Il fut un temps où CDPQ, l’un des plus grands gestionnaires de fonds institutionnels au monde, donnait sa priorité aux GPs pour investir dans le private equity. Aujourd’hui, la méthode a changé, CDPQ préférant accompagner les groupes et leurs dirigeants avec ses propres équipes. Explications avec Stéphane Etroy, premier vice-président et chef des placements privés pour la Caisse.

Décideurs. De plus en plus visible sur le marché du non-coté en France, CDPQ reste un acteur encore assez méconnu. Quelles sont les caractéristiques de l’investisseur institutionnel canadien ?

Stéphane Etroy. CDPQ est le deuxième gestionnaire de fonds institutionnel du Canada, et le premier au Québec, avec 310 milliards de dollars canadiens sous gestion. Nous privilégions aujourd’hui le déploiement de capital et la construction d’un portefeuille d’actifs privés de qualité pouvant générer de la valeur à long terme.

La part de l’allocation de nos actifs globaux aux classes d’actifs moins liquides (immobilier, infrastructures, private equity) est en nette progression. Ces métiers ont des avantages qui nous semblent essentiels : la proximité des opérations permettant de créer de la valeur et générer des retours intéressants dans la durée.

Justement, votre présence semble croissante sur le marché du private equity, notamment en France. Vous aviez commencé par investir dans les levées de fonds des sociétés de gestion, pour ensuite investir à leurs côtés. Aujourd’hui, vous donnez la priorité aux investissements en direct. Cette stratégie a-t-elle vocation à perdurer ?

Depuis cinq ans, la stratégie de la Caisse dans le private equity, comme celle de ses pairs fonds de pension, a suivi deux mouvements. Le premier, déjà évoqué, correspond à l’augmentation de la part des actifs moins liquides dans notre allocation de portefeuille global. Et le second est relatif à la montée en puissance du private equity au sein des moins liquides. Le private equity est une classe d’actifs importante pour nous car son marché adressable est très large : on peut regarder de nombreux pays, secteurs d’activités ou tailles d’entreprises.

Auparavant, nous avions un raisonnement standard : le capital-investissement génère des retours certes très intéressants mais adossés à un risque assez élevé, il faut donc passer par des professionnels du private equity. Cela a rendu le marché très “intermédié” avec beaucoup de management fees & promote versés aux fonds. Pour des investisseurs comme CDPQ, ces frais versés aux GPs sont significatifs. La plupart des LPs plus petits que nous font le même constat mais n’ont pas beaucoup d’autres solutions que de passer par les GPs, et de co-investir à leurs côtés lorsque ces derniers le proposent. Seule une petite dizaine de fonds de pension ou fonds souverains ont atteint la taille critique suffisante pour investir en direct.

Le private equity est l’une des classes d’actifs que nous privilégions dans la construction de portefeuille de nos déposants

Compte tenu de notre exposition croissante au PE – en cinq ans, nous sommes passés de 8 % à 14 % d’allocation PE au sein de notre portefeuille global – nous devions nous poser la question de la réduction des frais grâce à la création d’équipes d’investissement direct.

Comment avez-vous redessiné l’offre private equity ?

La première mission a été d’investir dans les équipes et dans les infrastructures (IT, systèmes, bureaux à l’étranger, comités d’investissement…) pour essayer d’être aussi performants qu’un fonds de private equity dans notre exécution de transactions et ensuite dans notre capacité à accompagner les sociétés et leurs équipes dirigeantes. D’un modèle CDPQ centralisé depuis notre siège social à Montréal, avec une équipe qui confiait de l’argent à différents gestionnaires externes, nous sommes passés à une organisation internationale, composée d’équipes locales, proches de nos GPs, partenaires, entrepreneurs, co-actionnaires, compétentes dans le sourcing, l’exécution et le suivi de transactions. C’est bien parce que ces transformations sont lourdes en temps, en infrastructure et en budget que seuls les acteurs gérant des dizaines, voire des centaines de milliards de dollars, sont capables de les porter.

Tout cela ne s’est pas fait de manière opportuniste. Nous avons beaucoup étudié les marchés géographiques où nous souhaitions être à moyen terme, et l’idée d’ajouter une couche d’investissement en direct s’est imposée naturellement pour réduire nos coûts, améliorer nos retours et mieux aligner notre stratégie d’investissement avec l’horizon à long terme de nos déposants. Qui plus est, notre stratégie répond à un besoin réel de certaines sociétés, qui privilégient un partenariat à long terme permettant de les accompagner dans la concrétisation de leur plan de création de valeur.

Quelle est la typologie des deals que vous comptez réaliser vous-même, par rapport aux opérations que vous laisserez à la charge des fonds de private equity ?

