Ayant peu à peu fait leur place sur le marché du droit, les jeunes pousses de la legaltech ont bouleversé des codes bien établis de la sphère juridique. Alors que certains juristes s’accoutument tout juste à cette évolution, d’autres y voient l’occasion de transformer aussi bien leur façon d’exercer le droit que son application en entreprise.

"Le numérique, c’est comme l’écologie : ce n’est plus une idée, mais un sujet transversal", constate sans détour l’avocat Mathieu Davy, président de l’association Avotech qui réunit ses consœurs et confrères créateurs de start-up du droit. C’est par le déploiement d’outils nouveaux que la transformation numérique s’instaurera au sein des cabinets d’avocats et des directions juridiques. Et les juristes, même s’ils ne sont ni technophiles ni perçus comme tels, ne peuvent plus ignorer, se moquer ou, pire, mépriser cette réalité.

Sortir de sa zone de confort

Lorsque l’occasion est donnée aux potentiels utilisateurs de solutions numériques de s’exprimer, ils pointent du doigt non pas la legaltech, mais les conservateurs rétifs au changement. Une partie des juristes se montrent en effet méfiants à l’égard du numérique, comme en témoigne Denis Mignan, general counsel chez Hachette Illustrés, qui a fait face à cette incompréhension : "Alors que je menais des recherches sur les offres disponibles sur le marché, certains étaient étonnés de l’ampleur que cela pouvait prendre. C’est pourtant essentiel dans ma fonction de directeur juridique." Pourtant, dans une société comme Philip Morris par exemple, des logiciels de gestion de contrats sont utilisés sur le plan mondial, "de la génération automatique jusqu’à la e-signature, explique Aude Vandenbroucque, legal counsel chez l’industriel. Cela ne nous empêche pas de chercher à encore améliorer notre pratique en France par l’identification d’outils qui nous sont propres." Parfois, peu de choses suffisent pour changer les mentalités : "Il y a encore quelques années, le pôle juridique n’était équipé d’aucun outil, témoigne Thierry Vidal, le directeur du contract management de Naval Group. Mais un nouveau directeur général est arrivé l’année dernière avec un plan sur cinq ans qui prône notamment la transformation du groupe par l'IA, les plateformes de données et les technologies numériques." De plus en plus répandues, les solutions proposées par la legaltech trouvent preneurs au sein de l’entreprise. "Le logiciel de FAQ (foire aux questions) que la direction juridique a été la première à utiliser s’est ensuite étendu à toute la société", poursuit Aude Vandenbroucque. Les juristes, en s’appuyant sur les nouveaux outils numériques mis à leur disposition, transforment les pratiques et les usages.

Quant aux avocats, il ne suffit pas de leur faire miroiter "l’agilité" des solutions numériques pour qu’ils y adhèrent et délaissent leurs pratiques traditionnelles. Pour ceux qui exercent à titre individuel – ils étaient 36 % au début de l’année 2020 selon le Conseil national des barreaux –, rechercher la solution adaptée, la tester puis l’intégrer sont autant d’étapes qui représentent un investissement en temps et en argent reposant sur leurs seules épaules. À cela s’ajoute le constat selon lequel une partie de la profession colle à l’image réductrice que l’opinion publique se fait des avocats : ils sont réfractaires au changement, en particulier lorsqu’il est technologique. Mais rester dans sa zone de confort n’est pas une solution. Raison pour laquelle bien des robes noires se sont défait de ces préjugés datés et ont accueilli à bras ouverts le numérique dans leur pratique du droit. En témoigne la création d’un grand nombre d’incubateurs dont certains, comme celui du barreau de Rennes, sont indépendants de l’ordre afin de se tenir éloignés de tout engagement politique lié au bâtonnier. Certains avocats sont même des pionniers de l’entrepreneuriat numérique, un mouvement qui prend de l’ampleur notamment sous l’impulsion de l’association Avotech créée dans le but de réunir ceux s’étant lancés dans la création d’entreprise de legaltech afin "de façonner le marché du droit de demain."

