En juin 2018, Samuel Valcke prend la tête de la direction juridique de l’Institut Pasteur, fort de son expérience au sein du CNRS puis de l’Établissement français du sang. Aujourd’hui, il doit soutenir ses efforts pour assurer la protection des intérêts de l’Institut Pasteur, entièrement mobilisé pour répondre par la science à la pandémie du Covid-19, et accompagner les équipes de recherche.

Décideurs. Quelles sont vos principales missions en tant que directeur juridique de l’Institut Pasteur ?  

Samuel Valcke. Nous conseillons la direction générale et nous assurons la protection des intérêts de l’Institut Pasteur – ses recherches, son image, sa réputation, ses finances – tout en accompagnant individuellement et de manière personnalisée les équipes de recherche : chacune d’entre elles a ses propres thématiques et ses contraintes… La direction juridique est au service de la science et de chacune des unités de recherche tout en étant garante des intérêts institutionnels et collectifs de l’Institut. Il nous faut donc être réactifs et agiles dans un environnement scientifique concurrentiel extrêmement exacerbé.  

Nous veillons également en permanence à la transversalité du travail en équipe. Il y a aujourd’hui très peu de dossiers faisant appel à un savoir-faire juridique unique. Au-delà de la direction juridique, nous travaillons régulièrement avec la direction financière, les ressources humaines, les directions techniques, les équipes scientifiques… Nous ne pouvons pas rester seuls dans notre bureau. Les juristes doivent être totalement intégrés dans leur environnement professionnel, le comprendre, s’y intéresser et travailler de façon transversale.  

Pouvez-vous nous présenter plus en profondeur votre direction ?  

Une partie de l’équipe travaille sur l’encadrement des partenariats industriels et tout ce qui a trait à la valorisation des résultats de la recherche. Elle gère également le portefeuille de marques de l’Institut. D’autres de nos juristes s’occupent quant à eux de l’encadrement des recherches en santé et de nos activités de santé publique. Dans ce cadre, et aux côtés des juristes, une cellule est chargée du conseil éthique pour certains projets de recherche. La direction, elle, a pour mission de regarder si la gouvernance de l’Institut, fondation reconnue d’utilité publique soumise à des règles particulières, est en conformité. Nous devons donc prévenir et gérer avec rigueur les conflits d’intérêts potentiels ou encore veiller à la conformité à la loi Sapin 2. Enfin, la direction juridique s’occupe de l’ensemble des autres partenariats de recherche, notamment ceux avec les instituts du réseau des Instituts Pasteur à travers le monde, tous indépendants juridiquement, mais également ceux avec nos partenaires académiques tels que le CNRS, l’Inserm, les universités ou encore des bailleurs de fonds nationaux, telle l’Agence nationale de la recherche, ou internationaux comme la Wellcome Trust.  

Vous évoluez depuis près de vingt-cinq ans dans le secteur des sciences. Quelles sont, selon vous, les grandes évolutions juridiques dans ce domaine ?  

Dans les années 1990, il y a eu un mouvement d’adaptation du droit en faveur de la politique d’innovation et de l’excellence scientifique avec une volonté d’assouplir certaines règles qui pesaient sur la recherche publique et les chercheurs, notamment dans leurs relations avec les entreprises qui valorisaient leurs travaux. L’objectif était ainsi d’être plus performant dans un contexte de concurrence scientifique et technologique international.  Mais, paradoxalement, certaines réformes des structures existantes ont conduit à un empilement de nouvelles formes juridiques. Cela a conduit à une augmentation du nombre d’acteurs et à une complexification du panorama juridique français, avec notamment les structures de regroupement inter-universitaires. Un effort de rationalisation a depuis été entrepris par la fusion de nombreuses d’entre elles. Un projet de loi de programmation pour la recherche pour les années 2021 à 2030 est actuellement en cours de débat au Parlement et pourra peut-être apporter des simplifications et assouplissements.  

Avez-vous également observé un accroissement majeur des normes juridiques dans le milieu de la santé ?  

