Les États-Unis ont pendant longtemps utilisé un système répressif contraire à notre culture pénale française. La loi Sapin 2 a changé la donne et interroge : quelle limite sera posée à l’avenir au glissement progressif du modèle américain sur la justice française ?

Dans les années 2000, la société Alcatel-Lucent, poursuivie pour corruption aux États-Unis, s’est vue condamnée à une amende de 137 millions de dollars par le Department of Justice (DoJ) et la Securities and Exchance Commission (SEC). Aux côtés de l’ancien responsable d’Alcatel au Costa Rica, Edgar Valverde, l’ancien directeur de la branche Amérique latine d’Alcatel CIT était également visé par la justice. Ce dernier a alors choisi de plaider coupable. Un autre cadre d’Alcatel-Lucent et un dirigeant de la filiale Alcatel-Standard ont quant à eux été mis hors de cause. Ce cas illustre la culture pénale américaine : lorsqu’une personne morale est poursuivie, un maximum de dirigeants sont également mis en cause, qu’ils soient américains ou non.

La fin d’une menace

Le texte fondateur de la lutte anticorruption américaine est le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), une loi instituée à la suite du Watergate. En vertu de ce texte, le ministère de la Justice poursuit toute personne ayant un lien avec les États-Unis et se livrant à des pratiques de corruption à l’étranger. En 2014, Alstom a par exemple été condamné à une amende de 772 millions de dollars pour des faits de corruption de 2002 à 2011 en Indonésie, en Égypte, en Arabie saoudite, à Taïwan et aux Bahamas. L’un de ses anciens cadres français, Frédéric Pierucci, a été incarcéré plus d’un an et condamné à 20 000 dollars d’amende par la cour fédérale de New Haven. Longtemps, les États-Unis ont représenté une menace pour les entreprises françaises, européennes et leurs dirigeants. Technip, Total, Alstom, Alcatel, BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale… Autant de sociétés poursuivies ou condamnées par la justice américaine. Les dangers de l’extraterritorialité de la législation américaine avaient d’ailleurs fait l’objet d’un rapport d’information en 2016.

"Si l’autorité judiciaire locale démontre qu’elle est active en poursuivant ses entreprises contrevenantes aux standards internationaux de lutte contre la fraude et la corruption, le DoJ n’agira pas"

Grâce à la loi Sapin 2, la France a adopté les meilleurs standards internationaux en matière de lutte contre la corruption. Avec la création du PNF et de l’AFA, elle montre qu’elle détient enfin les moyens nécessaires pour enquêter, instruire les dossiers et condamner. Et cela change semble-t-il la donne quant à l’action des autorités de poursuite américaines à l’égard des entreprises françaises. « Si l’autorité judiciaire locale démontre qu’elle est active en poursuivant ses entreprises contrevenantes aux standards internationaux de lutte contre la fraude et la corrution, le DoJ n’agira pas », indique Stephen L. Dreyfuss, avocat américain associé chez Hellring Lindeman Goldstein & Siegal. Pour ce pénaliste très attaché à la culture française, le nouvel arsenal juridique français rendrait dorénavant inutile l’intervention des autorités américaines de poursuite, qui se cantonneraient à la coopération internationale.

Des modèles convergents

Mais, au-delà d’avoir incité la France à se doter d’outils juridiques efficaces dans cette lutte, le modèle américain a fait basculer la culture judiciaire française. La création de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) par la loi Sapin 2 a en effet introduit la négociation dans sa procédure pénale au bénéfice des personnes morales. Dans le système américain cependant, le deferred prosecution agreement est également ouvert aux personnes physiques. Ainsi, le dirigeant peut négocier l’abandon des poursuites en matière de délinquance économique ou de pratiques commerciales illicites en échange de la reconnaissance des faits commis et du règlement d’une forte amende. Bien que nombreux soient les acteurs de la chaîne judiciaire française à plaider pour l’ouverture de la CJIP aux personnes physiques, la politique pénale de l’Hexagone semble en rester éloignée.

La CJIP a tout de même ouvert la porte au dialogue entre les avocats et le parquet, et même entre les avocats et les enquêteurs. Et c’est là que l’expérience outre-­Atlantique devient une vraie source d’inspiration, notamment pour les avocats de la défense : « Il est toujours souhaitable de coopérer en premier, ce qui nous permet de nous défendre et d’apporter des preuves contre les autres pour diminuer la condamnation », illustre Stephen L. Dreyfuss. De là à faire totalement tomber le caractère inquisitoire de notre système judiciaire ?

Pascale D’Amore et Romane Gagnant

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