Les mesures gouvernementales de confinement ont contraint les cabinets d’affaires, comme n’importe quelle entreprise, à organiser le travail à distance de leurs membres. Or, le caractère libéral de la profession nécessite un traitement ­particulier de la situation, faisant primer la solidarité sur l’individualisme.

« Le plus difficile est devant nous. Il nous appartient de préparer l’avenir dès maintenant pour résister et mieux rebondir », déclarait la présidente du Conseil national des barreaux (CNB) Christiane Féral-Schuhl lors d’une conférence de presse virtuelle organisée le 21 avril dernier (lire ici). Le barreau d’affaires n’avait encore jamais été confronté à une période aussi délicate que celle que l’économie mondiale traverse actuellement. Il y a quelques mois seulement, la profession s’était vue fragilisée par des mouvements de grève contre la réforme des retraites portée par le gouvernement. Une mobilisation qui était encore en cours la veille de la fermeture des tribunaux, ayant significativement affecté les entrées d’argent. À mesure que le confinement se prolonge, les inquiétudes des robes noires grandissent. Dans les cabinets, des actions de solidarité ont été immédiatement mises en place afin d’éviter, dans un premier temps du moins, les mesures radicales.

Sacrifier les congés

Les conséquences de la crise financière de 2008 sont encore dans tous les esprits. Le premier réflexe des associés à la tête des cabinets : se projeter et souder les équipes afin d’éviter de réduire la voilure. Mais comment entretenir le lien avec les collaborateurs, entre les associés et avec les équipes support alors que le travail à distance est généralisé et dans cette profession où le contact humain reste très fortement ancré ? La grande majorité des collaborateurs exerçant sous un statut libéral, le salariat constitue l’exception dans les cabinets d’avocats. Le chômage partiel mis en place par le gouvernement est inenvisageable. Il faut donc continuer à travailler en tenant compte des contraintes de chacun, notamment de ceux qui gardent leurs enfants à la maison. « Nos collaborateurs sont très volontaires, explique Xavier Rollet, l’un des deux managing partners de Racine. Ils travaillent beaucoup et ceux qui gardent des enfants en bas âge travaillent le matin tôt, le soir tard, le week-end, nous leur sommes très reconnaissants. » « Nous sommes stupéfaits de constater leur niveau d’engagement pour le cabinet », renchérit son binôme Frédéric Broud. La conscience professionnelle est très importante chez les avocats. Christiane Féral-Schuhl le rappelait justement : la quasi-totalité de ses confrères a payé ses cotisations sociales et professionnelles. Ce qui confirme l’implication de l’avocat dans la cité. Au-delà de la peur de perdre leur contrat de collaboration en cas d’une réduction des coûts imposée par la crise, ces professionnels libéraux sont solidaires et se disent même prêts à sacrifier leurs congés d’été pour rétablir la barre et contribuer à la poursuite de l’activité.

« Nous sommes stupéfaits de constater le niveau d’engagement des collaborateurs pour le cabinet », Frédéric Broud

Qui dit travail à distance ne dit pas absence de contact, bien au contraire. Comme beaucoup de ses concurrents, le cabinet De Gaulle Fleurance & Associés a augmenté la fréquence des réunions, qui se tiennent dorénavant en visio-conférence : point entre les associés, avec les collaborateurs, revue de l’avancée des dossiers...  « L’objectif est de ne pas déstabiliser nos équipes et d’adapter les situations en fonction de chaque individu. Maintenir la confiance entre nous nous permettra d’être prêts à redémarrer », livre Louis de Gaulle, l’un des deux associés fondateurs. C’est aussi dans ces moments difficiles que les valeurs d’un cabinet sont mises à rude épreuve. La stabilité des équipes notamment compte beaucoup. Pour être solidaire, mieux vaut bien se connaître et avoir confiance. À la tête d’August Debouzy, Mahasti Razavi constate encore plus aujourd’hui qu’hier la proximité entre les avocats du cabinet. « Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas la renforcer », prévient-elle. Les initiatives, telles que des petits-déjeuners entre les différentes practices, des réunions du comex ou encore la création de groupes de discussion sur Whatsapp auxquels sont conviés les clients également, sont venues des jeunes collaborateurs, des associés ou de l’équipe communication du cabinet, et se sont instaurées naturellement. « Notre lien quotidien a pris une forme différente, mais il assure une continuité fluide dans nos échanges. Nous nous projetons dans la phase de l’après, pour le bien-être de notre cabinet et de nos clients », poursuit la managing partner.