Peur de quoi ?

Un climat général de méfiance est palpable chez les potentiels utilisateurs des services de la legaltech. Les juristes sont en effet déroutés par la technicité et le fonctionnement des solutions proposées lesquelles sont souvent basées sur des technologies complexes. Habitués à appréhender les moindres détails et les moindres failles des règles de droit, ils sont sur la défensive face à une matière qu’ils ne maîtrisent pas et qui leur est étrangère. Par ailleurs, le potentiel empiétement des outils numériques sur le domaine de compétences de la communauté juridique suscite également de son inquiétude. Pour Thierry Vidal, "les professionnels du droit restent très attachés à leur savoir-faire puisque celui-ci constitue leur plus-value." Ils ne sont donc pas prêts à le partager alors que la cocréation entre juristes et legaltechers constitue la base de la pertinence d’une solution.

L’une des réponses à ces craintes réside, pour la legaltech française, "dans l'affirmation d’une éthique destinée à rassurer les acteurs traditionnels et à établir une relation de confiance avec le monde du droit", estime Philippe Laurence, coanimateur du groupe legaltech de France Digitale. De leur propre chef, des institutions et des associations comme le Conseil supérieur du notariat, le Comité éthique et scientifique de la justice prédictive ou même la Commission européenne multiplient les chartes éthiques. Le ministère de la Justice a, de son côté, créé la certification Certilis pour les services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage. Dans le but de rassurer sa clientèle, la legaltech a aussi fait appel aux professionnels du droit. Selon une étude menée par France Digitale, 82 % des entreprises du secteur comptent au moins un avocat au capital et au moins l’un des dirigeants est avocat dans 41 % d’entre elles. Quoi de mieux qu’un juriste pour convaincre un autre juriste ? Les enjeux en présence sont grands pour les legaltechers qui souhaitent se développer dans l’écosystème fermé du droit, mais ils le sont tout autant pour les praticiens. Ils ont tout intérêt à abandonner leurs préjugés car, comme l’atteste Denis Mignan, "demain est aujourd’hui, les outils numériques seront bientôt répandus et massivement utilisés par les juristes. Ceux qui n’auront pas passé le cap de la méfiance envers ces innovations se retrouveront avec un handicap."

Une évolution déjà en marche

Puisque l’utilisation de solutions numériques est en passe de devenir une partie intégrante de la pratique du droit, c’est aussi sur la future génération de juristes qu’il faut miser. Ce sont les étudiants qui, dans quelques années, feront face à la numérisation de leur profession. Quelques universités s’avèrent précurseurs en la matière et offrent déjà des formations consacrées à la legaltech : la faculté de Montpellier dispose d’un DU legal tech and law innovations et celle de Paris 2 Panthéon-Assas d’un DU Transformation numérique du droit et legaltech. Uniquement complémentaire pour l’instant, ce type d’enseignement devrait être généralisé et dispensé bien plus tôt dans le parcours des étudiants, afin de les familiariser à l’innovation dans le milieu du droit. Selon Laëtitia Le Metayer, également cofondatrice de l’incubateur du barreau de Rennes, "l’innovation n’est pas forcément technologique, elle peut être dans le relationnel ou l’organisation. Il ne faut pas toujours répondre à un problème par un outil numérique." Les juristes ont déjà prouvé leur capacité à innover, les usages de la profession changent : par exemple, l’interprofessionnalité fait peu à peu sa place dans les structures de conseil alors que les installations de "cabinets vitrines" se multiplient. L’entreprise n’est pas en reste dans la mutation de la fonction juridique : l’apparition de nouveaux métiers comme celui de legal operations officer confirme qu’une évolution, incluant la transformation numérique et les soft skills, est déjà en marche. Cet élan doit emporter l’ensemble de la filière juridique.

Léna Fernandes

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