Senay Gurel, general counsel chez Voodoo, étoile montante du mobile gaming, nous dévoile les challenges que doit relever cette jeune entreprise dans un secteur juridique ponctué de zones d’ombre.

Décideurs. En quoi consistent vos missions de general counsel chez Voodoo ? 

Senay Gurel. Je suis arrivée chez Voodoo pour créer la fonction juridique. Mon rôle est, d’une part, de m’assurer que tout est en ordre et que nous gérons intelligemment notre risque juridique et, d’autre part, de travailler en étroite collaboration avec les opérationnels pour réaliser les projets, voire créer des opportunités. Mon équipe est organisée autour de ces différents besoins : une partie data privacy gère les contraintes réglementaires en ce qui concerne le privacy et travaille étroitement avec notre département d’ingénieurs développeurs autour de solutions tech ; une autre équipe s’occupe du côté commercial et travaille sur les contrats ; une autre est focalisée sur les aspects propriété intellectuelle et litigation donc pour la protection des assets. La dernière équipe se consacre à la partie corporate et croissance externe, et fait essentiellement des deals d’acquisition, assure la gestion de la gouvernance, entretient les relations avec les investisseurs et tout ce qui a trait à l’expansion à l’international, à l’ouverture des bureaux ou encore à la gestion des entités. Nous gérons également les affaires publiques : là, nous travaillons avec les autorités pour expliquer quel est notre secteur, ses besoins, ce que l’on peut faire évoluer. Enfin, je suis membre du comité de direction au sein duquel nous réfléchissons notamment aux moyens de grandir tout en gardant une certaine agilité.

Pour quelles raisons avez-vous quitté le métier d’avocate en 2011 pour devenir directrice juridique ?  

J’ai beaucoup apprécié toute la période que j’ai passée en cabinet, ce fut une expérience très enrichissante. J’aimais la matière mais j’avais le sentiment à un moment de laisser derrière moi une aventure dans laquelle j’avais été un maillon et je ressentais toujours un certain regret à ne pas connaître la suite et à devoir rester dans cette posture de consultante qui conseille mais ne décide pas. J’avais envie d’être un entrepreneur de l’intérieur, d’avoir la possibilité de gérer un processus du début à la fin, d’avoir le bilan de mes décisions et de véritablement m’inscrire dans la durée de la vie d’une société. Ce projet est devenu assez mûr et s’est concrétisé grâce à ma rencontre avec les équipes de PayPal. J’ai eu la chance de les suivre sur un projet très intéressant. J’ai passé huit ans avec elles, nous avons lancé des produits dans des marchés émergents, dans une matière juridique ponctuée de zones d’ombre, ce qui était passionnant.  

Je pense que les raisons pour lesquelles j'ai rejoint Voodoo étaient plus nombreuses que celles qui m’ont fait quitter mon environnement précédent. Chez PayPal, j’ai souvent changé de rôle au cours de mon parcours. Quand je suis partie, j’avais un peu plus de 130 pays sous ma responsabilité, donc il était difficile de s’ennuyer dans ces conditions. Toutefois, j’ai réalisé que ce que j’avais le plus apprécié dans cette expérience c’était le moment où je suis arrivée et où j’avais tout mis en place dans une matière émergente avec une zone grise légale : j’ai construit le service, l’équipe, la culture du service juridique sur ces projets et régions, aidé l’entreprise à définir le juste équilibre entre les contraintes et les occasions qui se présentaient à nous, et participé à la création d’une réglementation dans un secteur nouveau. Au bout de huit ans, les marchés émergents dont je m’occupais chez PayPal ont émergé, la dynamique était différente et l’envie de "défricher" est revenue. Puis Voodoo est arrivé avec ce secteur totalement nouveau, des challenges commençaient à apparaître sur le terrain, un cadre juridique sécurisant et protecteur était nécessaire. De plus, la société était dotée de nombreux éléments séduisants : beaucoup d’énergie, des équipes talentueuses, une vraie vision et une hyper-croissance.