« Maintenir la confiance entre nous nous permettra d’être prêts à redémarrer », Louis de Gaulle

Pour un aspect pratique, et en cas de besoin impératif, les avocats de Winston & Strawn à Paris disposent de la possibilité de se rendre au cabinet, de récupérer un dossier ou des pièces par exemple. « Ces venues sont contrôlées et validées par mes soins ou par toute personne à qui j’ai délégué la fonction, qui me reporte, afin que toutes les mesures de traçabilité et de protection sanitaire, en particulier de distanciation soient respectées », explique Gilles Bigot, managing partner du cabinet, bien placé pour maîtriser les enjeux d’une telle décision puisque son domaine de prédilection est le droit de la santé. D’autres formes d’organisation sont plus contraignantes : chaque avocat est tenu de rendre compte quotidiennement du travail effectué. « Nous avons ainsi de la visibilité sur notre niveau d’activité et sur la répartition de la charge de travail des uns et des autres, ce qui nous donne la possibilité de rééquilibrer le tir si nécessaire », explique Gilles Bigot.

Se serrer les coudes

Car c’est aussi cela l’un des impacts de la crise : apprendre à gérer la baisse d’activité. De la même manière que les industries françaises se reconvertissent dans la lutte contre la crise (fabrication de masque ou de gel hydroalcoolique, transport logistique depuis la Chine…), les départements des cabinets se serrent les coudes et aménagent leurs interventions. On en voit par exemple un certain nombre contribuer aux dossiers qui occupent les avocats en droit des entreprises en difficulté, en financement ou en droit social afin de répondre au surplus d’activité de ces derniers. L’associé spécialiste du restructuring chez Racine Laurent Jourdan illustre cette idée : « Nous mobilisons toutes les spécialités pour accompagner concrètement nos clients. Il faut renégocier des loyers, obtenir des prêts garantis par l’État ou des prêts Atout de la BPI, les accompagner dans leurs demandes de chômage partiel, renégocier des opérations qui étaient sur le point d’être signées, etc. Tout le cabinet s’est mis en ordre de bataille et nous intervenons en mode commando. Pour exemple, en quelques jours seulement, en pleine urgence sanitaire, avec notre département M&A, nos équipes en droit social et en financement, nous venons de parvenir à céder le contrôle d’une entreprise en sauvegarde. »

Cette solidarité sera plus difficile à mettre en place dans des structures ayant beaucoup recruté récemment. Les mouvements sur le marché des avocats d’affaires ont été très nombreux en 2019 et début 2020. Certains cabinets ont dû reconstituer des équipes entières, d’autres faire entrer au partnership de nouveaux profils afin de rajeunir le groupe ou de le spécialiser. Dans ces circonstances, les personnalités sont éprouvées et les comportements sont observés. Ceux qui se connaissent mal seront plus méfiants. Si la mise en place du télétravail semble plutôt bien gérée par l’ensemble des cabinets, la dimension psychologique du confinement ne doit pas être négligée. Certaines structures particulièrement attentives à cet élément ont mis en place des actions concrètes comme la création d’une cellule psychologique ouverte à tous. À l’instar de n’importe quel entrepreneur, les cabinets vivent une situation angoissante à laquelle personne n’est préparé. Une mise en chômage partiel ou même le télétravail peuvent être vécus violemment par certains. Et surtout, l’inquiétude quant à l’avenir peut exacerber les tensions. Encore une fois, ce sont les valeurs des cabinets qui sont mises à l’épreuve. Lorsque la solidarité, l’écoute, la bienveillance et le collectif priment sur le niveau de rentabilité, les chances de rebond augmentent en période de crise.

Marine Calvo

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