Contrairement à certaines idées reçues, les grèves et le temps qui passe favorisent le gouvernement qui pourrait bien faire adopter l’essentiel de son projet de réforme, notamment la suppression des régimes spéciaux.

Face à un mouvement social, les gouvernements disposent traditionnellement de trois solutions : passer en force, faire machine arrière en tentant, si possible de sauver la face ou modifier le projet de loi. Sur la réforme des retraites, le gouvernement Philippe est dans une situation inédite. De fait, les mobilisations ont lieu contre… un texte qui, pour le moment, n’a pas été présenté. Jean-Christophe Lagarde, député de Seine-Saint Denis et président du groupe UDI Agir les constructifs est dans le vrai lorsqu’il pointe « l’irrationalité » d’un « conflit social majeur sur des idées fausses, sur des arguments faux, portant sur un texte qui n’existe pas ».

Mais d’une certaine manière, cette irrationalité pourrait permettre au gouvernement de réussir sa réforme qui, rappelons-le, figurait noir sur blanc dans le programme d’Emmanuel Macron en 2017. Dans un discours prononcé vendredi dans l’après-midi, le premier ministre Édouard Philippe a annoncé qu’il rendrait public le projet de son gouvernement mercredi 11 décembre à midi.

Et il semble qu’il ne soit pas disposé à céder aux grévistes de la SNCF et de la RATP sur les régimes spéciaux. S’ils restent le principal motif des blocages dans les transports publics, l’exécutif est conscient que 61% des Français souhaitent les voir disparaître (sondage Ifop du 5 décembre 2019). Il y a fort à parier que plus les trains et les métros resteront à quai, plus l’opinion publique, prise en otage se rangera du côté de l’exécutif. Ou du moins, se détachera des syndicats. En restant droit dans ses bottes sur la question, le gouvernement joue sur du velours : il conforte son image réformiste, discrédite certains syndicats qui, par leur refus du dialogue et leur attitude jusqu’au boutiste, risquent de perdre gros dans l’affaire.

Si les syndicats les plus radicaux s'avèrent incapables de défendre une question qui, pour eux, est vitale, ils risquent de voir les salariés continuer à se détacher d’eux, tout en rendant leur base encore plus virulente. Point important, ces syndicats focalisés sur la préservation de certains intérêts particuliers, défendent leurs intérêts corporatistes plus que l’intérêt général. D’une certaine manière, ils dévoient le rôle d’un syndicat, par définition au service de tous.

"En se montrant inflexible sur la question des régimes spéciaux, le gouvernement peut revenir sur certains points... et garder son image réformiste".

En se montrant inflexible sur la question des régimes spéciaux, le gouvernement peut, de son côté, négocier sur d’autres points. Dès lundi, le haut-commissaire aux retraites Jean-Paul Delevoye et la ministre de la Santé et des Solidarités, Agnès Buzyn, recevront tous les partenaires sociaux. Selon la ministre les discussions porteront sur « l’âge d’application, l’âge de bascule, quelle génération serait concernée ». Des questions qui, légitimement préoccupent tous les citoyens qu’ils soient retraités, en âge de travailler ou trop jeunes pour faire partie de la population active. Si des réajustements par rapport au projet initial ont lieu sur certains points, le gouvernement pourra tout de même se réjouir. Après tout, est-il techniquement possible de reculer sur un texte… qui n’a pas encore été rendu public ?

Pour Emmanuel Macron, il se pourrait peut-être bien que cette grève soit une bonne chose…

Lucas Jakubowicz.

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