De 3 milliards d’euros en 1984 à 77 milliards en 2014. La recherche est le troisième poste de dépense de l’UE. Pour aller encore plus loin, la Commission souhaite dépenser plus et orchestrer les synergies entre acteurs publics et privés.

En 2000, les quinze pays membres de l’Union européenne lancent la stratégie de Lisbonne. l'objectif est ambitieux  : créer une ­économie de la connaissance en consacrant 3 % de leur PIB à la recherche à l’horizon 2010. Un cap ambitieux qui n’a pas été franchi. Mais le budget communautaire consacré à la recherche est en constante augmentation. Il passe de 16,3 milliards d’euros au début des années 2000 à plus de 77 aujourd’hui.

Cet investissement a permis à l’UE d’acquérir le rang de puissance scientifique de premier ordre. Les programmes de recherche ­européens ou les financements individuels, à l’image de la bourse Marie Skłodowska-Curie, ont donné lieu à des découvertes majeures et ont obtenu plusieurs dizaines de récompenses prestigieuses. L’année dernière, le prix Nobel de physique était décerné à Gérard Mourou, professeur à l’École polytechnique, et coordinateur d’un programme de recherche européen sur les lasers. L’UE est désormais responsable du tiers de la production scientifique et technologique mondiale. Pourtant, la priorité n’est plus seulement d’augmenter les fonds alloués à la recherche, mais aussi de traduire ces résultats scientifiques en innovations commerciales.

GPS vs Galileo

Qui se souvient de Quaero ? Le « Google européen » lancé par la France, puis financé par l’UE, s’est arrêté fin 2013, sans jamais avoir fait d’ombre au moteur de recherche américain. Cet échec est emblématique des difficultés de l’Europe à participer à la course à ­l’innovation. C’est particulièrement le cas dans le numérique. En dépit de son engagement financier, l’UE ne compte, au tournant des années 2010, qu’un seul grand éditeur de logiciels dans le top 10 mondial, tandis que les États-Unis dominent sans partage le classement des éditeurs et des géants de l’Internet. Le Vieux Continent pourrait devenir encore plus ­marginal face à la puissance montante de la Chine. Depuis 2015, la part du PIB investie dans la recherche par l’empire du Milieu dépasse celle de l’UE.

Galileo fait jeu égal avec le GPS américain

Les raisons de ce retard ont été bien analysées. « L’UE est freinée par la­­ ­fragmentation de son marché, ainsi que par le manque d’accès au ­financement », analyse Willem ­Jonker, PDG de l’Institut européen de l’innovation et de la ­technologie dédié au numérique. Et lorsque les membres de l’UE ­s’accordent sur un thème de recherche commun, l’obligation du « juste retour » économique est susceptible de freiner la rentabilité du projet.

Malgré ces embûches, plusieurs grands ­programmes industriels ont été des succès. C’est le cas de Galileo, le ­système de positionnement par satellite lancé en 2004 pour concurrencer le GPS américain. Après de nombreux retards et problèmes techniques, il est opérationnel depuis 2016 et comptait, en 2018, plus de 500 millions de clients. Ce programme illustre la nécessité pour l’UE de passer par une phase de construction d’un écosystème innovant. « On pense souvent que l’innovation, notamment dans le numérique, doit aller vite. Mais le développement des infrastructures est nécessaire au préalable, et cela peut prendre du temps et coûter de l’argent », souligne Willem Jonker. Ce sont sur ces infrastructures que doivent désormais se bâtir les succès économiques de demain.

Cap sur l'innovation

Les EIT ont longtemps été les seuls à assurer les missions en faveur de l’innovation au niveau européen. Incubateurs capables d’attirer à eux les entreprises, les start-up et les universités, ils sont également des lieux de formation et de ­financement. L’EIT Digital a ainsi contribué à faire émerger quelques pépites du secteur numérique, comme MatchX, une start-up spécialisée dans l’Internet des objets. Son ­fondateur, Xin Hu, est passé par l’EIT Digital Master School avant de monter la start-up en 2017.

Bien décidée à ne pas se laisser ­distancer, l’UE est passée à la vitesse supérieure. Les premières pistes d’évolution émergent dès 2017. Un rapport rendu par ­Pascal Lamy, missionné par la Commission européenne pour réfléchir sur le moyen de « maximiser » ses efforts de recherche, préconise d’augmenter le budget dédié à la recherche mais met surtout ­l’accent sur la nécessité de structurer la politique européenne en ­soutenant les écosystèmes inventifs, en privilégiant les innovations de rupture et en créant des synergies entre les différents instruments de financement. De plus, le rapport propose de­ ­renforcer la formation des étudiants et des chercheurs à l’entrepreneuriat.

Il propose enfin de fixer des ­ « missions », des projets ambitieux portant sur un secteur précis avec un fort potentiel d’innovation technique comme sociale. Elles peuvent par exemple consister à produire un acier zéro carbone ou viser la guérison des trois quarts des patients atteints d’un cancer. L’idée est de se calquer sur l’approche de la Darpa, l’agence publique américaine, focalisée sur les innovations de rupture, qui a participé à la création d’Internet ou de la voiture autonome.

Cent milliards d’euros pour la recherche

En 2018, le commissaire à la recherche Carlos Moedas reprend la proposition du rapport de Pascal Lamy de créer un Conseil de ­l’innovation européenne. Ce guichet unique doit contribuer à repérer les projets les plus intéressants. La proposition reçoit un soutien inattendu lorsque le président Macron se déclare en faveur d’une Darpa européenne, lors de son discours sur l’Europe prononcé à la ­Sorbonne en 2017.

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Mi-2018, la Commission européenne publie ses recommandations à destination des États sur le programme Horizon Europe. L’ambition en matière de recherche et d’innovation est forte, puisqu’elle préconise de porter le budget à 100 milliards d’euros. Cette hausse est d’autant plus importante qu’elle prend en compte le retrait du Royaume-Uni de l’UE. Londres participe à hauteur de 10 milliards d’euros à l’actuel programme. En parallèle, la Commission s’empare de plusieurs propositions du rapport Lamy. Elle reprend celle de fixer des « missions » aux innovateurs. « Si vous dites que vous allez travailler à une cartographie du cerveau, cela parle moins au grand public que si vous proposez un programme visant à soigner la maladie d’Alzheimer », explique alors Carlos Moedas.

IA : l’union sacrée

Le soutien à des projets de recherche facilement identifiables va permettre à l’UE d’être en pointe sur les grands sujets scientifiques d’avenir. C’est notamment le cas de l’intelligence artificielle, pour laquelle l’UE a lancé un plan stratégique. « Il repose sur trois piliers : renforcer les capacités ­technologiques et ­industrielles de l’Europe en IA, anticiper les changements sur le marché du travail grâce à l’éducation et la formation et assurer un cadre éthique et juridique approprié », développe la Commissaire européenne à l’économie et à la société numérique Mariya Gabriel. Avec une augmentation substantielle des fonds destinés aux projets d’IA, l’UE démontre sa compréhension des enjeux technologiques et économiques ­d’aujourd’hui et de demain.

Florent Detroy

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