Si les juristes craignent d’utiliser les outils de legaltech ce n’est pas uniquement à cause d’un manque de formation mais aussi en raison des fractures qui persistent depuis toujours au sein de la profession. À savoir les disparités existant dans les cabinets et les entreprises. Pour faire face à ces difficultés et gagner en légitimité, la legaltech a tout intérêt à miser sur l’union et faire de la France une terre de la tech pour la filière juridique.

"Autant l'union fait la force, autant la discorde expose à une prompte défaite", écrivait le célèbre Ésope. Un adage qui aujourd’hui encore raisonne avec véracité pour le secteur de la legaltech : les acteurs cherchent à la fois à se démarquer sur le marché face à leurs concurrents mais éprouvent le besoin de s’unir pour rendre leur force de frappe plus puissante en France et en Europe. La carte à jouer est évidente mais il reste difficile de s’organiser en pratique.

Disparités nationales et européennes

Et pour cause, la naissance d’une french legaltech n’est pas encore concrète du fait de la fracture numérique persistant dans le monde du droit : en y regardant de plus près, on se rend compte qu’il existe différents niveaux de disparité, qui ne sont pas du fait de la legaltech elle-même. Sur le plan national dans un premier temps, en raison de la multitude de modèles de cabinets constituant le marché de la prestation juridique : les structures de petite taille, les grands réseaux, les cabinets de niche ou encore les cabinets d’origine étrangère, anglo-saxonne ou américaine notamment. Et bien sûr le clivage Paris/province qui a encore la peau dure. Les acteurs de la legaltech en ont conscience, comme nous l’explique Fabrizio Papa Techera qui codirige la division qui leur est consacrée chez France Digitale : "La fracture numérique entre les cabinets d’avocats au niveau national est un enjeu. Nous intervenons ainsi en région, dans le cadre de conférences, afin de débattre sur les avantages et les inconvénients liés au numérique et de promouvoir la confiance que toute structure devra accorder à ces nouveaux outils. Lexbase incarne ce positionnement de marché en rendant accessible l’intelligence artificielle à des petites structures d’avocats en région via les abonnements mutualisés dans plus de 100 Barreaux, soit un équivalent de 27 000 utilisateurs avocats en région."

Un travail de longue haleine basé sur la méthode du pas-à-pas. Même constat du côté des entreprises, pour lesquelles la numérisation reste intrinsèquement liée à leur taille : les structures les plus importantes investiront ainsi dans des ensembles d’outils complets, tandis que celles de moyenne et petite taille opteront pour des solutions beaucoup plus basiques. Pour satisfaire la demande, l’offre de la legaltech se diversifie inévitablement sans réellement s’harmoniser (lire l'article sur la densité du marché).

Pour satisfaire la demande, l’offre des acteurs de la legaltech se diversifie de plus en plus sans réellement s’harmoniser.

Bien que les cabinets d’affaires ou les entreprises françaises ne soient pas en reste sur la scène européenne en matière de numérique face à leurs voisins, les Américains et les Anglo-Saxons mènent encore la danse. Leurs professionnels du droit bénéficient des outils les plus avancés qui soient sur le marché : "Les investissements R&D en IA réalisés par les éditeurs juridiques et les legaltech constituent aujourd’hui une barrière technologique (et financière), de sorte qu’il est difficile pour un cabinet d’avocat de développer des outils "maison" aussi compétitifs, y compris pour une grosse structure anglo-saxone. En revanche, il peut y avoir des partenariats fructueux. D’ailleurs notre positionnement est d’offrir les mêmes outils dotés d’une IA de point aux deux types de structures, via des abonnements en direct sur Paris en fonction de la taille de la structure et via des abonnements mutualisés et très abordables en région via les Barreaux", explique Fabrizio Papa Techera.

Alliance intra-européenne sur les rails

La solution pour limiter la fracture numérique ? Miser sur la legaltech française pour faire émerger un géant tricolore regroupant les solutions les plus performantes et les plus accessibles du marché, capable de s’adapter au plus grand nombre de juristes. L’exemple anglo-saxon Lawtech UK est sans nul doute le plus parlant, comme évoqué par Denis Musson, special counsel chez Imerys : "Il s’agit d’une initiative de collaboration entre Tech Nation, le Lawtech Delivery Panel et le ministère de la Justice anglais visant à soutenir la transformation numérique du secteur juridique britannique." Côté français, plusieurs sujets communs de développement entre acteurs de la legaltech, notamment ceux portant sur l’IA et l’open data des décisions de justice, émergent et devraient permettre de créer davantage de cohésion au sein du secteur. "L’open data est un incroyable accélérateur qui tarde à venir. Avec l’entrée en vigueur de la loi du numérique en 2016, tout le monde imaginait que le temps de la numérisation viendrait plus rapidement, mais le temps des start-up n’est pas celui de la législation", regrette cependant Philippe Laurence, responsable des affaires publique chez Doctrine.

"Nous devons encore prouver que nos solutions sont suffisamment fiables, fortes et validées par les utilisateurs, pour créer une alliance infra-européenne"

Ce qui ne n’empêche pas les initiatives de se développer chaque jour. Récemment, Legal Suite a annoncé son partenariat avec Juridy, afin de proposer du legal design à ses clients. Sans oublier le groupe Legaltech, au sein de France Digitale, qui rassemble des entreprises qui utilisent les nouvelles technologies pour proposer des solutions aux professionnels du droit et aux justiciables. Depuis sa création, elle a accueilli une dizaine de nouvelles start-up et en compte au total plus d’une trentaine, parmi lesquelles Call A Lawyer, Data Legal Drive, Doctrine, Gino LegalTech, Hyperlex, Jarvis, JuriPredis ou encore Lexbase pour n’en citer que quelques-unes. Son objectif ? Renforcer les échanges avec les pouvoirs publics en représentant le secteur de la legaltech et ses enjeux devant les autorités publiques, notamment en intervenant dans le cadre des débats portant sur le sujet ou encore en apportant des contributions adressées aux institutions européennes. Dans la même veine, l’association Avotech, portée par son président Mathieu Davy, est la première association d’avocats créateurs de legaltech en France, qui se revendique comme un véritable do tank ou un club d’action entrepreneurial. "Une des vocations premières d’Avotech consiste à créer une alliance des legaltechs du marché. Pour cela, nous devons encore prouver que nos solutions sont suffisamment fiables, fortes et validées par nos utilisateurs. À terme, une alliance intra-européenne pourrait voir le jour", projette Mattieu Davy


Affronter le dumping américain en Europe

La création d’un géant français de la legaltech permettrait dans le même temps de mieux lutter contre le dumping américain sur le marché européen, cette pratique commerciale illégale qui consiste à vendre des solutions sur des marchés extérieurs à des prix inférieurs à ceux du marché national, ou même inférieurs au prix de revient. Mathieu Davy confirme : "L’Europe doit se doter de champions de la legaltech, capables de rivaliser avec les acteurs américains, principaux concurrents sur ce terrain-là. D’où la volonté des start-up du droit françaises de s’unir pour créer une seule et unique french legaltech." D’autant plus qu’un certain chauvinisme persiste du côté des utilisateurs, qui préfèrent privilégier les solutions françaises plutôt que des solutions étrangères. "Certains acteurs, grâce à leur fort potentiel de développement, vont devenir des “big” de la legaltech, aussi bien sur le plan national que sur le plan européen. Ils ne seront pas forcément en concurrence avec les solutions du marché américain, qui peine à sortir de leurs frontières, notamment en matière juridique".  poursuit Mathieu Davy. La voie reste libre pour que la legaltech déploie son potentiel.

Marine Calvo

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