Encore peu représentées sur le marché des prestations juridiques numériques, les solutions de justice prédictive font pourtant de plus en plus parler d’elles. Souvent définies comme des outils qui aident les professionnels du droit à prendre leurs décisions dans le cadre de contentieux, qu’apportent-elles en pratique ? Éléments de réponse.

La réalité dépasse parfois la fiction. Les premiers « robots juges » feront bientôt leur apparition en Estonie. Cette nation pionnière en matière de nouvelles technologies et d’intelligence artificielle annonçait au mois d’avril dernier la mise en place d’un système d’intelligence artificielle destiné à trancher des litiges d’un montant inférieur à 7 000 euros. C’est la première fois que le terme de « robot-juge » est employé. Il s’agit d’une grande nouveauté dans le monde du droit puisqu’un pays fait le choix de déléguer la résolution de certains conflits juridictionnels, jusqu’alors tranchés par un homme ou une femme, à une intelligence autre qu’humaine. Menace ou progrès pour les juristes ?

Évaluer les chances de gain

L’utilisation de ce qu’on appelle intelligence artificielle dans les cabinets d’avocats ou les directions juridiques se décline sous la forme de plusieurs outils adaptés à leurs besoins comme la gestion électronique de documents (GED) ou l’utilisation dynamique de data grâce à la blockchain. Le rapport Cadiet s’intéresse plus spécifiquement aux outils de justice prédictive, encore en infériorité numérique face à ceux de leurs concurrents spécialisés dans les gestions de contrats ou la numérisation de documents par exemple. Portant sur l’open data des décisions de justice et remis en 2017 à la Chancellerie, il définit la justice prédictive comme étant « l’ensemble d’instruments développés grâce à l’analyse de grandes masses de données de justice qui proposent notamment à partir d’un calcul de probabilités, de prévoir autant qu’il est possible l’issue d’un litige ». Autrement dit, des systèmes vont permettre, grâce à l’exploitation de la big data constituée par la jurisprudence, d’estimer les chances de gain d’un litige par des statistiques, de prévoir le montant des indemnités auxquelles les parties peuvent prétendre ou encore de déterminer les éléments de fait ou de droit qui ont le plus de poids devant les juridictions pour obtenir telle décision... Des données précieuses pour les professionnels du droit qui vont pouvoir gagner du temps dans leurs recherches pour se recentrer sur la stratégie à adopter dans leur contentieux.

Positionné sur ce segment, ­Predictice calcule le risque pour une entreprise d’être condamnée en cas de litige grâce à un outil de statistiques. Case Law Analytics se concentre quant à lui sur la quantification du risque juridique et sa probabilité de se produire : ses clients, des cabinets d’avocats, des directions juridiques, des assureurs, des experts-comptables ou encore des commissaires aux comptes, sont ainsi renseignés sur les risques existants ou non en droit social, commercial, boursier, de la propriété intellectuelle, public et de la famille dans le cadre d’un contentieux.

D’autres instruments ont quant à eux fait le choix de proposer un mode de résolution de litiges en ligne. Le réseau européen d’avocats et de juristes Eurojuris a par exemple lancé madecision.com en partenariat avec eJust, dans le but de faciliter les procédures d’arbitrage et de médiation aux PME/TPE pour les litiges compris entre 10 000 et 500 000 euros. Parti du constat que la justice est souvent considérée comme longue et coûteuse, Clément Jaton, counsel et chef de projet d’eJust pour la création d’une plateforme de service d’arbitrage en ligne, souhaitait quant à lui « accélérer le processus sur des litiges à moins de 1 000 euros ». Et par là même, démocratiser l’accès à la justice. Des outils qui ne nécessitent donc pas forcément le recours à un avocat mais qui font gagner du temps aux particuliers ou professionnels. Demanderjustice.com, Fastarbitre (tribunal commercial arbitral), Kleros, litiges.fr, saisirprudhommes.com ou encore Voslitiges.com permettent eux aussi la résolution de litiges sur Internet.