Les possibilités de développement dans le mobile gaming sont très nombreuses

Voodoo a connu une ascension très rapide, récemment encore avec l’acquisition de Beach Bum, comment expliquez-vous cela ?  

Le secteur est très dynamique et en constante évolution, les possibilités de développement dans le mobile gaming sont très nombreuses, ce qui donne de nombreuses idées et c’est la raison pour laquelle il est compliqué de rester immobile. Le jeu est un besoin universel, tout le monde a besoin d’entertainment. Les deux dernières années ont montré que nous avions tous besoin de connexions, de moments de détente et de légèreté. La spécialité de Voodoo ce sont les jeux hyper casual, qui ont une audience extrêmement large : tout le monde peut jouer aux jeux Voodoo, qui sont d'une certaine façon universels. Ensuite, l’ascension de Voodoo est aussi liée à tous les investissements qui nous ont permis de développer une stratégie de croissance externe ambitieuse et active. Nous avons croisé le chemin de beaucoup de gens talentueux et cela s’est parfois traduit par des acquisitions. C’est loin d’être terminé. Voodoo est une boîte jeune et audacieuse, qui n’a pas peur de se challenger, de s’adapter aux changements du marché et dont la limite ultime est l’excellence. 

Il y a une évolution, une meilleure compréhension de l’écosystème par les juges, une vraie volonté d’assainir ce marché

Quels sont les contentieux que vous avez dû gérer ces deux dernières années ? 

Le pendant du succès est que l’on peut être copié. La protection juridique en matière de propriété intellectuelle n’est pas encore acquise. Quand je suis arrivée, j’avais l’impression d’être dans un no man’s land et un secteur juridiquement très agressif. Il a fallu essayer de trouver les moyens de se protéger, d’expliquer aux gens qu’en dépit de la simplicité du produit, il avait une vraie originalité qui devait être protégée et que le secteur devait donc être assaini. Notre combat sur le plan litigation se centrait sur deux sujets : trouver un moyen de protéger nos créations et barrer la route aux contrefacteurs. Le combat n’est pas terminé mais il y a eu une belle évolution grâce à certaines décisions très encourageantes qui ont permis de sanctionner des comportements de parasitisme : les juges comprennent davantage notre secteur, ses dynamiques et ses besoins, ce qui a porté ses fruits. Enfin, la maturité du secteur a pour conséquence que ses acteurs n’ont plus envie de concurrence déloyale mais d’un secteur plus sain, ce qui a aidé.   

Le marché du jeu vidéo est en forte croissance, cela a-t-il fait évoluer la législation ?  

Oui, absolument. Des décisions sont venues clarifier l’aspect propriété intellectuelle sur ces jeux mobiles. Il y a une évolution, une meilleure compréhension de l’écosystème par les juges, une vraie volonté d’assainir ce marché. Toutefois, nous sommes dans un secteur où il faut continuer à expliquer quelles sont les différentes dynamiques, les raisons pour lesquelles il faut reconnaître un droit de propriété intellectuelle sur des jeux simples mais innovants et la façon dont il faut définir l’innovation et l’originalité de ces nouveaux produits. Le secteur tech va vite, un jeu a une durée de vie réduite alors que les procédures judiciaires prennent des mois voire des années : le mal est largement réalisé entre temps. 

Voodoo s’agrandit rapidement, commencez-vous à réfléchir à la conception d’un programme de conformité ?  

Nous avons été assez précurseurs là-dessus. Au moment où je suis arrivée, nous avions déjà une structure d’actionnariat qui nécessitait d’avoir un programme de conformité en place. Nous en avons donc un depuis plus de deux ans qui couvre les sujets de compliance mais aussi qui compte des garde-fous sur les enjeux auxquels nous sommes confrontés au quotidien. Nous faisons systématiquement une formation aux nouvelles recrues pour qu’elles se familiarisent à la compliance. Nous nous sommes équipés d’outils nous permettant de gérer ces sujets de façon fluide, sans créer de lourdeurs inutiles dans nos process et dans notre façon d’interagir avec nos clients. 

Propos recueillis par Clémentine Locastro

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