Tout à fait, et ce, afin notamment de protéger et de mieux prendre en considération l’individu. Bien entendu, comme tous les secteurs, la recherche scientifique, notamment en santé humaine et sciences du vivant, a été particulièrement concernée par l’entrée en vigueur du RGPD. Mais je pense surtout aux diverses lois de bioéthique. Il y a vingt-cinq ans, le législateur commençait à peine à évoquer le sujet, même si des comités éthiques existaient et que le sujet n’était pas étranger à la réflexion scientifique. Au contraire ! L’Institut Pasteur a d’ailleurs abrité en ses murs de grands scientifiques qui se sont interrogés sur cette thématique.  

Les premières lois sont arrivées au milieu des années 1990, avec une volonté de légiférer sur de nombreux thèmes. Elles ont eu un impact sur la recherche, bien entendu, essentiellement sur le vivant, avec comme conséquence organisationnelle la nécessité de se doter de cellules éthiques au sein des institutions de recherche, ce qui était déjà le cas pour l’Institut Pasteur. Ces lois encadrent également la constitution et l’exploitation des ressources biologiques qu’elles soient humaines ou non. Tout cela participe à la protection de la personne. Des normes strictes sur l’expérimentation animale ont aussi été adoptées. 

"La nécessité d’accompagner juridiquement la mission de santé publique de l’Institut Pasteur est essentielle"

En 2010, la signature du protocole de Nagoya, qui instaure un cadre juridique d’application des principes fixés par la Convention sur la diversité biologique signée en 1992, a également eu un impact important dans le milieu scientifique. Cet accord concerne l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation. Reconnaissant la souveraineté des États sur leurs ressources génétiques, ce protocole n’avait au départ pas vocation à régir les collaborations scientifiques, mais plutôt les relations industrielles afin d’éviter le pillage des ressources naturelles de la planète.  

Enfin, comme tout juriste, j’ai observé un renforcement de la conformité au sens strict du terme avec l’émergence de thématiques particulières comme la déontologie et la lutte contre la corruption avec la loi Sapin 2. Dans le milieu de la santé, de manière plus spécifique, la loi Bertrand de 2011 a été votée dans le but de renforcer la sécurité sanitaire des médicaments et des produits de santé, au travers de la prévention des conflits d’intérêts entre industriels et professionnels de santé, et ce au service de la transparence, de la crédibilité et de la légitimité du message scientifique.   

Justement, quel regard portez-vous actuellement sur la crédibilité du message scientifique qui a été quelque peu secoué depuis le début de la crise sanitaire ?  

C’est un thème aujourd’hui majeur. Et l’Institut Pasteur y a été récemment confronté. Nous vivons dans un monde où la parole d’un scientifique peut être remise en question par n’importe quel expert autoproclamé, tant à la télévision que sur les réseaux sociaux. Le tribunal de l’opinion est désormais très présent dans notre société et le rôle de l’expert dans la démocratie est un vrai sujet. 

Ainsi, au début de la pandémie, nous avons dû faire face à une vraie remise en question de la parole scientifique, et ce de manière violente. Nous avons notamment vu émerger sur de nombreuses vidéos mensongères remettant en cause les travaux de l’Institut. L’une d’entre elles prétendait que l’Institut Pasteur aurait inventé le SARS-CoV 2 (le virus à l’origine du Covid-19) à des fins mercantiles. Ce sont des propos faux et sans fondement, basés sur une interprétation erronée d’un brevet déposé en 2004 concernant la découverte des souches du SARS-CoV-1 ! Certains chercheurs et leurs familles ont par la suite reçu des messages, des appels ainsi que des courriels haineux, d’injures et même de menaces ! Les choses étant suffisamment graves, et sans préjudice de la liberté d’expression qui fait partie de la culture scientifique, l’Institut Pasteur s’est ainsi vu contraint, pour la première fois depuis sa création en 1887, de déposer plainte pour diffamation. Le 2 novembre dernier, le tribunal correctionnel de Senlis a finalement condamné l’auteur de la vidéo pour diffamation publique envers l’Institut Pasteur. Les scientifiques doivent désormais faire face à une vague de vidéos contenant des « fake news » et nous nous réservons le droit de porter plainte pour diffamation auprès du tribunal judiciaire de Paris à chaque fois que les travaux de recherche et la crédibilité de l’Institut seront remis en cause.  

L’Institut Pasteur est en effet au cœur de l’actualité depuis le début de l’année 2020 avec la pandémie de Covid-19. Quel a été son impact sur les activités de la direction juridique ?   