Sécurité juridique renforcée

En pratique, certains avocats et directeurs juridiques sont encore frileux face à ces outils de justice prédictive quand d’autres sont en revanche convaincus de leur utilité. Selon Solën Guezille, avocate associée chez Squadra Avocats, membre du comité éthique et scientifique de justice prédictive, « il faut distinguer les contentieux récurrents et les contentieux complexes. Dans le premier cas, l’analyse d’une masse de décisions est nécessairement un bon indicateur des chances de succès et elle oriente de facto la stratégie. Dans le second cas, Predictice aide l’avocat à faire preuve d’ingéniosité juridique en analysant des décisions qui comportent des similitudes avec le dossier en cours », poursuit l’utilisatrice de Predictice. Tout dépend donc de l’enjeu du contentieux et de sa problématique. D’une manière générale, la justice prédictive soutient les avocats dans leur pratique et représente un filet de sécurité leur permettant de travailler plus vite et de se recentrer sur le cœur de leur métier : la stratégie juridique. « Tous les outils d’analyse de jurisprudence contribuent à apporter une certaine sécurité juridique puisqu’il est possible de comparer les décisions prises dans des cas similaires et en cela, il s’agit d’un gain de temps », ajoute l’avocate. Le bémol ? Pour Philippe Ginestié, associé du cabinet Ginestié Magellan Paley Vincent et fondateur de Gino Legaltech, « la justice prédictive est plus complexe à mettre en place en France qu’aux États-Unis par exemple, où le juge est unique, spécialisé et exerce plus longtemps au sein de la même chambre ». Avant de confirmer qu’elle fera peu à peu sa place dans l’environnement des professionnels du droit français.

« La justice prédictive est plus complexe à mettre en place en France qu’aux États-Unis, où le juge est unique, spécialisé et exerce plus longtemps au sein de la même chambre »

 

Vers une justice prédictive éthique

Face à toutes ces évolutions technologiques révolutionnant le monde du droit, les régulateurs sont attentifs. Le 4 décembre 2018 déjà, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) adoptait à Strasbourg la Charte éthique européenne d’utilisation de l’intelligence artificielle dans les systèmes judiciaires et leur environnement afin d’améliorer l’efficacité et la qualité du travail des tribunaux. En France, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) s’est quant à elle saisie des nombreux enjeux soulevés par la justice prédictive en publiant des recommandations relatives à son utilisation pour une justice prédictive éthique. Des enjeux sécuritaires que les legaltechs prennent à cœur : la charte éthique publiée par Predictice reprend certaines de ces préconisations et les avis des membres du comité éthique de la justice prédictive. « Nous sommes heureux d’avoir pu contribuer à la première version de cette charte et nous engageons à nous mettre en conformité dans les meilleurs délais », a déclaré Louis ­Larret-Chahine, cofondateur de la société.

« L’effet moutonnier »

Les universités, qui ont conscience de ces enjeux, commencent à former les futurs professionnels du droit à ces outils. Certaines dispensent même des diplômes universitaires « DU Justice prédictive et legaltech », à l’instar de celle de Nîmes depuis le début de l’année 2019. « L’intelligence artificielle va prendre une place grandissante dans tous les domaines et la justice n’est pas exclue. Il y a un désir louable de simplification des tâches administratives répétitives, de rapidité et de sécurité juridique. En cela, l’intelligence artificielle pourrait être un progrès et un vecteur de confiance, explique Solën Guézille. La crainte est toujours celle de l’effet performatif, l’effet moutonnier comme l’appelle Antoine Garapon, mais je suis assez optimiste sur la capacité des juristes à faire preuve d’inventivité pour faire évoluer et vivre notre droit. » En septembre dernier, la Cepej organisait à Riga une conférence intitulée « L’intelligence artificielle au service du pouvoir judiciaire ». L’occasion de présenter des exemples pratiques d’utilisation de l’IA dans d’autres pays européens mais aussi un moyen de présenter les robots non pas comme des remplaçants, mais comme des alliés des professionnels du droit.

Marine Calvo

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