pour permettre de lutter à la fois contre les déserts médicaux et les urgences sur-engorgées. En pratique, la télémédecine permet à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient ("télé-consultation"), de solliciter à distance l'avis d'un autre ("télé-expertise"), d'assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d'un acte ("télé-assistance") ou encore d'interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d'un patient et, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la prise en charge de ce patient ("télé-surveillance"). Le recours à la télémédecine est fortement encouragé par les pouvoirs publics : depuis 2018, les patients peuvent bénéficier d’actes de téléconsultation remboursables par l’Assurance Maladie à condition toutefois d’être déjà connus du médecin praticien, ce qui a d’ailleurs permis à des start-ups comme Doctolib et Qare de lancer avec succès des solutions de consultation médicale en ligne. De surcroît, depuis la loi de santé du 24 juillet 2019 qui consacre le télésoin, les pharmaciens et les auxiliaires médicaux peuvent réaliser des activités de soins à distance avec des patients. 

"Le cadre juridique de la santé numérique transforme le parcours de soin tout en préservant la qualité des soins et de celle de la relation avec le patient."

La télémédecine a prouvé son utilité dans le contexte de l’épidémie liée au Coronavirus et a été élargie. Pour faire face au contexte épidémique, l’accès à cette pratique a été facilité par des mesures dérogatoires : une personne infectée par le Covid-19 ou susceptible de l’être peut exceptionnellement s’adresser à un autre médecin que son médecin traitant pour une téléconsultation si celui-ci n’est pas disponible, la téléconsultation est possible par téléphone jusqu’au 1 juin 2021 pour les patients vivant dans une zone qui n’est pas desservie par un réseau internet, pour les patients ne disposant pas d’un terminant permettant la vidéotransmission ou pour certaines catégories de patients (patients présentant des symptômes de l’infection Covid-19, patients âgés de plus de 70 ans, patients atteints d’une affection de longue durée ou patientes enceintes). La prise en charge à 100% de ces actes de téléconsultation par l’Assurance maladie est assurée jusqu’au 31 décembre 2021. 

Lors de la crise sanitaire, la télésanté s’étend également à d’autres professionnels de santé tels que les sages-femmes, les orthophonistes, les ergothérapeutes, les psychomotriciens, les masseurs-kinésithérapeutes. Par ailleurs, les infirmiers sont autorisés à réaliser un suivi à distance (télé-surveillance). Contre quelques milliers par semaine avant les mesures de confinement début mars 2020, le nombre moyen hebdomadaire de téléconsultations a atteint au plus fort de la crise sanitaire près d’un million de consultation à distance. 

Nouvelles valorisations des technologies de santé

La création du système national des données de santé (SNDS) en 2016 permettant d’accéder aux données de l’activité des établissements et des prestations de santé, avait d’ores et déjà créé l’effervescence, eu égard aux opportunités de recherche corollaires. La France poursuit ce mouvement de valorisation de cet entrepôt de données unique au monde en déployant le "Health Data Hub", une plateforme de données de santé comprenant le SNDS et visant à faciliter l’accès et l’utilisation de ces données, notamment pour la recherche et les projets innovants utilisant des technologies d’IA. La qualité et la sécurité des données se trouvent au cœur de ce dispositif, dès lors que des référentiels spécifiques de sécurité seront applicables aux données issues du Health Data Hub, en plus des référentiels de sécurité et d’interopérabilité prévus par la loi, dont l’importance a été réaffirmée par la loi de santé de 2019. Plus récemment, la création en 2020 d’un "Lab e-santé", G-NIUS – guichet national de l’innovation et des usages en e-santé- , résultant de la feuille de route "Ma santé 2022", facilite l’orientation, l’information et la mise en relation de l’ensemble des acteurs de la santé numérique pour inciter l’innovation collective et valoriser les réussites.   

En France, une ordonnance du 12 mai 2021 créée un corpus de règles applicables aux services numériques en santé. Elle facilite l’octroi aux professionnels des secteurs sanitaire, social et médico-social des moyens d’identification électronique permettant l’utilisation des services numérique de santé. Elle comporte plusieurs règles destinées à sécuriser et simplifier l’identification électronique aux services numérique de santé. Un référentiel, qui doit être fixé par arrêté, précisera les garanties exigées selon la catégorie d’utilisation et le service concerné. 

Au niveau européen, l’Agence exécutive pour la santé et le numérique a débuté son activité le 1er avril 2021. Elle a pour principale mission de mettre en œuvre le programme de "L’UE pour la santé" (ou "EU4Health") qui s’étend sur la période de 2021-2027. Entré en vigueur le 26 mars 2021, ce programme vise à contribuer de manière significative à la relance post-Covid-19 et à soutenir des actions relatives à la transformation numérique des systèmes de santé. 

