La mort tragique de George Floyd continue de bouleverser le monde et la mobilisation globale qui s’ensuit provoque déjà de profonds changements politiques et économiques.

"Tu as changé le monde George". C’est par ces mots que le leader américain des droits civiques, Al Sharpton, a rendu hommage le 4 juin dernier, à la mémoire de George Floyd, cet afro-américain de 46 ans mort le lundi 25 mai à Minneapolis suite à son immobilisation de 8 minutes et 46 secondes par le policier Dereck Chauvin lequel a été depuis inculpé de « meurtre non prémédité ». Une mort qui a suscité une émotion mondiale et ravivé le mouvement Black Lives Matter (les vies des noirs comptent) né en 2014 suite à la mort, déjà, de deux afro-américains par la police.

Mais au-delà du débat (légitime) sur les violences policières, c’est bien la question du racisme dans sa globalité dont il convient de s’emparer et vérifier si le monde a, va ou doit changer comme l’escomptent les minorités sujettes aux discriminations. Les puissantes manifestations antiracistes qui ont essaimé (surtout en Occident, convenons-en), ne doivent pas conduire à une uniformisation du diagnostic et des réponses à apporter.

Aussi, si l’on se borne pour le moment à un comparatif entres les situations américaines et françaises, l’émotion suscitée de part et d’autre de l’Atlantique a parfois conduit à des raccourcis saisissants. Confondre ou réunir deux histoires politiques et deux systèmes démocratiques aussi différents que ceux des Etats-Unis et de la France est à proprement parlé sidérant.

Aux Etats-Unis, un racisme systémique

Aussi, il est des évidences qu’il convient de rappeler. Comme l’écrivait L’Express, le 2 juin dernier, "la Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, a déclaré ce mardi que l'affaire George Floyd mettait en évidence les "discriminations raciales endémiques" aux Etats-Unis". Endémique, mais aussi systémique pour reprendre le mot de l’élue démocrate afro-américaine Val Demings, présentée avec de plus en plus d’insistance, comme la futur vice-présidente de Joe Biden. Cette ancienne chef de la police d’Orlando l’a martelé sur la chaine CBS dimanche dernier :  "Nous savons que nous luttons contre 400 ans de racisme systémique dans le pays".

Avec une histoire de l’esclavage aux Etats-Unis débutant selon les spécialistes en 1619 (un an avant l’arrivée du Mayflower) et une abolition qui n’est advenu qu’à la fin de la guerre de sécession en 1865, a suivi la période de la ségrégation qui ne prit fin qu’en 1965 sous l’impulsion du mouvement des droits civiques. Pire, si cette ségrégation a effectivement pris fin dans les textes de lois, elle demeure prégnante au niveau social. Ainsi, au début des années 2000, le Civil Rights Project de l'université Harvard, constatait que la proportion d'élèves noirs dans des écoles majoritairement blanches est "à un niveau plus bas que celui de n'importe quelle année depuis 1968", les sociologues parlant même "d’apartheid virtuel" !

Des sociologues évoquent le terme d'apartheid virtuel

La récente pandémie du Covid-19 a aussi tristement permis de mettre au jour la persistance de cette ségrégation sociale et raciale. Ainsi, à Chicago ou à la Nouvelle-Orléans, les Noirs représentent environ 70% des morts du Covid-19 alors qu'ils ne comptent que pour moins d'un tiers de la population.

Macron fustige "une trahison de l’universalisme républicain"

Ce court rappel historique de la situation américaine ne doit pas exonérer la France de ses responsabilités et l’Hexagone peut et doit regarder en face certains pans tragiques de son histoire. Mais contrairement aux Etats-Unis, qualifier de systémique le racisme dont souffrirait notre pays n’aboutit qu’à des analyses stériles qui tendent une situation sociale ne demandant qu’à s’embraser.

Dans un souci d’apaisement, Emmanuel Macron, en fustigeant mercredi 10 juin en Conseil des ministres "le racisme et la discrimination, ce fléau qui est une trahison de l’universalisme républicain » et "une maladie qui touche toute la société", ainsi que l’a rapporté la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye, s’inscrit en droite ligne de ses prédécesseurs et réinscrit une nouvelle fois la tradition républicaine du refus des idéologies mortifères.

Mais si le politique joue son rôle (le ministre chargé de la Ville et du Logement Julien Denormandie, devrait à ce titre présenter prochainement un plan de lutte contre les discriminations), le monde économique et donc les entreprises, se doivent de saisir à bras le corps ce fléau du racisme.

La lettre du PDG d’IBM

Aux Etats-Unis, l’onde de choc provoquée par la mort de George Floyd a également bouleversé le secteur économique. Mercredi, par exemple, Adidas a promis de recruter "des Noirs et des Latinos à hauteur de 30 %" sur le territoire américain pendant que le PDG d’IBM, Arvind Krishna, dans une lettre adressée au Congrès, annonçait que son entreprise "renonçait à développer la technologie de reconnaissance faciale craignant que son utilisation pour promouvoir la discrimination et l’injustice raciale". Ces exemples entrepreneuriaux sont légion outre-Atlantique et devraient gagner la France d’ici peu en dépit d’une législation différente qui interdit par exemple, l’usage des statistiques ethniques.

Le coût de la discrimination

Mais le gouvernement semble vouloir évoluer sur cette question. En témoigne la publication sous son égide, d’une vaste étude conduite par des universitaires résultant d’une première vague de testing de 40 entreprises du SBF 120 portant sur la discrimination à l'adresse et sur l'origine. Et comme avait prévenu Emmanuel Macron en octobre 2017, "Je veux que nous rendions publiques les entreprises les plus délinquantes en la matière" un "Name and Shame" assumé qui a donc visé sept sociétés : Accor Hotel, Air France, Altran technologies, Arkema, Renault, Rexel et Sopra Steria, autant d’entreprises qui ont contesté la méthodologie de l’enquête tout en acceptant de travailler aux côtés du ministère du Travail afin de pallier leurs manquements.

C’est une même prise de conscience, salutaire, qui a agité le secteur des agences immobilières l’an passé après leur mise en cause suite à un testing conduit par SOS Racisme. Un testing qui avait révélé que 51 % des agences franciliennes contactées avaient enfreint la loi en acceptant, si un propriétaire leur faisait la demande, de discriminer les locataires. Des groupes immobiliers impliqués dans ces discriminations, tels que Orpi, Laforet ou Guy Hoquet, avaient même remercié l’association pour leur enquête et pris des engagements forts pour remédier à ces manquements à la loi.

Preuve s’il en était besoin qu’avec les entreprises, un savant mélange de sensibilisation de coercition et de responsabilisation peut porter ses fruits. Sans cynisme mais avec pragmatisme, rappelons aussi qu’en 2016, un rapport de France Stratégie évaluait le coût des discriminations à 7% du PIB, soit 150 milliards d’euros. Une façon de démontrer qu’au final, le racisme et les discriminations se payent toujours, une bonne leçon politique et …économique !

Sébastien Petitot

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