Par Benoit Le Bars, avocat associé. Lazareff Le Bars
L’Afrique connaît depuis plusieurs années une évolution sans précédent de la réglementation en matière de RSE et de gouvernance, sous la pression des autorités locales et internationales. Les sociétés opérant en Afrique doivent intégrer ce changement à leur manière de structurer leurs projets, tant au niveau de la stratégie d’implantation qu’en termes d’accompagnement juridique de leurs investissements.

Il y a encore quelques années, parler de responsabilité sociale d’entreprise ou de gouvernance en Afrique était perçu avec scepticisme. Les professionnels impliqués sur le continent mettaient souvent en avant la dimension de risque élevé dans cette zone. Si cette réalité variable est sans doute toujours vraie - comme pour d’autres régions du monde -, il est aussi indéniable que les pays d’Afrique doivent s’adapter à l’évolution de leurs économies. De nombreux décideurs, publics comme privés, évoquent ainsi la RSE et la gouvernance pour améliorer leurs relations avec les opérateurs internationaux. Pour les sociétés étrangères opérant en Afrique, cette aspiration influence les relations d’affaires traditionnelles. Pour éviter une chute de rentabilité des investissements, les contrats internationaux doivent intégrer ces préoccupations d’ordre plus général.

L’évolution du contexte de gouvernance en Afrique

Gouvernance et RSE prennent leurs racines dans les pays les plus développés, qui ont cherché à organiser la transparence de leurs entreprises, à prendre en compte les intérêts d’autres acteurs (les parties prenantes) et à rationaliser le fonctionnement des sociétés. Cette évolution s’est propagée en Afrique de plusieurs manières (la présentation ci-dessous n’étant pas hiérarchique). Tout d’abord, des contentieux internationaux ont révélé le non-respect par quelques sociétés connues d’engagements internationaux de leurs pays d’origine, notamment en matière de droits de l’homme, d’environnement ou de conditions de travail. Ensuite, une standardisation internationale du niveau d’exigence à l’égard des groupes internationaux s’est progressivement imposée. En Europe, évoquons le principe d’une responsabilité des sociétés mères européennes pour les manquements de leurs filiales partout dans le monde (hors Europe), et notamment en Afrique. Cette fin du «?forum shopping?» en matière de RSE s’est d’ailleurs accrue par une pression sur les grands groupes tenus d’élaborer des rapports annuels spécifiques, de mettre en place des comités et d’assurer un suivi dans le temps de leurs actions. Enfin, le contexte politique en Afrique a changé. Les autorités publiques ont élevé leur niveau d’exigence pour que les pays soient : (i) plus attractifs vis-à-vis des acteurs privés internationaux soumis à des règles de RSE ; (ii) sécuriser le recours au crédit public international, notamment des grandes banques ; (iii) permettre la mise en œuvre de politiques de développement plus tournées vers les attentes des populations locales, en termes notamment d’éducation ou d’infrastructures. De nombreuses initiatives ont été prises récemment, marquant une accélération indéniable des exigences de RSE pour le continent africain. Citons, à titre d’illustrations, le rôle moteur du Maroc (Assises de Casablanca, 2011), le forum RSE de Bamako entre le CNPM et le BIT (2007), le manifeste de Douala (2011), les initiatives du Gicam au Cameroun, les réformes législatives de nombreux secteurs (minier par exemple) ou l’uniformisation du droit des affaires pour l’Ohada, dont l’impact est sensible.

Passer de la RSE subie à la RSE gérée

Pour les sociétés opérant en Afrique, il devient vital d’intégrer la RSE à leur démarche d’implantation pour éviter qu’elle ne soit «?subie  ». Prenons l’exemple d’une société industrielle qui ne prend pas assez en compte le traitement de l’eau, ou telle autre qui suppose que les infrastructures de transport seront à la charge de l’État, même si son lieu d’implantation se situe loin des zones d’activités logistiques traditionnelles du pays. Citons encore la question de la formation continue : une entreprise du secteur technologique qui ne forme pas ses salariés locaux risque de voir les autorités publiques lui en faire reproche.
Cette RSE subie, qui s’appuie sur la réglementation locale, risque de s’accélérer pour les sociétés opérant en Afrique si elles ne la gèrent pas en amont. Pour passer à une RSE gérée, la RSE doit s’intégrer au processus d’implantation comme dans le suivi opérationnel des filiales locales.
Les instruments juridiques pour y parvenir sont multiples. Pour les matières premières, il s’agira des études d’impact, par exemple, et de la prise en considération des réglementations locales. Dans des secteurs moins régulés, il faudra anticiper la dimension de formation continue ou de services d’intérêt général (infrastructures) en l’encadrant au titre d’engagements statutaires, de conventions avec les autorités publiques ou de pactes d’actionnaires. Cette initiative sera très utile en présence de l’État dans le capital de la structure ou même s’il est simplement partie prenante par le biais de la créance fiscale. La RSE suppose donc un travail d’anticipation, de cartographie de la stratégie d’implantation dans ses aspects juridiques mais, également, une connaissance plus précise des réalités politiques du pays.
Sur le terrain du risque litigieux, la société pourrait aussi étudier de plus près ses clauses de règlement des litiges, s’interroger sur les meilleurs supports contractuels pour les matérialiser et sur l’environnement réglementaire en matière de conventions bilatérales d’investissement. Dans ce domaine également, suivant le type de conflits, il peut être opportun d’élaborer des solutions variables (médiation interne pour des difficultés mineures d’interprétation ou d’application des contrats, arbitrage international régional ou extérieur au continent pour des difficultés plus substantielles).

La RSE comme instrument de sécurisation
La prise en considération des contraintes RSE dans la relation avec les opérateurs locaux constitue également un outil d’implantation dans la durée. La société qui intègre la dimension humaine, sociale et de développement dans sa démarche productive crée des liens plus profonds avec les autorités locales. Si cette préoccupation n’est pas une garantie de stabilité, elle peut contribuer à sécuriser l’investissement. Pour ce faire, le respect des règles de fonctionnement des sociétés (gouvernance), le reporting et la normalisation comptable, sont de très bons indicateurs de la santé du projet et d’éventuels dysfonctionnements (corruption, abus de pouvoir, etc.). De nombreux groupes internationaux l’ont d’ores et déjà très bien compris en mettant en place des normes de gouvernance à destination de leurs salariés expatriés ou de leurs représentants auprès des organes des filiales locales.

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