"Plus les risques sont importants plus les règles pour une utilisation de l'IA sur le marché sont contraignantes."

Par ailleurs, un tout premier cadre juridique sur l’IA en Europe se dessine depuis avril 2021. La Commission européenne a présenté une proposition de Règlement visant à encadrer les systèmes d’IA. L’objectif est d’asseoir une vision européenne de l’IA basée sur l’éthique en prévenant les risques inhérents à ces technologies par un règlement commun permettent d’éviter certaines dérives. Concrètement, l’encadrement juridique de l’IA proposé s’articule autour d’une approche des système d’IA par les risques. Plus les risques sont importants plus les règles pour une utilisation sur le marché sont contraignantes.

En matière de propriété intellectuelle, une résolution sur les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle a été adoptée par le Parlement européen le 20 octobre 2020. La résolution considère que les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies de l’IA devraient être distingués des droits de propriété intellectuelle potentiellement accordés pour les créations générées par l’IA. 

S’agissant de la responsabilité des produits défectueux, en octobre 2020 la Commission Européenne a publié un rapport contenant des recommandations afin d’ ajuster le régime responsabilité des produits défectueux à l’IA ...

Persistance des fondamentaux de la protection des patients  

Cette transformation numérique assure une meilleure prise en charge du patient, sans diminuer ses droits. La CNIL a toujours prêté une attention particulière à ce que la dématérialisation des dossiers médicaux et la numérisation des systèmes de santé ne s’opère pas au détriment de la protection des données. Au regard des règles existantes concernant les décisions automatisées prises sans intervention humaine, la CNIL s’est saisie des implications du recours croissant à l‘IA et a dégagé deux principes fondateurs : la loyauté vis-à-vis du patient et la vigilance vis-à-vis de ces technologies évolutives.  

La CNIL a joué un rôle important dans le cadre de la crise sanitaire. En effet, les données personnelles, notamment de santé, sont au coeur des problématiques liées à la pandémie de Covid-19. Elle a notamment publié un certain nombre de recommandations afin de garantir la sécurité des données (i.e. recommandations relatives à l’application mobile « StopCovid », à la collecte de données relatives à la santé dans le domaine sportif, à la constitution de nouveaux traitements de données lors des opérations de distribution des masques, aux communications du gouvernement aux français pour rappeler les consignes de sécurité à appliquer pour lutter contre la propagation du virus, à la pratique des tests salivaires de dépistage dans les établissements scolaires et aux contrôle qualité à distance des essais cliniques, etc). La CNIL se mobilise également pour accompagner l'innovation dans la santé numérique, en créant un dispositif spécifique d'accompagnement pour certains projets innovants sélectionnés sur la base de leur fort intérêt pour la protection des données ("bac à sable 2021"). 

Par ailleurs, le principe d’une garantie humaine en matière d’IA a été réaffirmé dans le projet de loi Bioéthique, sur les recommandations du Comité consultatif national d’éthique. L’objectif est "d’assurer la protection du patient et du professionnel, afin de garantir qu’in fine la meilleure décision puisse être prise […] et que l’utilisation de traitement algorithmique […] ne puisse donner lieu à aucune décision automatique préventive, diagnostique et a fortiori thérapeutique". La Commission européenne a publié en février 2020 un livre blanc sur l’IA afin d’adopter une approche européenne solide et coordonnée relative aux implications humaines et éthiques de l’IA et expose des options qui permettront un développement sûr et digne de confiance de l’IA en Europe.  Et plus récemment en avril 2021, la proposition de Règlement de la Commission européenne visant à encadrer les systèmes de l’IA, selon une approche fondée sur le risque, pose un tout premier cadre juridique en la matière. Une fois adopté, le Règlement sera directement applicable dans tous les Etats membre, qui devront se mettre en conformité, avant d’entrer en application.  

Sur les auteurs : 

Anne-France Moreau est associé au sein du département Sciences de la Vie de McDermott Will & Emery. Anne-France conseille des sociétés dans les secteurs pharmaceutiques, dispositifs médicaux (incluant logiciels et objets connectés) et cosmétiques dans le cadre de leurs opérations de M&A, d’investissement, de partenariats, lors de la négociation de leurs accords stratégiques en France et à l’étranger, ainsi que pour des questions réglementaires.  

Lorraine Maisnier-Boché est avocat senior au sein du département Cybersécurité et protection des données personnelles de McDermott Will & Emery. Lorraine conseille les professionnels et structures de santé, les administrations, ainsi que les compagnies d’assurance, fabricants de dispositifs médicaux, éditeurs de logiciels ainsi que des hébergeurs, concernant des projets informatiques complexes. 

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