Active dans le non-coté depuis 2003, la Caisse des dépôts réalise une vingtaine d’investissements par an, en equity comme en dette, dans un large spectre de fonds. Raphaëlle Koetschet, responsable du private equity, détaille l’intervention de l’institution financière publique.

Décideurs. Quelle est la politique d’investissement de la CDC en private equity ?

Raphaëlle Koetschet. L’investissement dans le non-coté représente 8 milliards d’euros d’engagements et 2 % du portefeuille de placements financiers de 200 milliards d’euros de la CDC en termes de valeur liquidative. Les montants proviennent des dépôts des livrets d’épargne des Français, placés dans des fonds européens, et des dépôts des notaires, dont l’investissement est géographiquement plus diversifié. Si l’Europe demeure notre terrain d’activité principal, nous restons actifs aux États-Unis, dans des fonds globaux qui concèdent également une exposition aux pays émergents. Au total, nous réalisons une vingtaine d’investissements par an. L’idée consiste à cartographier le marché, sourcer et sélectionner les meilleurs gérants avec des focus établis. Au sein d’un groupe stable et pérenne comme la CDC, nous pouvons être un investisseur agile avec une capacité d’exécution en rapport.

En quoi votre action se distingue-t-elle de celle de Bpifrance ?

La stratégie de la Caisse des dépôts a une dimension internationale alors que l’action de Bpifrance relève davantage du territoire français. Nos métiers sont complémentaires et notre action en non-coté s’arrête là où commence celle de Bpifrance, très active pour faire émerger de plus petites sociétés de gestion. La CDC prend moins de risques et mise sur des équipes établies. Si nous sommes très peu actifs sur les first-time funds, nous regardons plutôt des fonds de troisième ou quatrième génération. Notre mission consiste à délivrer des performances pour financer les actifs d’intérêt général de la CDC, et ce, de façon responsable.

"Notre action en non-coté s’arrête là où commence celle de Bpifrance"

Quel bilan dressez-vous de l’année écoulée ?

Il n’y a pas eu de « stop and go ». Nous avons continué à sourcer les opportunités et à investir puisque nos allocations ont été confirmées par la gouvernance et même renforcées pour participer aux efforts de relance. En termes de déploiement, 2020 représente une année record. Nous avons recherché des fonds spécialisés dans des secteurs résilients afin de naviguer prudemment dans un environnement de valorisations élevées. Avant la pandémie, le marché était en haut de cycle, donc nous avions déjà amorcé un renforcement du portefeuille en santé et tech dans le growth. Le segment du lower-mid et mid-market, en opposition à des fonds plus large-cap, a été privilégié, car il offre un alpha plus élevé et donc la perspective de meilleures performances si la sélection a été bien réalisée. En matière de suivi de portefeuille, l’année s’est avérée également active, puisque nous suivons 250 fonds avec lesquels nous avons beaucoup communiqué. En complément, la CDC a répondu présente aux initiatives de place aux côtés de la Fédération française de l’assurance dans les projets de fonds de relance, en jouant son rôle d’investisseur de référence dans le non-coté.

Vous avez également commencé à mener des co-investissements. Pourquoi ce choix ?

Nous avons effectivement démarré un programme de co-investissement et réalisé nos premières opérations sur des cibles résilientes avec des GPs que nous connaissons bien. Co-investir permet de nous renforcer de façon ciblée sur plusieurs secteurs ou géographies et d’aller plus loin dans une relation de partenariat avec des GPs. Notre métier de sélection de gérants s’en trouve amélioré, car nous les voyons à l’œuvre et avons notamment accès à leurs mémorandums d’investissement. Cela permet d’échanger avec eux de façon plus précise pendant toute la durée d’investissement. Par ailleurs, les co-investissements bénéficient de termes financiers plus intéressants et réduisent nos frais, même si ce n’est pas ce que nous cherchons avant tout.

"Co-investir permet de nous renforcer de façon ciblée sur plusieurs secteurs ou géographies"

En termes de clauses, êtes-vous alignés avec les demandes des investisseurs institutionnels classiques ?