Il a été direct et immédiat. Nous avons dû faire face à un afflux important de projets scientifiques à encadrer, car les équipes scientifiques de l’Institut se sont mobilisées sans délai. Aux côtés de l’implication immédiate et constante de notre Centre national de référence des virus des infections respiratoires, la direction générale a aussitôt créé une task force autour de la problématique du Covid-19 et de la pandémie en lançant des travaux en matière d’identification et de détection du virus ainsi qu’en explorant des pistes de vaccins et sur les solutions thérapeutiques… De nombreux partenariats ont été établis avec d’autres instituts, car la recherche est très généralement collaborative. Et derrière toutes ces activités se cachent des problématiques juridiques : les règles ne sont pas forcément les mêmes selon qu’un chercheur travaille sur un vaccin, un test de détection ou un criblage de molécules.

"Nous vivons dans un monde où la parole d’un scientifique peut être remise en question par n’importe quel expert autoproclamé"

Par ailleurs, la nécessité d’encadrer et d’accompagner juridiquement la mission de santé publique de l’Institut Pasteur est essentielle. Ce n’est pas parce qu’on est en crise qu’on ne doit pas penser à l’après. L’urgence ne doit pas réduire les impératifs d’objectivité, d’impartialité et de rigueur de l’Institut. C’est une question de préservation des intérêts matériels et institutionnels de l’Institut Pasteur, mais également de la qualité et de l’excellence de sa recherche. Nous sommes une fondation reconnue d’utilité publique et nous vivons en grande partie de la générosité du public. Si nous perdons notre crédibilité, nous risquons de ne plus recevoir assez de fonds pour poursuivre nos missions.  

Quelle est la place de l’éthique pour une institution ou un centre de recherche comme l’Institut Pasteur ?  

Il s’agit d’un sujet majeur ! La recherche en santé humaine est au cœur de la mission de l’Institut. À partir du moment où l’on travaille au bénéfice de la santé humaine, l’éthique doit faire partie des préoccupations quotidiennes. C’est extrêmement important ! Nous essayons de faire avancer des réflexions et des concepts, notamment en matière de vaccinologie et d’infectiologie. L’éthique est pour nous un sujet fondamental et sérieux. Ainsi, nous avons redéfini les missions et la composition de notre comité d’éthique, le mandat du précédent étant arrivé à expiration l’année passée. Il aura pour mission de mener des réflexions sur ce thème, mais également autour de l’utilisation de l’intelligence artificielle en recherche. La réflexion autour du lien entre sciences et société sera également à son agenda. 

Quel bilan dressez-vous de vos deux premières années au sein de l’Institut Pasteur ?  

Le temps est passé incroyablement vite, j’ai l’impression d’avoir rejoint l’Institut hier ! Lorsque je suis arrivé, le comité de direction entamait une réflexion sur un nouveau projet stratégique à cinq ans, qui a été préparé, rédigé et adopté par les instances statutaires en l’espace de six mois. Ce fut extrêmement passionnant ! J’ai ainsi eu rapidement une perspective stratégique à long terme dans laquelle inscrire l’action de mon équipe. La direction juridique contribue à nourrir ce plan par le biais d’outils juridiques et de chantiers statutaires, elle revisite les modes de gouvernance, les relations avec les principaux partenaires pour les renforcer ou les professionnaliser encore. Nous avons également mené une réflexion concernant l’encadrement du processus de recherche clinique… Ma première année a donc été très chargée ! 

Puis est arrivée la crise et l’équipe a été très sollicitée. La direction juridique a montré qu’elle était vraiment au service de l’Institut. Nous avons su nous mobiliser pour faire face à un nouvel afflux de projets, jouer notre rôle de garde-fou, mais également rappeler certains prérequis indispensables pour l’après-crise.  

Quelles sont vos ambitions pour les mois à venir ? 

Préserver et amplifier l’agilité et la réactivité des équipes dans un contexte juridique complexe et mouvant. Nous devons tout faire pour que le monde scientifique ne souffre pas de l’accroissement constant des normes et de leurs poids. En tant que juristes, nous devons les interpréter et les appliquer de manière intelligente en conciliant les impératifs individuels du chercheur avec les intérêts institutionnels de la Fondation. Il en va de la place de l’Institut dans la concurrence scientifique internationale ! C’est un objectif qui peut paraître simple, mais qui demande beaucoup d’efforts au quotidien.  

Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali

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