Notre priorité est de déterminer rapidement si l’opération nous semble réalisable en direct ou s’il est préférable qu’un fonds de private equity intervienne et dans ce cas nous investissons à ses côtés. Il est plutôt rare que nous soyons en face d’un fonds, car notre politique n’est pas de participer aux enchères mais d’accompagner un groupe qui se voit rester avec un actionnaire financier de long terme. Nous ne sommes donc presque jamais en compétition avec le private equity traditionnel. Si c’est uniquement le prix qui détermine le choix de l’acheteur, ce n’est pas pour CDPQ.  

Notre souplesse et notre patience font de nous un partenaire de choix pour des équipes de direction

Sur le point de nos relations avec les GPs, ce que nous demandons aux fonds a changé. Avant, CDPQ choisissait les plus gros fonds de private equity offrant une exposition globale, avec un volume important de transactions en nombre et en taille, et proposant du co-investissement. Aujourd’hui, le co-investissement n’est plus notre seule approche car nous pouvons « originer » et réaliser nos propres investissements directs grâce à nos équipes. De plus en plus, nous recherchons des fonds apportant une valeur ajoutée précise, notamment sur des transactions plus complexes (carve-out, turnaround, distressed…). Ces situations plus risquées n’entrent pas dans notre champ d’intervention, mais nous confions volontiers du capital aux meilleurs spécialistes du métier. Les fonds de niches sectorielle ou géographique sont aussi dans notre scope car ils sont complémentaires à notre stratégie d’investissement. En portefeuille, nous avons dernièrement ajouté des fonds spécialisés dans la santé ou la technologie

Les fonds ne doivent donc pas trop s’inquiéter : vous allez participer à leurs prochains fundraisings ?

La CDPQ va continuer à augmenter son allocation de capital dans le PE à travers les levées de fonds de GPs. C’est ce que nous avons continué de faire depuis 5 ans déjà, même si la proportion de fonds dans notre portefeuille PE total est descendue à 25 %, par rapport à 70 % avant 2014. Nous continuons de penser que les GPs peuvent avoir des angles stratégiques que nous n’avons pas et inversement.

Quelles sont les dernières transactions en direct qui reflètent bien votre caractère d’investisseur minoritaire global de long terme ?

Il est intéressant de voir que les banques d’affaires ont presque toutes créé un département family office et sovereign capital pour nous différencier des fonds de PE. Par conséquent, elles ne nous proposent plus les mêmes dossiers. L’évolution de leur coverage montre bien à quel point nous réalisons des opérations de nature différente.

Si c’est uniquement le prix qui détermine le choix de l’acheteur, ce n’est pas pour CDPQ

Le deal type est celui où l’actionnaire majoritaire, une famille, un entrepreneur ou la maison-mère d’une filiale, a besoin de capitaux, mais ne souhaite ni passer par les marchés financiers ni par un fonds de private equity classique. L’actionnaire financier de long terme, le fonds de pension par exemple, est alors le partenaire de choix, surtout lorsque son implantation est internationale.  

D’une façon générale, quatre grands secteurs d’activité sont prioritaires chez nous : la santé, l’industrie propre/durable, la technologie et les services financiers. En 2017, avec Suez, nous avons racheté GE Water pour 3,2 milliards d’euros. C’est un partenariat avec un industriel, bien différent de ce que les fonds de private equity ont l’habitude de faire. Nous sommes également entrés au capital de sociétés comme Sebia ou Alvest, où nous avons clairement vu que les entrepreneurs dirigeants ou fondateurs recherchaient un horizon d’investissement plus long. Ce sont des transactions qui nous plaisent car en tant qu’investisseur minoritaire, il est rassurant de faire affaire avec une famille qui est investie à long terme. Toujours en France, l’opération avec Delachaux, par exemple, est très satisfaisante. L’activité étant plus cyclique, il était important pour le groupe et la famille actionnaire de pouvoir s’orienter vers une forme de capital plus patient et pérenne.

La France restera-t-elle un marché clé pour vous ?

Si l’on regarde l’Europe et le concept d’alignement d’intérêts avec des CEOs se voyant davantage comme des business owners plutôt que des managers, la France est l’un des tous premiers marchés pour le private equity. Nous regardons aussi en Angleterre et en Allemagne ; les sociétés sont très belles, mais le marché est plus structuré et vous y trouvez relativement moins d’entrepreneurs encore à la tête de leurs groupes. En France, ou en Espagne, les dirigeants sont animés d’un esprit patrimonial, de bâtisseur, transcendant leur fonction exécutive.  

Enfin, CDPQ est un groupe québécois, donc francophone, et le fit est évidemment naturel avec la France. En complément, en tant qu’acteur nord-américain, nous constituons une solution d’appui très attrayante pour les entreprises souhaitant pénétrer ces marchés.*

@Firmin Sylla

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