Nous sommes peu flexibles sur trois grands thèmes. Le premier concerne les critères ESG. Au-delà de l’exclusion de certains secteurs auxquels nous ne souhaitons pas être exposés, comme le charbon, nous demandons un reporting annuel approfondi dédié à l’ESG, sur le portefeuille et les sociétés sous-jacentes. Nous réfléchissons également à recommander l’indexation de la rémunération sur la performance extra financière. Le deuxième sujet relève de la géographie. Nous restreignons les périmètres d’investissement et proscrivons les pays qui manquent de transparence. Notre dernier point d’attention relève d’une bonne communication financière, sur le fond et sur la forme. Nous demandons des reportings financiers trimestriels complets et qui peuvent s’intégrer dans nos systèmes d’information. Avec des investissements dans une centaine de sociétés de gestion, il est essentiel de pouvoir suivre les sous-jacents dans leur ensemble afin de gérer au mieux notre portefeuille dans une logique active et dynamique.

Comment vous adaptez-vous à l’environnement économique de 2021 ?

Nous continuons la sélection de fonds et les co-investissements. La difficulté supplémentaire, outre le sourcing de nouvelles opportunités d’investissement à distance, réside dans le travail de due diligences sur des équipes, notamment celles que nous connaissons depuis moins d’un an et que nous n’avons jamais rencontrées physiquement. Apprécier les dynamiques internes, les questions de gouvernance, de promotion ou de succession s’avère plus compliqué en virtuel, alors qu’il s’agit de points cruciaux dans notre segment, notamment dans les équipes mid-cap. Aussi, nous entendons continuer à progresser en matière d’ESG, en particulier sur la diversité et la répartition de la valeur. Au-delà des management packages, nous souhaitons que les fonds d’investissement partagent davantage les profits de la sortie avec les salariés. Enfin, les fonds de continuation attirent notre attention, car de nombreuses sociétés de gestion en mettent en place et nous voulons nous assurer de l’alignement d’intérêt des GPs. L’équipe a-t-elle réinvesti tout son carried interest ? Remet-elle du skin in the game ? Il n’existe pas encore de standard de marché. Cela nécessite donc de se poser des questions sur chaque fonds de continuation.

"Les GPs doivent garder en tête que les LPs ont besoin d’interactions avec les équipes avant d’octroyer un chèque à dix ans"

Quelles relations entretenez-vous avec les GPs ?

Notre système n’est pas celui de l’ingérence. Même si nos nombreux investissements nous confèrent une vision plus large du marché, les GPs sont mieux positionnés que nous pour avoir des vues sectorielles et prendre des décisions d’investissement avisées. Sur des questions extra-financières, nous pouvons être assez « insistants », mais pas en matière de stratégies d’investissement, qui invitent plutôt à l’échange. Nous recherchons avant tout la transparence et le dialogue. C’est-à-dire être informés de ce qui se passe et faire entendre notre voix sur certains thèmes. L’idée est d’avoir des sociétés de gestion en portefeuille qui valorisent la relation avec leurs LPs et avec lesquelles nouer une relation de partenariat. La situation inédite de 2020 a réduit les échanges visuels. Il faudra les retrouver. Les GPs doivent garder en tête que les LPs ont besoin d’interactions avec les équipes avant d’octroyer un chèque à dix ans. Ce n’est pas une commodité. Enfin, nous avons des cibles de performance mais des clauses trop agressives ne sont pas acceptables. Nous ne voulons pas être en décalage avec la posture de la CDC qui investit l’épargne des Français. C’est une question de responsabilité.

Que nous réserve le marché du non-coté ?

Alors que nous nous attendions à un ralentissement des cessions et des investissements au moment de prévoir les futurs cash flows en mars 2020, le marché s’est montré étonnamment dynamique l’année dernière. En 2021, la polarisation observée devrait se poursuivre. Les GPs semblent en grande majorité privilégier des investissements qui ont démontré leur résilience, avec un taux de rotation faible des clients et une conversion de cash élevée. Du fait de la concurrence exacerbée et de l’augmentation des préemptions, ils devraient néanmoins être plus nombreux à s’intéresser à nouveau à des secteurs qui ont aujourd’hui moins le vent en poupe. Avec l’avancée de la vaccination et la meilleure visibilité qu’elle offre, c’est peut-être le moment pour les GPs d’investir dans des segments de marché à consolider et de réveiller les investissements « value ».

Propos recueillis par Anne-Gabrielle Mangeret

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