Le député LREM Raphaël Gauvain a débattu, sur invitation de l’École de formation des barreaux, avec les représentants des juristes d’entreprise (AFJE et Cercle Montesquieu) et des avocats (Ordre des avocats de Paris et EFB). Une discussion sans langue de bois qui a révélé aussi bien le consensus sur la nécessaire adoption de la confidentialité des avis des juristes que les points de désaccord qui cristallisent le sujet depuis des dizaines d’années.

Le rapport Gauvain remis à Édouard Philippe le 26 juin dernier relance politiquement ce à quoi les juristes n’ont jamais renoncé : trouver le moyen pour que les entreprises françaises soient juridiquement protégées. Protégées contre quoi ? Contre les poursuites par des autorités étrangères pour faits de corruption d’agents publics étrangers ou pour non-respect des sanctions diplomatiques, contre la saisie des notes juridiques au sein de l’entreprise et l’utilisation de ces preuves contre elles. Pour « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale » - du nom du rapport -, le député Raphaël Gauvain propose neuf recommandations, dont trois font l’objet de toute l’attention des juristes et avocats.

Serpent de mer

La première est le legal privilege, le serpent de mer de la profession de juriste en entreprise. « Tant que nous nous déchirerons sur ce sujet, les autorités étrangères continueront à profiter de la situation », lance quelqu’un dans le public, interpellant Raphaël Gauvain, qui propose bien de protéger les avis juridiques des entreprises mais sans réellement dessiner les contours de cette protection. « Le problème est la mise en œuvre de cette réforme », concède le député et avocat depuis 2001. La raison : la difficile définition de l’avis juridique. « En renforçant la protection des échanges juridiques de l’entreprise, on affaiblit les pouvoirs des forces d’enquête. C’est la raison pour laquelle ce legal privilege doit être adapté à notre système, à la française, et lié à la création d’un nouveau droit de la preuve, explique l’auteur du rapport. En cas de contestation de la perquisition, c’est le juge qui tranchera, sûrement le JLD », poursuit-il. Comme c’est déjà le cas en cas de perquisition litigieuse dans un cabinet d’avocats.

Ensuite, « À qui confier ce legal privilege ? », questionne Raphaël Gauvain. Pour lui, deux options : soit à tous les juristes, mais cela risque de créer une nouvelle profession de conseils en entreprise et de cantonner les avocats au rôle de plaideur. Soit à ceux qui ont le statut d’avocat en entreprise. Comment ? « C’est l’entreprise qui décide à qui elle confie ce statut », poursuit le député. Une deuxième mesure qui ne pouvait laisser Marc Mossé de marbre. Le président de l’Association française des juristes d’entreprise refuse « d’entrer sur le terrain d’une discrimination entre les juristes au sein d’une même équipe. » C’est donc un non ferme et définitif du côté de l’association qui représente les 17 000 juristes de France. Quant à l’idée de confier ce legal privilege à l’ensemble des juristes, c’est justement ici que réside le point de blocage avec les avocats depuis des dizaines d’années maintenant. Schématiquement, les Parisiens se disent favorables, tandis qu’en région, ceux qui ne travaillent pas aux côtés des entreprises y sont farouchement opposés. « Depuis le 1er janvier 2018, toutes les institutions représentatives des avocats font front commun sur tous les sujets… excepté un », concède la bâtonnière de Paris Marie-Aimée Peyron, faisant référence à l’avocat en entreprise.

En résumé, le rapport Gauvain ne fait que remettre de l’huile sur le feu d’un débat sans fin mêlant considérations macroéconomiques et points de détails juridiques. Les discussions tournent autour de l’indépendance, de la déontologie, des dangers de l’extra territorialité et du droit comparé en matière de protection des avis juridiques. Rien ne semble résolu, tous étant d’accord sur le constat mais la discorde persiste sur les modalités.

Plus de consensus

Le député a récolté un peu plus de consensus sur deux autres propositions en faveur de la protection des entreprises françaises face à l’extraterritorialité des poursuites judiciaires : réécrire la loi de blocage de 1968 et adopter des mesures anti Cloud Act.

La première mesure s’attache à rendre efficace ce qui existe déjà mais qui n’est pas utilisé. La loi de blocage interdit aux entreprises françaises de coopérer avec des autorités de poursuites étrangères et les oblige à passer par les mécanismes de la coopération internationale au pénal et au civil. Jamais mise en œuvre, elle passerait dorénavant par une déclaration et un suivi de Bercy. La seconde mesure vise à s’opposer à la nouvelle réglementation américaine qui permet aux autorités outre-Atlantique d’exiger des Gafa la communication des pièces relatives aux entreprises soupçonnées de violation des lois en vigueur aux États-Unis. Ce Cloud Act adopté en mars 2019 pourrait être renversé par un conflit de loi grâce à l’adoption d’une réglementation française ou européenne interdisant à ces mêmes Gafa de communiquer les preuves qu’ils détiennent sous peine de sanction administrative équivalente à 4 % de leur chiffre d’affaires mondial.

Rien n’indique pour le moment que ces points seront inscrits dans une future loi Gauvain, même si Édouard Philippe a indiqué qu’il travaillerait à ces questions. Le Cercle Montesquieu et l’Association française des juristes d’entreprise seront assurément les premiers à suivre ce dossier et à encourager la poursuite des travaux législatifs.

Pascale D’Amore

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